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Actualités - OPINION

Désintoxications

Le Liban entre en cure. Le sevrage sera long ; la désaccoutumance âpre. Le premier gouvernement libre depuis trois décennies a rédigé puis adopté une déclaration ministérielle authentiquement libanaise, même si cohabitent en elle, du moins sur le papier, le meilleur et le pire. Ce gouvernement vient ainsi de signer officiellement et publiquement le registre d’entrée d’un sanatorium un peu spécial ; en réalité, un champ des possibles sur lequel et grâce auquel pourrait se (re)construire, sainement, durablement, un État. À la bonne heure. Sauf que cela oblige les Libanais, à commencer par un Fouad Siniora autocloné en Kofi Annan, à une vigilance de tous les instants : qui dit cure dit nécessairement risques élevés de rechutes, de récidives en tout genre. La déclaration ministérielle du 25 juillet a certes fourni une flopée d’anticorps, de placebos, de drogues de substitution ; elle est naturellement magnifique, parce que pour la première fois imbibée jusque dans ses moindres lignes de la sueur d’un dialogue institutionnel quasi national ; elle est grasse d’engagements, de promesses… Elle est intelligente : malgré les cris, les disputes, les regards obliques, les portes qui claquent, malgré l’impatience légitime et superbe d’un Marwan Hamadé ou d’une Nayla Moawad, entre autres, malgré les obsessions et les appréhensions des représentants de la communauté chiite, la déclaration ministérielle a su ménager chèvre et chou. Sauf qu’elle a tellement bien épargné et le ruminant et le légume, qu’ils semblent pour l’instant totalement inaccessibles. Et l’un et l’autre. Ce qui est légèrement bêta… Et c’est dommage. Probablement dommageable. Mais c’est compréhensible. S’il existait un bouton sur lequel appuyer pour tout nettoyer d’un coup, tout rebâtir à commencer par les mentalités, ou une baguette magique à agiter pour redonner confiance à ceux qui continuent de penser que le retrait syrien a fait d’eux de très vulnérables orphelins, cela se saurait. En attendant, il y a cette déclaration ministérielle, dont le moindre des mérites reste sa volonté de ramener le Liban dans « la moindre des choses » : la civilisation. « Un visa d’entrée dans le futur », dit le texte. Évidemment, il manque les mécanismes d’action, des idées un peu moins ressassées, la certitude que s’ouvriront effectivement les tiroirs dans lesquels sont enfermés, avec les mites, des centaines de projets depuis des dizaines d’années… En fait, cette déclaration reste à l’image d’une loi qui attend son décret d’application. Il n’empêche : la loi est sexy. Très. Elle l’est parce qu’on y retrouve, pêle-mêle, des serments fondateurs : justice indépendante, prisonniers dans les geôles syriennes, procédures pénales régulières, écoutes abolies, décentralisation administrative, loi électorale nouvelle et saine (proportionnelle ?) dont la rédaction a été flanquée d’un salutaire dead line, développement équilibré, politique sociale visiblement tous azimuts en faveur des défavorisés, reprise de la croissance, règlement à court, moyen et long terme des maux endémiques dont souffrent les services publics, à commencer par l’électricité, lutte contre la corruption, promotion de la croissance, application de Paris II, réforme des services de sécurité, santé publique, environnement, éducation et enseignement. C’est énorme, à tel point que ce texte finit par ressembler beaucoup plus à un bottin ou une promesse de dot qu’à une déclaration ministérielle. Ce qui est plutôt normal : le Liban a été tellement infantilisé, tellement vampirisé, tellement génétiquement modifié que tout est à faire. Absolument tout. C’est désormais évident, acquis : pour le Liban, c’est l’année zéro. Il faudrait juste faire attention à ne pas vouloir trop embrasser d’un coup, essayer de privilégier les étreintes qui durent aux french kisses qui leurrent. À réinitialisation exceptionnelle, il fallait une déclaration ministérielle exceptionnelle. Celle-ci, extraordinaire, ne sera exceptionnelle que lorsqu’elle aura traduit dans les actes, aux yeux et aux tympans des Libanais et du monde, et parallèlement à la publication du rapport Mehlis, ses slogans creux et archaïques concernant les relations avec la Syrie et le double désarmement du Hezbollah et des réfugiés palestiniens. Pour réussir sa cure, son sevrage, pour quitter le groupe des pays survivants un peu zombies et entrer de plain-pied dans la civilisation, le Liban ne peut plus se permettre de tendre, christique, sa joue gauche à la Syrie lorsque celle-ci lui a déchiqueté la droite, et il ne peut plus se permettre de ne pas exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire, de tolérer d’autres armes que celles de son armée. Le Liban y est obligé, pour lui-même, pour son peuple, avant que de penser à la récompense, aux soutiens financiers. Le plus rageant est que cela pourrait se faire sans que ne soient le moins du monde touchées les composantes du tissu libanais ou l’unité nationale. Sans que la communauté internationale ne se sente obligée de ressasser indéfiniment les mêmes antiennes. Il n’en reste pas moins que quelque chose s’est enclenché. Un mécanisme. Un traitement. Quelque chose a démarré. Le pire serait que tout cela s’arrête dans quelques kilomètres. Ou dans plusieurs. Surtout qu’ici les avortements, les morts subites, les assassinats sont légion. Cette période de cure dans laquelle vient de s’installer le Liban devrait, de velléitaire, le transformer en volontaire. Pas bénévole pour autant. Ziyad MAKHOUL

Le Liban entre en cure. Le sevrage sera long ; la désaccoutumance âpre. Le premier gouvernement libre depuis trois décennies a rédigé puis adopté une déclaration ministérielle authentiquement libanaise, même si cohabitent en elle, du moins sur le papier, le meilleur et le pire. Ce gouvernement vient ainsi de signer officiellement et publiquement le registre d’entrée d’un...