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Actualités - interview

Interview - Les Libanais ont découvert ces derniers mois qu’ils ont plus de points communs qu’ils ne le pensent, estime le député de Denniyé Ahmed Fatfat : L’opposition devrait élaborer un programme politique avant les élections (Photo)

«On risque d’aller vers un cabinet à l’image de la prorogation, qui ne serait pas présidé par Rafic Hariri (...). Le pays entrera dans une période très difficile, qui nous conduira à un renforcement du pouvoir des services. Et l’opposition risque de se radicaliser. Le Liban n’a jamais supporté qu’on limite la démocratie et les libertés. Sinon, il n’a plus de raison d’être. » Ces propos qui datent de septembre 2004, des lendemains de la prorogation du mandat Lahoud, sont ceux d’Ahmed Fatfat (qui avait voté contre la rallonge). Pour une prémonition, c’en était indéniablement une. Même si le député de Denniyé n’aurait jamais pensé une seconde, à l’époque, malgré toute sa clairvoyance, que Rafic Hariri devrait assumer jusqu’au bout, jusqu’au sacrifice ultime, son destin tragique de héros cornélien. Un héros tiraillé entre son souci de préserver, par la modération, un pays des velléités destructives et son aspiration personnelle à une action politique libre de toute entrave, affranchie de toutes les servitudes, volontaires et involontaires. « De l’ombre jaillit parfois la plus éclatante des lumières », chantait un troubadour britannique, Nick Drake, disparu au début des années 70. Les ténèbres nées, entre autres, de l’assassinat de Rafic Hariri, sont certes étouffantes, mais elles ont conduit à l’éclosion du Printemps de Beyrouth. Et tous les Libanais ont pu « découvrir », au plein sens du terme, Ahmed Fatfat sur les écrans de télévision ou à la place de la Liberté. Parfait francophone et citoyen belge, attaché à ses racines nordistes, il est surtout libanais, et, de surcroît, insoumis. Certains aimeraient déjà voir en lui, comme en Misbah el-Ahdab, l’étoffe d’un futur Premier ministre qui donnerait l’image d’un autre Liban, moderne, celui du changement, de la réforme, de l’ouverture. Ce n’est donc pas un hasard si Ahmed Fatfat voit dans l’étape actuelle une transition vers un autre cycle sur la scène politique. « Le problème dans la politique libanaise est les échanges de mensonges, de bonnes paroles entre les Libanais, le fait de se mentir les uns aux autres, d’exprimer autre chose que le fond de sa pensée. Entre Libanais, jusqu’à présent, nous n’avions pas l’habitude de nous mettre tous autour d’une table et de discuter en toute franchise. C’est de cela que nous avons besoin. Quelle que soit l’issue internationale du problème libanais, c’est à nous de régler les détails », dit-il. Le député de Denniyé fait état de deux approches libanaises négatives de l’internationalisation : la première est celle du Hezbollah, qui voit dans ce phénomène une menace directe, une vague américaine qui déferle sur la région. La deuxième est « celle d’une partie des Libanais, qui croient qu’est enfin venu le moment historique d’en finir avec le problème libanais, de revenir sur les accords de Taëf, de concrétiser le repli sur soi et l’isolement par rapport au monde arabe. Or l’isolement se ferait aux dépens du Liban, qui est impliqué à plus d’un titre dans les affaires du Moyen-Orient et qui se retrouve, dès lors, nécessairement obligé de prendre part à une solution régionale globale », dit-il. Le Liban, un pays qui se méconnaît Ahmed Fatfat est persuadé, et le mouvement populaire du 14 mars lui a quelque part donné raison, que « les Libanais ont beaucoup plus de points communs qu’ils ne le pensent, mais ils ne le savent pas assez ». La solution est toute simple pour lui : c’est de garder l’esprit ouvert, de dialoguer et de découvrir les autres, loin des sous-entendus, ce qui permettra de régler beaucoup de problèmes. Le député de Denniyé met d’ailleurs en garde contre cette tendance dangereuse qui consiste, sur le plan politique interlibanais, à vouloir isoler l’autre. « J’ai comme l’impression malgré tout que la grande majorité des Libanais a vécu une expérience formidable depuis le 14 février, et la jeunesse est porteuse d’espoir et d’une possibilité de changement très importante. La fissuration est moins d’ordre politique que d’ordre générationnel. Cette nouvelle génération pense autrement. Elle s’est retrouvée à la place des Martyrs et elle s’est découverte », a-t-il indiqué. « Ce petit pays se méconnaît », insiste Ahmed Fatfat. « À