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Actualités - interview

Dans un entretien à « L’Orient-Le Jour », le député du Metn demande aux piliers du pouvoir de « s’habituer à un Liban souverain » Nassib Lahoud invite le chef de l’État à « tirer les conclusions qui s’imposent »

Un œil affûté, posé sur la scène libanaise depuis plus d’une double décennie, a eu un jour, alors que tout allait relativement normalement dans cette République sécuritaire sous tutelle, cette phrase toute simple : « Au Liban, il y a deux Lahoud ; et le drame de ce pays – sa tragédie plutôt –, c’est que ce n’est pas le bon qui est à Baabda. » Président du Renouveau démocratique, membre du (très pionnier) Rassemblement de Kornet Chehwane et pilier fondamental de l’opposition nationale plurielle, le député Nassib Lahoud a répondu hier aux questions de L’Orient-Le Jour. À celle, d’abord, que se posent les Libanais dans leur ensemble : « Et maintenant ? », à la double lumière d’un Omar Karamé plus otage que jamais du pouvoir et de son tuteur et qui a résolument décidé de kidnapper le pays, et d’une opposition ultradéterminée, parce que forte de l’inaltérable soutien d’un peuple, de ne pas céder d’un iota sur ses revendications. « Nos demandes, justement, n’ont rien de personnel ni de partisan. Nous ne voulons pas le pouvoir, nous ne demandons pas la reddition du camp loyaliste, nous appelons simplement à la tenue d’élections libres et propres, dont profiterait d’ailleurs l’ensemble des candidats, d’où qu’ils viennent. Nos revendications répondent uniquement aux intérêts du peuple libanais, et il est impensable que l’on puisse aboutir à une Chambre légitime sur les plans national et international sans que soient satisfaites ces demandes basiques », insiste d’entrée de jeu Nassib Lahoud. Et ces demandes, évidemment, sont au nombre de trois : l’enquête internationale ; la démission ou la mutation, dit-il, des patrons des services de sécurité et du procureur général, ainsi que le retrait total rapide, « dans quelques semaines », des troupes et des SR syriens. Nassib Lahoud se déclare « profondément étonné » qu’Omar Karamé ait accepté sa désignation « une semaine après avoir démissionné sous la double pression des députés et de la population. Il est inconcevable, en démocratie, qu’un PM revienne sans avoir récupéré au préalable sa crédibilité populaire ». Qu’est-ce qui l’a poussé à accepter ? Des pressions, des menaces, une conviction ? « Je ne sais pas. Mais c’est une faute. Omar Karamé n’a pas compris que son retour dans de telles conditions ne facilite en rien la sortie de l’impasse. » Il semble tout faire pour gagner du temps et occulter les prochaines législatives. « J’espère qu’il n’en est rien. Nos propositions sont de bonne foi, et je fais assumer au pouvoir l’entière responsabilité d’un vide constitutionnel, d’un report des élections. » Ce pouvoir et ses hommes estiment que l’échéance printanière leur sera fatale. « Il est normal que ceux qui ont reçu leur poste grâce à l’hégémonie syrienne soient menacés par une consultation populaire propre et libre. Mais ceux qui ont une réelle légitimité populaire n’ont rien à craindre ; les véritables forces politiques auront leur place naturelle dans la nouvelle Chambre, pas un poids artificiellement gonflé comme aujourd’hui. » Et si Omar Karamé renonce à la formation du futur cabinet ? « Il y aura de nouvelles consultations. Mais on espère simplement que le président de la République jouera son rôle constitutionnel d’arbitre ; qu’il facilitera l’accord sur un nouveau PM qui s’engagera à respecter et appliquer les demandes que nous avons formulées. » Est-ce que vous appelez à la démission d’Émile Lahoud, et si oui, à quel moment – maintenant ou après les législatives ? « Le président Lahoud a été élu par une fausse majorité parlementaire qui lui a été obtenue par l’hégémonie syrienne. D’autre part, il est clair que la majorité populaire n’approuve pas sa reconduction. Je l’invite à examiner judicieusement ces deux points et à en tirer les conclusions qui s’imposent », répond clairement Nassib Lahoud, ajoutant qu’un débat autour de la démission du locataire de Baabda devrait se faire au sein de l’opposition nationale. Que demandez-vous au pouvoir et à ses piliers ? « Qu’ils acceptent le fait que le jeu ne peut plus être faussé par certains juges acoquinés aux SR, ni par les chefs des services de sécurité habitués à faire la pluie et le beau temps et à être le relais des SR syriens. Nous leur demandons de s’habituer à l’idée d’un Liban souverain. » On dit que Nabih Berry songe depuis quelque temps à cette reconversion. « Il a commencé par un bon point, au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, en acceptant d’appeler à un débat de politique générale. Et comme il fait partie, avec son groupe, des forces politiques réelles du pays, il devrait jouer un rôle constructif dans le processus de changement ; mais également, en tant que président de la Chambre, dans l’adoption d’une nouvelle loi électorale à même de servir au mieux un nouveau gouvernement. Dans tous les cas, les indices qu’il donne sont positifs ; j’espère qu’il s’engagera totalement dans ce processus. » Quid du discours, jeudi, du patron de la Sûreté générale ? Est-ce