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Actualités - CHRONOLOGIE

Le printemps de Beyrouth ou la renaissance de la place des Martyrs (Photo)

Cinq semaines se sont écoulées depuis le début de « l’intifada de l’indépendance » et la place des Martyrs voit jusqu’à présent défiler des dizaines de milliers de citoyens en provenance de toutes les régions, arborant le rouge et le blanc en signe de leur attachement à leur liberté et de leur détermination à voir les assassins du Premier ministre Rafic Hariri jugés. Alors que l’intifada a vu son action couronnée, le 14 mars, par la mobilisation populaire la plus importante dans l’histoire du pays, elle s’apprête aujourd’hui à poursuivre sa dynamique, notamment en organisant des rassemblements sectoriels. L’objectif est d’encourager différentes formes d’expression, à travers notamment des débats entre les jeunes, de façon à entretenir l’état général de mobilisation et la cohésion des forces de changement, pour faire face à la pression, si cela devait s’avérer nécessaire. La formidable réponse citoyenne à la fois spontanée et organisée à l’appel de l’intifada a produit un certain nombre de phénomènes sociaux et politiques en marge desquels il est possible de faire certaines observations. La redécouverte et l’appropriation du centre-ville Des années ont passé depuis la reconstruction du centre-ville de Beyrouth. Des années durant lesquelles une partie des Libanais était partagée entre la fierté de faire découvrir ce centre à des visiteurs arabes ou étrangers de passage, avant de retourner, une fois leurs visiteurs repartis, à leur critique de la politique et de l’éthique avec lesquelles cette reconstruction privatisée s’était faite... Le centre-ville était devenu un lieu d’exclusion des citoyens ordinaires, qui passaient furtivement dans ses rues luxueuses et rutilantes, pour retourner aussi vite dans leurs quartiers familiers, leur ressemblant dans leur simplicité et leur chaos. Le centre-ville était devenu un espace n’appartenant plus à la ville. Il était devenu un îlot touristique au sein duquel toute trace de vie disparaissait tard dans la nuit. Mais ceci a bien changé aujourd’hui. En dépit de la régression de la consommation, le centre-ville est maintenant habité, jour et nuit, par une âme reliant l’îlot à la terre ferme. Les jeunes de la ville l’ont redécouvert et réinvesti. Ils l’ont transformé en espace de socialisation et d’échanges. Un espace où se concentre désormais la symbolique de leur cause, la liberté. Le centre-ville a retrouvé son âme. Il n’appartient plus seulement aux touristes, il n’est plus ce lieu balisé d’exhibition du luxe, il ne terrifie plus les non-nantis. Il est à présent l’axe autour duquel gravite la ville et son dynamisme. Il reste à espérer qu’en plus de cette nouvelle dynamique sociale et politique, revienne l’activité économique d’antan dont dépendent de nombreuses familles. La réconciliation dans et avec la rue Le Liban n’avait jamais vu, à travers son histoire, un tel déferlement de personnes dans la rue de façon quasi quotidienne ou hebdomadaire. Des centaines de milliers de citoyens ont redonné son sens noble à l’espace public : un lieu d’expression individuel et collectif de revendications, un lieu où se fabrique la citoyenneté, un lieu de retrouvailles et de confrontation pacifique. Une véritable réconciliation a eu lieu entre les Libanais et « leur » rue, après que cette dernière eut été, pour trop longtemps, un lieu inerte, disloqué, un lieu où slogans communautaires et propagandes de toutes sortes ont régné en maître absolu durant toutes ces années. Voilà qu’aujourd’hui, cette même rue étreint son peuple révolté, euphorique et par-dessus tout uni. La rue a réinventé le langage : celui des organisations politiques, celui des citoyens et des jeunes. Le drapeau libanais, l’identité nationale et le rejet du racisme Le 14 février 2005 a été une date qui a redéfini une relation nouvelle entre les Libanais et leur drapeau national. Cette étoffe rectangulaire, qui de tout temps semblait dénuée de signification réelle, redevient l’instrument même de la refondation de l’identité nationale, à travers ses couleurs qui flottent aux balcons et aux portières des voitures, et s’entremêlent intimement avec d’autres drapeaux lors des manifestations et des réunions. Ce tableau d’une identité rassembleuse suscite fierté et joie loin de tout folklore artificiel. Cela signifie-t-il qu’il y a eu maturation d’une nouvelle identité nationale ? Certainement pas. Mais cela indique qu’il y a eu naissance d’une nouvelle conscience nationale dont la symbolique englobe un certain nombre de valeurs et d’idées partagées qui seraient susceptibles de constituer un nouveau projet national s’il est accompagné d’un dialogue citoyen approfondi et d’un travail politique collectif et responsable. Il reste tout de même à mettre en garde et à lutter contre le fait que certaines formes de racisme soient l’un des constituants de la nouvelle identité nationale, comme par le passé, dans certains projets identitaires. Aucun projet de libération n’est honorable, si s’immisce en son sein un comportement dévalorisant l’autre. Nulle libération du règne des services de renseignements syriens et de ses annexes libanaises n’est constructive si elle n’est pas accompagnée d’un discours clair et fraternel envers le peuple syrien et ses citoyens travaillant au Liban. Il y a en cela non seulement des considérations morales, mais aussi nationales. L’effondrement du mur de la peur et la seconde indépendance Le mur de la peur est tombé au Liban, et il s’agit là d’un phénomène irréversible. Depuis la moitié des années 90 se sont accumulées des dynamiques individuelles et collectives au sein de la société civile, constituant un potentiel de changement. Ces dynamiques ont ouvert des brèches dans les murs de l’oppression symbolique et de l’autocensure imposée aux Libanais. À l’aube de l’an 2000, à la suite de la libération du Liban-Sud de l’occupation israélienne, des alliances nouvelles se sont tissées et des organisations politiques et nationales se sont élevées vigoureusement contre la mainmise syrienne et l’immixtion de ses services sécuritaires dans les affaires du pays. Le renouvellement du mandat du président Lahoud suivi par l’attentat contre M. Marwan Hamadé et puis l’assassinat de la première personnalité politique du pays, le Premier ministre Hariri, ont provoqué l’explosion d’une colère longtemps contenue et l’effondrement de ce mur de la peur dont les pierres sont définitivement ensevelies place des Martyrs. La deuxième indépendance du Liban est née. Une indépendance populaire par excellence, qui appelle à de nombreux sacrifices et requiert beaucoup de soin et de préservation. Cela sera sans doute difficile, mais en vaut largement la peine. Un autre Liban est désormais possible, malgré les nombreux défis qu’il aura à surmonter, au lendemain de l’éclosion de son printemps... Ziad MAJED Chercheur
Cinq semaines se sont écoulées depuis le début de « l’intifada de l’indépendance » et la place des Martyrs voit jusqu’à présent défiler des dizaines de milliers de citoyens en provenance de toutes les régions, arborant le rouge et le blanc en signe de leur attachement à leur liberté et de leur détermination à voir les assassins du Premier ministre Rafic Hariri jugés.
Alors...