la place des Martyrs, les jeunes étaient ébahis de se rendre compte qu’ils sont capables de se retrouver sur beaucoup de points communs. Il reste que la classe au pouvoir a beaucoup d’intérêts et préfère sauvegarder ses avantages, sa place dans la vie politique. Un conflit de générations va se manifester très prochainement dans la vie politique libanaise, notamment lors des prochaines élections, si elles vont tarder, ou après, peut-être. Les jeunes libanais vont commencer à revendiquer une vision différente, nouvelle du Liban », souligne-t-il, en faisant part de son optimisme. « Pour une fois, le Liban est divisé politiquement, pas confessionnellement », se réjouit-il, estimant que l’opposition est face au défi de concrétiser cette transition. Défenseur acharné du pluralisme, qu’il a véritablement découvert en Belgique, il se félicite du climat d’ouverture qui règne actuellement dans le pays. Ahmed Fatfat ne se fait pas d’illusions. Il sait que la dynamique populaire est à l’avant-garde du Printemps de Beyrouth, et, par conséquent, il pense que le peuple descendrait dans la rue directement si la crise devait s’éterniser et les élections être reportées. « D’ailleurs, le peuple prend les devants. Il se demande pourquoi l’opposition ne songe pas à former un gouvernement, d’autant que nous ne sommes plus loin de la majorité au Parlement », indique-t-il. « Si Karamé échoue à former ce gouvernement, et il serait fort possible qu’il échoue, et cette option n’est pas complètement à exclure. Plus personne chez les loyalistes ne veut participer au gouvernement, s’il faut s’en tenir aux déclarations des uns et des autres. Il semble que Aïn el-Tiné va se retrouver devant l’impasse qu’il a lui-même créée, et donc ne pas pouvoir former même un cabinet du possible », note-t-il. Ahmed Fatfat, comme l’ensemble de l’opposition, défend, par principe, le caza, même s’il n’a pas d’opposition de principe au système du mohafazat avec la proportionnelle. « Sauf que ce n’est pas le bon moment pour l’appliquer. Ce système devrait servir d’entrée en matière pour une réforme politique. Mais il ne rassurerait pas maintenant. Or les Libanais cherchent des solutions », dit-il. Il ne pense pas que la théorie du report de six mois ou d’un an des élections tienne vraiment la route, et avoue se poser beaucoup de questions sur l’avenir après la poignée de main à Rome entre les présidents syrien et israélien. « Nous avons toujours dit que nous serions les derniers à signer la paix avec Israël. Un jour, nous allons être seuls face à Israël pour signer une paix qui sera difficile pour nous à tous les niveaux. Je suis très perplexe », dit-il. Le député de Denniyé défend Walid Joumblatt, estimant qu’on s’est déjà livré à « trop d’interprétations » concernant la démarche du chef du PSP auprès de MM. Berry et Karamé, alors qu’il l’a faite en coordination avec les députés de l’opposition et en réponse aux exigences de Terjé Roed-Larsen, pour assurer la tenue d’élections. Il se dit « optimiste » concernant l’opposition plurielle, estimant que le pluralisme est synonyme de bonne santé, qu’il s’oppose à la pensée unique et figée, et que les opposants savent qu’ils ont besoin de s’épauler pour réussir. Cependant, il souhaite que l’opposition, pour être plus crédible, élabore un programme politique viable sur base du Bristol II et de Taëf, et « avant les élections, parce qu’après, il sera trop tard ». L’objectif étant de préparer aussi bien l’après-Syrie que l’après-Hariri. « Il serait malhonnête de ne pas dire aux Libanais quel serait notre projet politique », souligne le député. « Il y va du sérieux de l’opposition de présenter un programme, de donner envie aux Libanais de voter sur des bases politiques, de les pousser à penser à long terme. C’est là un défi très sain », souligne-t-il. « C’est cela, l’intérêt national. C’est de ne pas penser à court terme », note-t-il. Et de conclure : « Rafic Hariri pensait à long terme. Ceux qui l’ont tué ont fait le pari que le peuple libanais oubliera rapidement, qu’il ne réagira pas. Ils se sont grossièrement trompés. Ils ont eu les idées courtes. » Michel HAJJI GEORGIOU
«On risque d’aller vers un cabinet à l’image de la prorogation, qui ne serait pas présidé par Rafic Hariri (...). Le pays entrera dans une période très difficile, qui nous conduira à un renforcement du pouvoir des services. Et l’opposition risque de se radicaliser. Le Liban n’a jamais supporté qu’on limite la démocratie et les libertés. Sinon, il n’a plus de raison...