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La loi de 2000, une hérésie de la vie démocratique Quarante-trois pour cent de députés chrétiens élus par des musulmans

La crise née de la réédition de la loi de 2000 met à l’épreuve, une fois de plus, l’extrême fragilité du système communautaire libanais qui se trouve ébranlé par un simple découpage électoral. La reprise, en 2005, de cette fameuse loi, « concoctée sous la pression des services de renseignements syriens », est venue consacrer un fait accompli institué depuis Taëf, à savoir l’emprise de la communauté musulmane, notamment des pôles prosyriens, sur le Parlement. Un phénomène qui a été favorisé, comme on le sait déjà, par la grande circonscription, laquelle renoue avec le principe des bulldozers et des listes préfabriquées. Ce mécanisme annule, dès le départ, et avant même d’aller aux urnes, les effets de l’exercice démocratique qui permet à l’électeur de voter librement pour le candidat de son choix. Comme l’a justement rappelé l’Assemblée des évêques maronites, mercredi dernier, sur le terrain, les résultats sont on ne peut plus flagrants : à l’ombre de ce système, au moins 43 % des chrétiens sont élus par des musulmans qui souvent ne les connaissent même pas, et sans que les chrétiens aient un seul mot à dire. Censée favoriser la convivialité et atténuer les extrémismes, l’adoption de la grande circonscription – mise à l’épreuve en 2000 – risque d’avoir des effets d’autant plus pervers en 2005 qu’elle vient gommer d’un seul trait les fruits d’un 14 mars qui devait augurer des élections libres, transparentes, loin des traditionnelles ingérences syriennes. Or, en réintroduisant la fameuse loi de 2000, dans les conditions que l’on sait, le président de l’Assemblée a renversé d’un coup de baquette magique le nouvel équilibre des forces qui s’était instauré et remis en cause la légitimité populaire qui s’était exprimée lors de « la révolution du Cèdre ». Retour donc à la case départ où l’électeur libanais et plus particulièrement chrétien se trouve acculé à choisir des représentants qui ne le représentent point. Concrètement, cela aboutit aux résultats suivants, comme le montrent les observations faites par Kamal Feghali, un expert en questions électorales. Ainsi, dans les 14 circonscriptions prévues par la loi 2000, on compte 9 circonscriptions dans lesquelles les électeurs musulmans choisissent les députés chrétiens sans que les électeurs chrétiens n’aient été auparavant consultés. En pratique, les votants choisissent dans ces circonscriptions 77 députés sur 128 dont 28 députés chrétiens, soit 43 % de l’ensemble des chrétiens élus. En reprenant les 9 circonscriptions dans lesquelles ce phénomène est patent, nous constatons que 5 chrétiens seront élus au Liban-Sud sans l’avis de leurs électeurs directs, 10 chrétiens sur un ensemble de 15 à Beyrouth, 4 au Chouf, 2 à Baalbeck-Hermel (sur un total de 27 députés), 2 dans la Békaa-Ouest (Rachaya), et 5 députés chrétiens élus par des musulmans au Liban-Nord 1 (Akkar, Denniyé, Bécharré). Dans les circonscriptions mixtes, les chrétiens sont élus en même temps par les chrétiens et les musulmans. Il s’agit de Zahlé (5 chrétiens), Baabda-Aley (6 chrétiens), Liban-Nord 2, c’est-à-dire Tripoli, Minié, Zghorta, Koura, Batroun (10 chrétiens). Il reste deux circonscriptions à majorité chrétienne dans lesquelles ces derniers élisent directement leurs 15 députés chrétiens et un chiite, soit à Jbeil et à Kesrouan. Ainsi, rappelle M. Feghali, la loi de 2000, dans son contenu politique, devait être à l’époque « un message » adressé par les principaux ténors du pouvoir, Nabih Berry, Walid Joumblatt et Rafic Hariri, au chef de l’État, Émile Lahoud, lui signifiant que « toute remise en question de la grande circonscription ne peut se faire que dans la mesure où elle donne aux musulmans la prérogative de choisir une grande partie des députés chrétiens, un gage qui devait “rassurer” les musulmans et empêcher l’entrée à l’hémicycle de chrétiens dits “extrémistes” ». Pour le camp mahométan, cette formule devait être « une sorte de compromis équitable sachant que les chrétiens, qui sont minoritaires, bénéficient de la moitié des sièges au Parlement. Il était donc légitime pour les musulmans qu’ils puissent en choisir une partie », explique l’expert. Mais ce qui aurait pu être justifié en 2000 ne l’est plus aujourd’hui, surtout après le départ des forces syriennes et de la remise en cause de certains équilibres qui, pendant longtemps, ont été artificiellement maintenus. Aujourd’hui cette formule risque d’aboutir à des dysfonctionnements monstres, le nombre des députés chrétiens élus par des chrétiens (un tiers seulement) étant devenu extrêmement minime, d’où une très faible représentation par rapport à leur poids réel. Le problème se pose en outre en termes d’allégeance politique, les instigateurs et bénéficiaires de la loi 2000 étant connus – du moins une partie d’entre eux – pour leurs positions prosyriennes que dénoncent de plus en plus vivement une grande partie de l’électorat chrétien et dans une moindre mesure une petite minorité du camp musulman, représentée notamment par cheikh Hassan el-Amine qui dit incarner « une troisième voie chiite, indépendante des deux grands partis de masse », Amal et Hezbollah. À eux deux, ces derniers, qui se sont désormais juré fidélité lors du processus électoral, peuvent mobiliser 80 % des voix chiites. « Quel impact pourrait donc avoir le candidat chrétien du Liban-Sud quand bien même il aurait réussi à rassembler 90 % des 10 % restants des voix ? » s’interroge Kamal Feghali. Toute la question est là. C’est ce qui explique d’ailleurs le ton résolu des évêques maronites et du patriarche Sfeir qui a affirmé hier que les « chrétiens ont droit à 64 députés. Il doivent par conséquent pouvoir élire 64 représentants ». Aux prélats maronites, sont venus se joindre les lahoudiens et le général Aoun, qui ont condamné unanimement la manière dont l’opération électorale a été travestie avec la bénédiction de plusieurs membres de Kornet Chehwane, d’où un regain de tollé contre cette loi. Jeanine JALKH
La crise née de la réédition de la loi de 2000 met à l’épreuve, une fois de plus, l’extrême fragilité du système communautaire libanais qui se trouve ébranlé par un simple découpage électoral. La reprise, en 2005, de cette fameuse loi, « concoctée sous la pression des services de renseignements syriens », est venue consacrer un fait accompli institué depuis Taëf, à savoir...