que Jamil Sayyed s’est comporté comme l’incarnation du pouvoir, son porte-parole, ou bien a-t-il réagi en homme traqué, blessé ? « C’est dans sa plénitude que Jamil Sayyed a montré jeudi le visage du pouvoir sécuritaire qui sévit dans le pays depuis une dizaine d’années. Son comportement conforte notre demande ; le Liban a été gouverné ces dernières années par des SR syriens utilisant comme relais les SR libanais. Aujourd’hui, le pays a besoin d’être géré démocratiquement ; le pouvoir de l’ombre, ceux qui se sont ingérés au quotidien dans la vie démocratique du Liban, ceux qui ont déformé les élections et travesti la volonté populaire, ne peuvent plus continuer à le faire dans le nouveau Liban. Il faut à la tête des SR des hommes convaincus que leur mission se limite à la sécurité nationale du pays ; des hommes qui savent que leurs prérogatives ne s’étendent pas au contrôle de la vie politique. » Le nouveau Liban que vous évoquez a-t-il déjà vu le jour ? On dit que le n° 1 syrien n’a toujours pas voulu donner de date butoir à terjé Roed-Larsen. « Bachar el-Assad s’est engagé à se retirer complètement du Liban et à donner à l’envoyé onusien un calendrier avant le 10 avril. Il est impératif que ce calendrier ne s’étale que sur quelques semaines, et pas quelques mois, afin que des élections libres puissent avoir lieu, y compris dans la Békaa. Et l’émergence d’un nouveau Liban a commencé, bien sûr... Grâce au mouvement massif de ces jeunes et de ces moins jeunes dans le pays ; ils ont été les vrais artisans de notre retour à la souveraineté. » On dit que les SR syriens qui ont quitté Hamra et Ramlet el-Bayda se sont repliés dans la banlieue sud. « Il y a un moyen de le vérifier : que les SR libanais soient de nouveau sous un contrôle libanais. Ainsi pourront-ils s’assurer qu’il n’y a pas eu de réimplantation. » On dit que des milliers de SR syriens ont été naturalisés sous l’actuel mandat. « Il faudra également vérifier. » À quelles relations libano-syriennes appelez-vous ? L’ouverture de deux ambassades ? « Certainement. Une fois que le dernier soldat et le dernier agent SR seront partis, il faudra rebâtir ces relations, qui ont souffert du côté libanais de l’hégémonie exercée contre un peuple pendant plus de quinze ans, et qui ont souffert du côté syrien par les conditions du retrait. La nouvelle page doit être basée sur le respect de la souveraineté, sur le développement des intérêts communs à tous les niveaux, sur les mécanismes de coopération économique, sur des mesures visant à reconstruire la confiance entre deux États et deux peuples. » Quid du Hezbollah et du dernier discours de Hassan Nasrallah ? « Le futur gouvernement d’union nationale post-législatives doit enclencher le dialogue avec toutes les forces politiques vives du pays, Hezbollah inclus, afin de trouver un consensus sur l’avenir de la branche militaire » du parti de Dieu. « À partir du moment où l’Onu a déclaré que le Sud a été libéré et la 425 appliquée, cette branche militaire s’est retrouvée sujette à contestation et le Liban en porte-à-faux. D’un côté le gouvernement déclarait libanaises les fermes de Chebaa, mais en même temps, il s’est toujours refusé à prendre la moindre disposition prouvant leur libanité : le Liban s’est ainsi retrouvé en travers de la légalité internationale. » Qu’avez-vous dit, avec vos camarades de l’opposition, à Bruxelles et à Paris ? « Que les problèmes relatifs à la souveraineté totale de l’État sur l’ensemble de son territoire – Liban-Sud inclus –, l’armement du Hezbollah, le rôle du Liban dans le conflit israélo-arabe et le respect de la légalité internationale sont partie intégrante du dialogue interlibanais. » C’est un joli lobbying en faveur du Hezb. « Hassan Nasrallah a bien dit que même les constantes de son parti sont ouvertes au dialogue, et j’estime que cela est un pas dans le bon sens. » Vous lui reprochez de cautionner un pouvoir en ruine ? « Le Hezbollah a joué un rôle primordial dans la libération du Sud ; il ne devrait pas mettre sa crédibilité en jeu dans une opération de sauvetage vaine du pouvoir actuel. » La rencontre avec Michel Aoun s’est bien passée ? Et comment se porte l’opposition nationale plurielle ? « La rencontre avec le général Aoun était bonne, sérieuse et responsable, et l’opposition va très bien. Elle a une cohésion bien plus forte aujourd’hui parce que ses décisions sont basées sur un dialogue permanent entre ses membres et parce qu’elle est entourée par le peuple libanais. C’est d’ailleurs lui le grand artisan de notre cohésion. Et ce n’est pas fait pour nous déplaire », conclut Nassib Lahoud. Pas eu le temps de lui demander, pourtant, comment faire pour mettre ce même peuple à contribution afin qu’il empêche le malheureux effritement de cette opposition le jour, béni des dieux, où elle arrivera au pouvoir – surtout que ce jour-là ne devrait tarder... Ziyad MAKHOUL
Un œil affûté, posé sur la scène libanaise depuis plus d’une double décennie, a eu un jour, alors que tout allait relativement normalement dans cette République sécuritaire sous tutelle, cette phrase toute simple : « Au Liban, il y a deux Lahoud ; et le drame de ce pays – sa tragédie plutôt –, c’est que ce n’est pas le bon qui est à Baabda. » Président du Renouveau...