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analyse - Les options du général risqueraient d’affaiblir le pilier chrétien du prochain pouvoir Aoun 2005 : paris hasardeux et occasions manquées

En politique, il ne suffit pas d’avoir raison ou d’être dans son bon droit. Il n’y a pas de mal, de temps en temps, à faire partie du lot gagnant, même si, pour cela, on doit mettre un peu d’eau dans son vin. Une fois de plus, Michel Aoun a décidé d’emprunter un chemin différent. Dès le lendemain de son retour d’exil, le bouillant général s’est efforcé d’imposer sa marque sur un échiquier politique en pleine mutation des suites de l’assassinat de Rafic Hariri, la révolution du 14 mars et le départ précipité des Syriens. De façon tout à fait légitime, l’ancien exilé s’est posé en vainqueur venu cueillir les dividendes de son long combat pour l’indépendance et la souveraineté. Mais alors qu’il attendait les acclamations, il a vu la terre glisser sous ses pieds. Les alliés de la veille, il s’en méfiait déjà. Il avait eu dans le passé du fil à retordre avec la plupart d’entre eux, chrétiens comme musulmans. Eux, de leur côté, lui rendaient bien la pareille. À preuve, cette visite en catimini de Walid Joumblatt chez lui à Paris, un pas en avant, deux en arrière, quelques jours avant son retour, à un moment où, pourtant, la bannière du 14 mars flottait au-dessus de toutes les têtes. Elle flotterait peut-être encore aujourd’hui si les hasards du calendrier n’avaient placé des élections législatives à quelques semaines de la fin d’une tutelle syrienne de trente ans sur le Liban. Des législatives qui, étant donné les circonstances, ont pris la dimension d’un acte fondateur, voire normatif, dans l’histoire de ce pays. On attendait, certes, de ce scrutin qu’il confirme le bouleversement survenu ces derniers mois, et notamment qu’il renvoie chez eux la plupart des parangons organiques de la tutelle syrienne, ceux qui n’avaient d’autre carte de visite que celle délivrée par Damas, les Nasser Kandil, Assem Kanso et autres Bassem Yammout. Mais le maintien d’un découpage électoral totalement absurde et décrié par à peu près tout le monde, s’il témoigne d’une chose, c’est bien de la volonté de garder ce bouleversement sous contrôle, de sauvegarder autant que possible les grands équilibres déjà présents au sein de la Chambre et de donner une prime au vainqueur réel du 14 mars, le camp haririen. On perd son temps à essayer de savoir comment, pourquoi et par qui la loi 2000 a été renflouée. Ce qui compte, c’est que, pour de multiples raisons, le découpage retenu arrange trop de monde, à l’étranger encore davantage qu’au Liban. Renforcer les haririens et – accessoirement – leurs alter ego joumblattistes pour les placer au sommet, maintenir à flot le rempart berryiste, contenir le Hezbollah tout en l’intégrant : voilà, en gros, les objectifs stratégiques tracés pour ces législatives. Et, au final, les résultats ne pourront qu’être conformes aux objectifs. Vus sous l’angle du contexte régional et international, les enjeux du côté chrétien sont nettement moins intéressants. Non pas, comme certains pessimistes ont tendance à le croire, parce que les chrétiens n’ont plus droit à un rôle de premier plan au Liban, mais tout simplement parce qu’on estime – à juste titre – que les modifications du rapport de forces entre différentes mouvances chrétiennes n’ont pas de grande implication stratégique. Conscient de cet état de fait, le patriarche maronite en a, certes, conçu de l’inquiétude, mais celle-ci était au moins autant justifiée par l’ardeur que mettent les diverses composantes chrétiennes à se disperser que par le comportement jugé inique et condescendant des leaderships musulmans. La dispersion dans les rangs chrétiens, Michel Aoun en est loin d’être l’unique responsable. Tout le monde ou presque y a participé. C’est une chose – et même une bonne chose – que d’avoir une pluralité de mouvances, c’en est une autre que d’aller séparément négocier les alliances électorales. À partir du moment où l’on sait qu’on doit passer par les fourches Caudines de la loi 2000, comment peut-on espérer améliorer collectivement – en tant que chrétiens – ses conditions lorsque l’un frappe à la porte du « faiseur de députés » – en l’occurrence Saad Hariri ou Walid Joumblatt – pendant que l’autre entre par la fenêtre et le troisième par la cheminée ? Pour autant, c’est bien le général qui, en consommant son divorce avec ses partenaires du 14 mars, a pris le risque d’un nouvel affaiblissement des chrétiens, et cela en dépit d’une argumentation assez souvent irréprochable sur le plan des principes. Michel Aoun a le droit de refuser le label confessionnel pour sa mouvance et de prôner un État laïc. Mais il n’a pas le droit d’ignorer que pour le plus grand nombre de ses compatriotes, tout comme pour les chancelleries étrangères, il est, dans l’échiquier libanais, un chef chrétien. Cette considération n’est pas d’ordre sémantique. Elle signifie tout simplement que, dans un État où le pouvoir est réparti entre diverses communautés, un homme politique qui fait abstraction de cette réalité prive sa communauté des victoires qu’il peut engranger, mais l’entraîne quand même dans ses défaites. Michel Aoun a parfaitement raison de manifester le souhait de nommer des colistiers musulmans quand on trouve naturel que les Hariri, Joumblatt, ou Berry désignent, eux, des candidats chrétiens. Il a pourtant tort de croire qu’il est possible, du simple fait d’être retourné au pays après quinze ans d’exil, et au nom d’une antériorité du combat pour la souveraineté, de bousculer aussi brutalement un ordre établi. Quant à la polémique sur l’identité de celui qui devrait être crédité du départ des Syriens, elle est ridicule quand on sait que la palme ne revient dans cette affaire ni à Michel Aoun ni à Rafic Hariri et encore moins à Walid Joumblatt ou Kornet Chehwane, mais à Oussama Ben Laden, sans lequel le Liban occuperait encore, sous le label « profits et pertes », un sous-chapitre d’un dossier au fond d’un tiroir du service Proche-Orient du département d’État. Michel Aoun est dans son droit de vouloir jouer le jeu démocratique et être pratiquement le seul à empêcher que les élections ne soient que des nominations. Il se trompe lourdement pourtant en croyant ou en voulant faire croire qu’avec un découpage comme celui qui est en vigueur, il est possible de faire comme s’il s’agissait de vraies élections. Par-dessus tout, le général a eu tort de s’être exclu du ticket gagnant. D’abord parce que ce ticket est, de toute façon, gagnant. Ensuite parce que chaque siège qu’il emporterait dimanche prochain et celui d’après, c’est au pilier chrétien du prochain pouvoir qu’il l’arracherait, et pas directement à Walid Joumblatt ou Saad Hariri. La conséquence en serait justement l’affaiblissement de ce pilier chrétien. Nabih Berry qui, quoi qu’on en pense, a le sens des formules rapides, a récemment résumé le comportement de Michel Aoun en ces termes : « En politique, comme dans l’armée, il est toujours le même : contre tout le monde. » Poujade l’était aussi. Élie FAYAD
En politique, il ne suffit pas d’avoir raison ou d’être dans son bon droit. Il n’y a pas de mal, de temps en temps, à faire partie du lot gagnant, même si, pour cela, on doit mettre un peu d’eau dans son vin.
Une fois de plus, Michel Aoun a décidé d’emprunter un chemin différent. Dès le lendemain de son retour d’exil, le bouillant général s’est efforcé d’imposer sa...