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Le Point Mortelle modération

Les Tchétchènes ont raison : une nouvelle période de l’histoire de la confrontation vient de s’ouvrir. Les Russes ont raison : il n’y a plus personne à qui parler. C’est ainsi qu’à coups, par les premiers, de prises de position intransigeantes (mais pouvaient-ils faire autrement ?), d’actions inconsidérées et de faux calculs par les seconds (et ils auraient été mieux avisés de revoir leurs plans), on aboutit à une impasse politico-militaire appelée à avoir les conséquences les plus lourdes. En choisissant de liquider Aslan Maskhadov, Moscou peut se vanter d’avoir réalisé une triple contre-performance : perdre un interlocuteur modéré, retarder une fois de plus le règlement d’une crise qui n’a que trop tardé, pousser à la radicalisation un mouvement nationaliste qui, quoi qu’on en dise, commençait à s’essouffler ces derniers temps. On aurait tort de croire que la brutale disparition du chef indépendantiste, dont le leadership était devenu purement symbolique – la situation ne dépend pas de sa vie ou de sa mort, a dit hier l’actuel président, Alu Alkhanov –, ne se traduira pas par des changements significatifs sur le terrain. Déjà, selon leur site Internet Kavkazcenter, les séparatistes ont fait le serment de poursuivre le combat jusqu’à « l’élimination une bonne fois pour toutes de la menace du Nord ». Plus d’offres de négociation et pas d’arrêt donc de la guerre, un espoir d’ailleurs qui ne semble pas avoir figuré dans les rêves pacifistes de l’état-major russe. Les erreurs ont été beaucoup trop nombreuses, et plus lourdes à chaque fois, pour ne pas y voir un plan tracé de longue date, œuvre d’une oligarchie gravitant dans l’orbite de l’armée et de l’univers industriel. Cela fait trois siècles que cette minuscule république montagneuse, enclavée au cœur du Caucase, se bat contre son puissant voisin du Nord. Dans un de ses accès de paranoïa dont il était coutumier, le Petit Père des peuples avait fait déporter au Kazakhstan, en 1944, tous les habitants, dont plus de 400 000 avaient péri dans des camps de concentration. Acquise en 1991, l’indépendance réelle sera de courte durée. La première guerre éclate en décembre 1994 et durera vingt et un mois, jusqu’en août 1996 quand un accord est signé avec le Kremlin. Trois ans plus tard, elle reprend après l’invasion, décidée par le chef de guerre Chamil Bassaïev, du Daguestan voisin. À nouveau les chars russes déferlent sur Grozny, qu’ils détruisent non sans subir de lourdes pertes. Dès lors, l’embrasement sera général, ponctué d’opérations terroristes comme le siège du théâtre de Moscou en 2002 (129 morts) ou encore la prise d’otages dans une école de Beslan (339 morts). Il y aura aussi de multiples cessez-le-feu, le dernier en date, décidé par Maskhadov, étant venu à expiration le 23 février de cette année. Aujourd’hui, Vladimir Poutine peut se prévaloir d’un succès remporté face à la rébellion, lui qui avait promis de « buter les terroristes jusque dans leurs chiottes » et qui avait fait de cette guerre combien inutile une affaire personnelle. Il retrouve ainsi un peu de son prestige perdu, à l’heure où l’Amérique a cessé de lui tresser des lauriers pour exiger davantage d’oxygène démocratique. Pour la presse moscovite, il est incontestable que l’élimination physique du premier président tchétchène démocratiquement élu en janvier 1997 a été prise « au plus haut niveau », pour éviter que l’homme ne devienne le chef d’un « Sinn Féin local ». Désormais la voie est ouverte devant la désignation d’un nouveau chef, Chamil Bassaïev ou Dokou Oummarov, dont l’intransigeance, espère-t-on à Moscou, achèvera de compromettre en Occident la réputation de la résistance. Déjà les ultranationalistes affichent leur satisfaction et estiment que « l’étape militaire touche à sa fin ». Le proche avenir dira si leur optimisme est justifié ou si, au contraire, la seule force modératrice ayant disparu, il ne s’agit pas là d’un triomphe douteux. La présidente du Comité des mères de soldats russes, Valentina Melnikova, évoque le précédent de Djokhar Doudaïev, tué quelques mois avant la fin de la première guerre. À l’époque, rappelle-t-elle, nous avions lancé contre la capitale tchétchène un assaut qui s’était soldé par un véritable désastre et il avait fallu se résoudre à arrêter les combats. Rien n’indique que ce scénario se répètera cette fois, « tant il est vrai que l’histoire, disait déjà Céline, ne repasse pas les plats ». Ce qui a changé ? Aucun des deux camps ne cherche désormais à se cacher derrière des slogans trompeurs. Maskhadov soutenait il y a peu que la guerre pouvait prendre fin pour peu que la Russie accepte le dialogue. Il faut croire que parfois en politique, l’excès de modération tue. Christian MERVILLE
Les Tchétchènes ont raison : une nouvelle période de l’histoire de la confrontation vient de s’ouvrir.
Les Russes ont raison : il n’y a plus personne à qui parler.
C’est ainsi qu’à coups, par les premiers, de prises de position intransigeantes (mais pouvaient-ils faire autrement ?), d’actions inconsidérées et de faux calculs par les seconds (et ils auraient été mieux...