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Actualités - REPORTAGE

Antoine Atoui, un laïc, est à l’origine de l’initiative qui vise à aider les jeunes couples dans le besoin Les mariages collectifs, un phénomène nouveau chez les chrétiens libanais(photos)

Plusieurs couples de jeunes mariés sur le parvis d’une même église. Des couples en complet veston et robe blanche qui se rassemblent pour une photo souvenir. Ils sont une petite dizaine à passer ensemble devant l’autel, à partager la même réception, ou encore à se retrouver, la nuit des noces (chacun évidemment dans une chambre), dans un même hôtel. Se marier au Liban coûte cher. Un homme, Antoine Atoui, a pris donc l’initiative d’organiser des mariages collectifs. L’idée n’est pas une innovation. Les mariages collectifs, organisés par des partis politiques, ont lieu depuis plusieurs années au sein de la communauté musulmane, chiite notamment. Ce qui constitue la nouveauté, ce sont les mariages collectifs de chrétiens de divers rites. L’événement n’est pourtant pas exceptionnel. Au Vatican, le pape procède de manière ponctuelle à des mariages collectifs de couples venus de divers pays. Contrairement aux Libanais, ces couples de croyants se présentent auprès du souverain pontife pour une bénédiction exceptionnelle, une grâce en plus. Au Liban, l’histoire est tout autre. Si les couples optent pour des mariages collectifs, c’est purement et simplement pour des raisons financières. Car, ne l’oublions pas, que l’on soit riche ou pauvre, ici on se marie en grande pompe. Il faut compter la jolie robe blanche, les belles fleurs, le coiffeur d’exception, la voiture fringante, les élégants faire-part, l’extraordinaire « zaffé » et enfin le bon traiteur pour une réception qui rassemblera un minimum de 200 personnes… Il y a donc des personnes qui s’aiment mais qui retardent le moment de vivre ensemble tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de se marier. Ils se fiancent, achètent une maison et attendent… espérant pouvoir un jour assumer les dépenses d’un mariage qui coûterait environ une petite dizaine de milliers de dollars. C’est beaucoup ? Pas quand on est libanais et que l’on veut se marier. Et les vieilles habitudes, malgré la crise financière, ont la vie dure. Il semble que les filles sont programmées pour rêver du jour où toute une foule charmée les regardera défiler heureuses et éthérées en robe blanche. Les jeunes hommes, eux, sont élevés dans l’esprit d’honorer leur future épouse, au moins le jour du mariage. Et quand on dit honorer, on parle évidemment du fait de pouvoir assumer les dépenses financières d’un tel événement, un signe de respect pour sa femme et ses beaux-parents…un signe d’orgueil et de fierté aussi. Mais ceci n’est pas une étude sociopsychologique de la société libanaise. Revenons donc aux mariages collectifs dans la communauté chrétienne. Le phénomène est nouveau. L’instigateur est un illustre inconnu, un « laïc » prénommé Antoine Atoui. Avant de se lancer dans les mariages collectifs, Antoine Atoui, originaire de Sin el-Fil, était imprésario, un homme qui organise des fêtes et des soirées. Aider ceux qui s’aiment Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, il raconte qu’à force de voir des jeunes chrétiens qui émigrent ou qui rêvent de faire leur vie ailleurs par manque de moyens financiers, il a décidé de les aider. Organiser aux moindres frais les mariages de ceux qui s’aiment est une façon de les encourager à s’établir au pays, explique-t-il. Antoine ne raconte pas spontanément une histoire qui l’avait marqué. Un crime passionnel, un fait divers qui s’était déroulé non loin de sa ville natale de Sin el-Fil : avant de se suicider, un jeune homme avait tué une jeune femme, car elle l’avait quitté. Selon Antoine, ce crime passionnel n’aurait pas eu lieu si le jeune homme avait les moyens d’épouser sa dulcinée. Il semble qu’à cause des pressions de sa famille, la jeune femme avait quitté son amoureux (devenu son assassin), car il n’avait pas les moyens de subvenir aux besoins d’une famille ou du moins, pour