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Actualités - CHRONOLOGIE

Au lendemain du discours d’Assad, les positions du Mont-Liban toujours intactes Dans la Békaa, à Baalbeck et à Deir el-Ahmar, les habitants espèrent un retrait « total et rapide »(photos)

Au lendemain du discours du président syrien, Bachar el-Assad, sur le retrait en deux temps de ses troupes du Liban, les soldats de Damas, stationnés dans plusieurs localités du Mont-Liban, ne s’étaient pas résolus à se préparer pour le grand départ, passant une autre journée presque ordinaire. Si les habitants du Mont-Liban étaient un peu impatients hier, notamment à Aley, les originaires de la Békaa, eux, rayonnaient de joie, d’une manière à la fois calme et insolente propre aux gens de la plaine. C’est que les habitants de la Békaa, que ce soit à Chtaura, à Baalbeck ou à Deir el-Ahmar, ne s’attendaient pas à ce que le président Assad s’étende dans son discours sur la 1559, qui exige un retrait total du territoire libanais et non – comme le stipule l’accord de Taëf – un repli des troupes sur la plaine. Hier donc toutes les positions de l’armée syrienne et les postes des services de renseignements du Mont-Liban sont restées intactes, notamment à Dahr el-Wahch, Aley, Dhour el-Abadiyé, Hammana, Salima, Dhour Salima, Mrouj, Bois de Boulogne, Khonchara, Dhour el-Choueir, Ayroun, Douar et Mar Moussa. Rappelons que ces deux dernières localités du Metn avaient été investies par les troupes de Damas en octobre 1990. Les habitants de Aley, qui abrite environ 3 000 soldats syriens avec leurs armes de petit et moyen calibre, désespèrent de voir les troupes partir. À ceux qui leur demandaient si les soldats ont commencé à se préparer pour le départ, ils répondaient : « Inchallah », ou encore « Que Dieu vous entende ». Kamal, qui tient un petit magasin à la place du village, soupire de lassitude : « Ils sont chez nous depuis 1976, ils nous ont poussés à bout, qu’ils partent et qu’on en finisse. » Contrairement à d’autres habitants de la localité qui lancent en plaisantant, « un jour nous envahirons Damas » ou encore « Nous porterons les armes pour que les Syriens partent », Kamal ne veut pas se rendre dans la capitale syrienne, « même pas pour un séjour touristique » et refuse de porter les armes. Montrant une Kalachnikov en plastique, qu’il a rangée parmi les divers objets étalés dans la vitrine de son magasin, il explique : « C’est la valeur des armes chez les Arabes, un jeu d’enfant, rien que de la pacotille. » Kamal prend un air résolu, son regard se durcit, il indique : « Il ne faut pas les laisser partir comme cela. Avant qu’ils ne passent la frontière, ils doivent payer nos quarante milliards de dollars de dettes, une somme qu’ils ont à verser pour avoir détruit le Liban durant trente ans. » Dans la plaine de Hammana, les troupes syriennes – très agressives avec les journalistes durant les dernières quarante-huit heures, tantôt leur confisquant films et caméras, tantôt les menaçant avec leurs armes – n’ont pas commencé à démanteler leurs positions. Cette zone, située au Mont-Liban, fait partie de ce qu’on appelle le triangle Hammana-Aïn Dara-Mdeirej, ligne de retrait prévue par Taëf. Il est donc inutile de préciser que les collines de Mdeirej et les hauteurs de Tarchich et de Taalbaya (donnant sur Zahlé et plusieurs villages du Metn et du Haut-Metn) abritent des milliers de soldats syriens. Des positions grandes comme la plaine Chtaura. À en croire un originaire du village, « la localité est une immense position syrienne ». Il martèle, un sourire au coin des lèvres : « Ils partiront, le discours de Assad est clair. » Hanna, lui, s’inquiète : « J’ai peur que ceux qui quittent le Mont-Liban et le Liban-Nord ne s’installent indéfiniment chez nous. Comme si les soldats et les membres des