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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Les as du 4x4

«Un grand pas en avant, une victoire pour la démocratie libanaise et la communauté internationale » : ils ont bien raison, le département d’État et le Quai d’Orsay qui se réjouissent de la tenue, dans les délais constitutionnels, de ces élections législatives dont la première tranche se déroulera demain dans la capitale. Dans un Proche-Orient voué aux surprises (rarement heureuses), tout retard risquait de se traduire en effet par une fâcheuse redistribution des cartes : laquelle, à son tour, pouvait remettre en question l’irrésistible dynamique locale et internationale qui a contraint la Syrie à se dessaisir de sa proie libanaise. Pour la première fois depuis 1972 donc, ce scrutin aura lieu hors de toute occupation étrangère ; pour la première fois de même, des observateurs de l’Onu et de l’Europe unie surveilleront sur place la régularité de l’opération électorale. Dans un pays où le pouvoir de l’argent le dispute en importance à celui des grandes familles et où le trucage des listes d’électeurs et la manipulation des urnes font partie du folklore, les observateurs n’auront sans doute pas grand-chose à observer cette fois : le plus régulièrement du monde et sans qu’il y ait besoin de recourir aux grands moyens, les jeux sont faits, le morceau est déjà enlevé avant même qu’ait commencé la partie. Que l’opposition soit assurée de sa victoire est, de fait, réjouissant : elle l’a bien méritée. Qu’elle y perde un peu de son âme est, en revanche, consternant. Et inquiétant. Des députés chrétiens élus dans leur grande majorité par des non-chrétiens, sans que la réciproque soit jamais vraie : que toutes les lois électorales de l’ère syrienne aient systématiquement pénalisé une fraction de la population libanaise, c’était, à la limite, normal ; les chrétiens étaient pratiquement les seuls à s’élever, ouvertement du moins, contre la pesante tutelle. Que cette aberration ait pu survivre au départ des Syriens, que la loi de l’an 2000, hier encore décriée, soit soudain devenue une véritable voie royale pour maints chefs de l’opposition ne fait qu’aggraver le problème : c’est dans un cadre techniquement libanais désormais que se trouve consommée une forfaiture « héritée », certes, mais qui, on ne le répétera jamais assez, viole les fondements mêmes du pays. Comme son père assassiné, mais en faisant, lui, l’économie d’une bataille, Saad Hariri sera sacré demain roi de Beyrouth, porté par l’immense vague populaire qu’a suscitée l’odieux attentat du 14 février. Et sur la piste de l’Étoile, deux couples – Hariri-Joumblatt et Amal-Hezbollah – vont bientôt mener le bal, tout le reste n’étant là que pour faire bonne mesure. Les fameux rouleaux compresseurs électoraux ne sont plus made in Syria, mais ils n’en deviennent que plus pernicieux encore : ce que les tout-terrain du cru n’embarquent pas au passage, ils l’écrasent, à commencer par une jeunesse pluriconfessionnelle qui a fait l’événement, qui a refait la planète Liban, qui a rêvé de changement et qui découvre qu’on l’a manipulée, flouée, roulée et finalement oubliée. Non moins funestement, la loi des grands ensembles a inévitablement pour effet d’écarter des figures très authentiquement représentatives au profit d’autres simplement agréées, elles, par les têtes de liste. Sauter à bord du convoi pour peu que l’on y soit généreusement invité, déclarer forfait ou bien alors aller vaillamment à l’abattoir : il est tout de même extraordinaire que dans un Achrafieh savamment couplé en pièces détachées avec d’autres quartiers de la capitale – vive l’intégration nationale ! –, même la veuve d’un Béchir Gemayel ait été acculée à trancher ce genre de dilemme. Sur un plan plus général, c’est bien le cas de le dire, l’ironie de la situation veut aussi que l’on doive à Michel Aoun, finalement exclu des grandes listes car jugé trop gourmand, d’apporter à ce fade menu électoral une charitable pincée d’épices : de proposer pour le moins, au prix il est vrai d’alliances parfois ahurissantes, un choix à l’électeur, ce qui est la règle de base de tout scrutin démocratique. Suprême paradoxe, et non des moindres, de ce singulier scrutin passablement préemballé : hors de la ligne de front de Baabda-Aley, les forces politiques chrétiennes seront en somme les seules du pays à se livrer véritablement bataille. Diluée, noyée dans la masse des grandes circonscriptions, la volonté populaire pourra toujours se défouler en vase clos…

«Un grand pas en avant, une victoire pour la démocratie libanaise et la communauté internationale » : ils ont bien raison, le département d’État et le Quai d’Orsay qui se réjouissent de la tenue, dans les délais constitutionnels, de ces élections législatives dont la première tranche se déroulera demain dans la capitale. Dans un Proche-Orient voué aux surprises (rarement...