commencer, assumer les dépenses d’un mariage. Avec les mariages collectifs qu’il organise, Antoine estime qu’il est en train de changer les choses, d’aider les personnes qui s’aiment à rester ensemble et à fonder une famille. Il feuillette fièrement plusieurs dépliants en couleurs. Sur l’un d’eux figurent les portraits des mariés, dans l’autre tous les sponsors, notamment les couturiers, les maquilleurs, les coiffeurs, les traiteurs, les fleuristes, les troupes de « zaffé » qui prennent part gracieusement au mariage. « Il y a beaucoup de croyants qui possèdent des entreprises et qui tiennent à aider les nouveaux mariés. Pour eux, c’est probablement comme honorer un vœu ou dire une prière », indique-t-il. Au début, la tâche d’Antoine n’était pas facile. Pour le premier mariage qu’il a organisé l’été dernier, il a fallu que les mariés croient en lui et que les sponsors tiennent leur promesse. Certains d’entre eux s’étaient désistés à la dernière minute, se souvient-il. Ce n’est plus le cas actuellement. Certes, on ne prend pas toujours au sérieux un laïc qui promet d’organiser des mariages collectifs, assurant à tout petits frais la robe blanche, les fleurs, la voiture, la « zaffé », le cocktail et tout le reste. Antoine aime les événements importants, et les mariages en font partie. Et c’est avec son savoir-faire d’imprésario qu’il organise le jour auquel rêvent beaucoup de jeunes filles. Il aide les couples qui n’ont pas les moyens d’organiser leur mariage en mettant en place un grand événement, collectif certes, mais grand quand même. Antoine ne lésine pas sur les détails. Il fournit par exemple les photographes qui se rendent dans les maisons des mariés avant la cérémonie, l’enregistrement vidéo de la cérémonie, les images sur CD-Rom, etc. Il faut compter aussi les feux d’artifice, les voitures de luxe qui transportent les mariés, les chambres d’hôtel…De plus, chaque couple a le droit d’inviter en moyenne 200 personnes. « Il faut imaginer un grand mariage… mais collectif », indique Antoine. Grec-orthodoxe, originaire de Sin-el-Fil et divorcé, Antoine organise des mariages pour toutes les communautés chrétiennes. Par exemple, pour le premier mariage collectif qu’il a organisé, Antoine a prévu trois églises pour cinq couples maronites, quatre couples grecs-orthodoxes et deux couples grecs-catholiques. La « zaffé » et la réception avaient eu lieu dans les jardins publics de Sin el-Fil, là où Antoine réunissait les couples pour les préparer à la cérémonie. Le deuxième mariage collectif s’est déroulé à Harissa ; il comptait dix couples maronites, un couple grec-catholique et un couple de rite latin. Le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, a célébré la messe en présence de Mme Andrée Lahoud, représentant le chef de l’État. Et c’est le chanteur Wadih es-Safi et la chanteuse Pascale Sakr qui ont entonné les chants religieux. La réception du troisième mariage collectif, qui a rassemblé treize couples, s’est tenue dans les jardins de l’évêché maronite d’Antélias, et les mariages ont été célébrés dans trois églises différentes, selon le rite des couples concernés. Les quatrième et cinquième mariages se sont déroulés tout récemment. On n’a plus qu’à dire un « mabrouk » collectif. L’avis d’un prêtre Le père Hanna Khadra est juge auprès du tribunal ecclésiastique maronite. Il officiait à l’autel, parmi les prêtres qui ont marié les couples rassemblés par Antoine Atoui lors du mariage collectif de décembre dernier. Le père Khadra, qui est également vicaire de la paroisse de l’église Saint-Élie, relevant de l’Ordre des pères antonins, encourage l’initiative d’Antoine Atoui. « Il aide les couples à se marier en organisant un événement collectif, car beaucoup de gens rêvent de ce genre de mariage mais n’en ont pas les moyens. » Il insiste cependant sur la nécessité que « ces couples qui se marient soient spirituellement préparés au sacrement. Une affaire prise en charge par les prêtres avant le mariage de chaque couple de croyants ». Le père Khadra souligne l’importance du rôle de l’Église en