services de renseignements qui ont, depuis longtemps, élu domicile ici ne nous suffisaient pas. » Il marque une pause, se ravise et indique que « rien n’est éternel. Tout prend fin un jour. Après trente ans, il est vivement temps qu’ils partent. Et ils partiront. » La route qui mène de Chtaura à Baalbeck est ponctuée de barrages et de positions syriennes. Et les crédules qui avaient espéré, hier, faire en une journée le décompte des positions syriennes installées dans la Békaa – de Chtaura jusqu’à Qaa – ont vite baissé les bras. Tanks, camions, jeeps, bases de lance-missiles air-sol, tentes, bâtiments délabrés, guérites, troupes, encore et encore des tanks, des camions, des bases de lance-missiles air-sol, des tentes, des bâtiments délabrés, des guérites et des troupes… Bref, comme les lopins de terre multicolores, la présence des soldats de Damas dans la Békaa se prolonge des deux côtés de la plaine, jusqu’aux montagnes enneigées du Mont-Liban et de l’Antiliban. À Baalbeck, cité du soleil, les langues se délient. Et les personnes interrogées tiennent à donner leur prénom, celui de leur père et leur nom. Dans quelques secteurs de la ville, les drapeaux libanais flottent aux balcons des maisons ou devant les épiceries. Ici et là des voitures, arborant des étendards aux couleurs du pays, sillonnent les rues. Vendredi dernier, les habitants de Baalbeck avaient lancé deux grenades sur deux positions syriennes, l’une dans le secteur de Ras-el-Aïn et l’autre à Doris, village situé à l’entrée sud de la ville. Certains jeunes ont même voulu – comme c’était le cas à Cana (Liban-Sud), la semaine dernière – déboulonner une statue de l’ancien président syrien Hafez el-Assad. Ils n’ont pas réussi. L’affaire d’un repli vers la Békaa les avaient exaspérés. Au lendemain du discours du président syrien, un bon nombre d’habitants de Baalbeck affichaient – avec une certaine insolence – leur espoir en un meilleur avenir. Ali, qui lave le carrelage de son épicerie, nous apostrophe : « Revenez au début du mois d’avril, avant les élections, nous vous offrirons des douceurs, car nous serons en train de célébrer leur départ. Ils vont être bientôt extirpés du Liban. Je m’apprête à m’habituer à vivre sans eux. Il n’y aura même plus d’ouvriers syriens, je serais obligé de faire moi-même le ménage du magasin. » « Je n’ai plus peur des Syriens. J’ai surtout peur du mal que leurs agents libanais sont capables de faire », indique Ali racontant qu’au lendemain de l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, « certains habitants de Baalbeck sont descendus spontanément dans la rue mais ils ont été menacés par des policiers et par quelques personnages influents de la ville ». « Je crains mon propre gouvernement », dit-il. Mohammed tient une boulangerie. Le jeune homme raconte que sa tante est mariée à un Syrien « qui est installé avec tous ses frères, oncles et cousins au Liban ». « Il fallait les voir comment ils ont pleuré samedi après le discours de leur président. Ils savent désormais que c’en est fini pour eux au Liban », dit-il, ajoutant avec un grand sourire que « tous les Libanais sont heureux. Depuis samedi soir, j’ai l’impression de vivre un rêve ». Non loin de là, une dizaine d’hommes travaillent à construire un petit train, de trois wagons, couleur rouge et blanc, et décoré du drapeau libanais. À la question de savoir si ce train a été conçu pour soutenir l’intifida pacifique de l’opposition, l’un d’eux rétorque : « Non c’est pour conduire les touristes de la citadelle aux ruines de Ras-el-Aïn. Nous avons construit le train en coopération avec la municipalité. » Quand on l’interroge sur la présence syrienne à Baalbeck, ce même homme indique : « Ce sont nos frères, leur présence dans la Békaa est naturelle. » Puis il place la main devant sa bouche, comme pour dire qu’il préfère ne pas parler. C’est son ami, Hussein, qui prend la relève : « Je veux que les Syriens partent. Je suis descendu à plusieurs reprises à Beyrouth, pour prendre part aux manifestations à la place des Martyrs. » Et pour conclure, Hussein désigne le drapeau libanais accroché à l’un des wagons : « Ce drapeau est très cher à tous les habitants de Baalbeck. » « Que ceux qui tiennent à leur présence partent avec eux » Eihat. Le village, situé à proximité de Baalbeck et sur la route de Deir el-Ahmar, abrite un important poste syrien, présentant notamment plusieurs lance-missiles sol-air. Deir el-Ahmar est entourée d’importantes positions syriennes, notamment à la limite de la localité, sur les hauteurs de Yammouné et de Chlifa, ainsi qu’à Aïnata (zone située entre le Mont-Liban et la Békaa) sans compter le barrage des troupes de Damas à l’entrée du village. Deir el-Ahmar est la seule bourgade de la zone (mis à part Baalbeck chef-lieu du caza) qui abrite un centre des services de renseignements syriens. C’est avec un sourire tranquille au coin des lèvres et cette désinvolture, qui leur est propre, que les habitants interrogés abordent la présence syrienne. « Ils sont ici depuis 1976. Ils ont installé un centre des services de renseignements dans le village, parce que tous les habitants ont refusé de traiter avec eux. Nous avons toujours été des insoumis », indique Antonio, ajoutant : « Mais ils partiront, leur président lui-même a dit samedi qu’un retrait partiel ne suffit pas. Si Assad, lui-même, refuse le retrait partiel, nous aussi nous le refusons ! ». Le jeune homme énumère toutes les positions qui entourent son village, de Baalbeck jusqu’à Qaa, soulignant que « certaines d’entre elles ont été construites en dur. Quelle perte, en partant, ils ne pourront pas les emporter avec eux comme les tentes et les matelas ». Jawad tient une épicerie. Il explique : « Les Syriens, comme tout le monde le dit si bien, sont nos frères. Mais ils doivent savoir qu’on ne peut pas habiter éternellement chez ses proches et parents. Si mon frère reste chez moi, une quinzaine de jours, même si je l’adore, je ne le supporterai plus. Je lui construirai moi-même une maison pour qu’il s’installe ailleurs ». Il ajoute que « si les Syriens veulent qu’on reste amis, qu’on puisse leur offrir le café quand on les voit au lieu de les rouer de coups, il faut qu’ils partent immédiatement. Il faut qu’ils ménagent une possibilité de réconciliation, pourquoi tiennent-ils à tout prix à ce que nous crions vengeance ? » « Ils sont restés trente ans, maintenant qu’ils nous foutent la paix, sans qu’on en fasse une histoire, sans devenir ennemis. S’il y a des Libanais qui tiennent encore à leur présence, qu’ils partent avec eux, on ne leur en voudra pas », poursuit-il. Au milieu du village, une boulangerie. Un homme pétrit le pain. « Les troupes syriennes et leurs services de renseignements doivent partir. Déjà au départ ils ne devaient pas venir au Liban », dit-il avec un accent syrien prononcé. L’homme explique : « Je m’appelle Abdo, je suis originaire de Deir el-Zor (Syrie). Je travaille au Liban depuis plusieurs années. Je suis un opposant au régime, je lutte pour la démocratie. J’ai été emprisonné durant sept ans en Syrie pour mes activités “subversives”, ma mère est morte alors que j’étais derrière les barreaux. » Abdo poursuit son témoignage, mais ceci est une autre histoire… Patricia KHODER

Au lendemain du discours du président syrien, Bachar el-Assad, sur le retrait en deux temps de ses troupes du Liban, les soldats de Damas, stationnés dans plusieurs localités du Mont-Liban, ne s’étaient pas résolus à se préparer pour le grand départ, passant une autre journée presque ordinaire. Si les habitants du Mont-Liban étaient un peu impatients hier, notamment à Aley, les...