Orient, notamment au Liban, où elle joue un rôle social, comblant parfois ce rôle imparti à l’État. « C’est dans ce cadre, explique-t-il, que l’Ordre des pères antonins construit des appartements à bas prix destinés aux familles chrétiennes. L’Église est toujours prête à aider les paroissiens. » « Peut-être faut-il que nous pensions aussi à l’organisation de mariages collectifs », dit-il. Depuis qu’il a assisté à un mariage collectif organisé par Antoine Atoui, le père Khadra y pense très sérieusement. « Ce ne sera pas un projet pour les citadins. Je pense surtout aux habitants de mon village d’origine, Safra, dans la Békaa, indique-t-il. En tant que prêtre, je peux aider les moins nantis à se marier en leur organisant, entre autres, des mariages collectifs. C’est une façon de les encourager à rester chez eux, à ne pas quitter la Békaa pour Beyrouth. Je pourrais aussi les soutenir dans divers domaines, peut-être même leur présenter un projet complet pour les aider à fonder des familles et à rester dans la Békaa. » « L’Église est belle dans sa pauvreté. Oui, il faut être heureux dans la pauvreté », conclut-il. Quand deux membres d’une même famille convolent… Charles et Hélène Jarjoura sont frère et sœur. Ils sont originaires du Chouf. Tous les deux se sont mariés le 15 octobre dernier à Harissa. Charles, 34 ans, a épousé Marla Saad, 32 ans, originaire du Liban-Sud. Le couple habite Aïn el-Remmaneh. Quant à Hélène, 27 ans, la sœur de Charles, elle a épousé Mikhaël Nakhlé, 32 ans, originaire du Chouf. Ils habitent Dékouané. C’est Hélène qui raconte le jour J avec enthousiasme. « Ce n’était pas n’importe quelle mariage, c’était le mien ! » dit-elle avec un grand sourire. Hélène fait partie de ces jeunes filles qui rêvent depuis leur enfance au jour où elles seront tout de blanc vêtues. Elle raconte : « Nous étions douze couples, et le convoi de voitures a roulé de Nahr el-Kalb jusqu’à la station du téléphérique à Jounieh. » « Nos familles nous attendaient à Harissa à la sortie du téléphérique. Un train décoré de fleurs nous a transportés jusqu’à la basilique », indique-t-elle photos à l’appui. « Le mariage a rassemblé environ 5 000 personnes et a été retransmis par Télé-Lumière ; tout le monde nous a vus », ajoute-t-elle, précisant que les préparatifs ont duré un mois et demi. Hélène ne regrette pas le fait de s’être mariée dans le cadre d’un mariage collectif. « Je n’aurais jamais pu organiser un mariage d’une telle envergure. De plus, toutes les mariées étaient très bien coiffées, très bien maquillées et très bien habillées ; nous étions toutes très belles à voir », répond-elle. Hélène et Mikhaël ont passé trois ans ensemble avant de se marier. Quelques mois après avoir fait connaissance, ils ont décidé de convoler en justes noces. Mais ils ont attendu un peu plus de deux ans : ils n’avaient tout simplement pas les moyens d’organiser la cérémonie. Hélène a fait le tour des traiteurs, des fleuristes, des magasins de robes de mariée, des coiffeurs, des maquilleurs, juste pour évaluer les prix. « C’était toujours beaucoup trop cher. Je tenais véritablement aux fleurs, à la robe blanche et à la réception. Mikhaël désespérait. À plusieurs reprises, il a proposé que l’on se marie sans pompe, en conviant uniquement la famille la plus proche. Je n’ai jamais accepté. Toute ma vie j’avais rêvé du jour de mon mariage et je n’allais pas le rater. » Mikhaël est moins expansif. Il écoute son épouse en souriant et se contente de dire : « Heureusement qu’il y a eu Antoine Atoui, car Hélène n’aurait jamais accepté de se marier d’une façon simple », soulignant que « jamais une personne qui a les moyens suffisants n’optera pour un mariage collectif ». Charles et Marla, pour leur part, se sont rencontrés un an avant de se marier. Tous les deux ne voulaient pas convoler en grande pompe, mais quand Hélène, la sœur de Charles, a décidé de prendre part au mariage collectif organisé par Atoui à Harissa, ils n’ont pas hésité. Selon Charles, le fait que deux personnes de la même famille se marient le même jour ne pose aucun problème. C’est parfois mieux, car c’est une manière de mettre les petits plats dans les grands, et surtout d’économiser de l’argent. Marla indique qu’Antoine Atoui « a été gentil jusqu’au bout ». Elle explique : « Je suis originaire de Kléya, village de la zone anciennement occupée. Bien que j’habite Beyrouth, ma famille a tenu à ce que je sois le jour de mon mariage dans notre village d’origine. Antoine a donc envoyé la berline blanche jusqu’à Kléya pour me transporter jusqu’à Harissa. » Charles renchérit : « Antoine nous a beaucoup aidés. Au moins, je me suis marié sans m’endetter, comme d’autres, pour organiser la cérémonie. Et puis, j’étais content parce que, après tout, c’est le patriarche maronite Nasrallah Sfeir en personne qui nous a mariés. Je n’osais même pas rêver de ça. » Lucie et Rony parmi les premiers mariés Lucie Atallah et Rony Monsef se sont mariés le 31 juillet 2004, lors du premier mariage collectif organisé par Antoine Atoui. Elle a 27 ans, lui 29. Ils se connaissent depuis cinq ans et habitent un appartement dans un immeuble neuf de la localité de Bkennaya, dans le Metn. Rony et Lucie, qui vivent une véritable histoire d’amour, projetaient de se marier depuis quatre ans. Mais après avoir acheté leur appartement grâce à un crédit de la Banque de l’habitat, ils se sont trouvés dans l’impossibilité de couvrir les frais d’un tel événement. « À chaque fois que l’on faisait les comptes, on désespérait », raconte Lucie, qui n’arrivait pas à convaincre son fiancé de l’idée d’un petit mariage où seuls les membres de la famille très proches seraient conviés, sans gerbes de fleurs et même sans robe blanche. Rony explique son refus : « Il y a quelques années, le fiancé de ma sœur l’a enlevée pour l’épouser. Je lui en ai beaucoup voulu. Comme le mariage a été organisé à la va-vite et sans grande fête, j’ai senti que ma sœur m’a été vraiment arrachée. Je ne voulais pas que la famille de Lucie ait le même sentiment », dit-il. Après avoir frappé à plusieurs portes en vain, allant même jusqu’à participer à une émission de télévision afin de gagner une réception de mariage gratuite, Lucie et Rony, qui avaient déjà vendu leur voiture pour pouvoir payer le premier versement de l’appartement, se retrouvent dans une impasse. C’est alors qu’à la mi-juillet 2004, un cousin à Rony lui parle d’Antoine Atoui et du premier mariage collectif que ce dernier était en train d’organiser. Le couple fait la connaissance de Atoui tout en restant très sceptique. Rony et Lucie n’y croient pas vraiment, s’embarquent dans l’entreprise et se disent que même s’il n’y a rien à gagner, il n’y aura certes rien à perdre. Ils préparent leur certificat de baptême, Lucie choisit sa robe de mariage, et Rony accompagne Antoine partout, du fleuriste jusqu’au traiteur. « C’est comme si je voulais m’assurer que cet homme ne mentait pas », indique Rony. « Antoine se démenait, mais quelque part, je n’y croyais pas. J’y ai cru enfin quand je me suis retrouvé devant l’autel », dit-il. En 2002, Rony, qui cumule deux emplois, réussit à obtenir un crédit de la Banque de l’habitat pour l’achat d’un appartement. Les jeunes fiancés ne veulent pas rater une telle opportunité et vendent leurs voitures pour le premier versement. Lucie, qui travaillait dans un grand magasin, tentait de mettre de l’argent de côté, mais il fallait déjà penser à l’ameublement. Un an avant le mariage, la maison était fin prête, coquettement meublée. Presque plus rien n’y manquait. Lucie rêvait de s’y établir. Mais il fallait attendre le mariage et cette cérémonie impossible à financer…devenue ensuite réalité. Le jeune couple, très amoureux, considère Antoine Atoui comme son ange gardien. Patricia KHODER
Plusieurs couples de jeunes mariés sur le parvis d’une même église. Des couples en complet veston et robe blanche qui se rassemblent pour une photo souvenir. Ils sont une petite dizaine à passer ensemble devant l’autel, à partager la même réception, ou encore à se retrouver, la nuit des noces (chacun évidemment dans une chambre), dans un même hôtel. Se marier au Liban coûte cher....