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Actualités - OPINION

Cette nuit la liberté...

Dimanche à lundi 28 février 2005 : cette nuit restera sans doute indélébile dans la mémoire de tous les Libanais et en particulier de ceux qui, comme moi, peuvent dire « j’y étais » ! Mais comment dire l’indicible ? Comment dire ma fierté pour tout un peuple porté par une immense déferlante d’espoir ? Ils ont défié l’armée, escaladé les barrières métalliques, franchi les barrages érigés par les FSI, forcé les cordons de police, dévalé les routes menant à la capitale et ignoré toutes les tentatives du pouvoir en place pour briser ce sursaut de patriotisme, pour discréditer cette réconciliation nationale, pour étouffer ces appels à la liberté, pour semer la discorde et raviver les passions haineuses... Le ministre de l’Intérieur a tenté de les empêcher de s’unir pour la souveraineté. C’était compter sans la détermination d’une jeunesse éveillée, réveillée, libérée et résolue à en finir avec la résignation, la honte, l’opprobre et l’ignominie. Dans une forêt de drapeaux, ils ont brandi, en guise d’armes, le cèdre et la rose, la croix et le Coran... Ils ont nourri un rêve fou d’indépendance, habités qu’ils étaient par la fièvre de la liberté. Sublimes de courage et insolents de jeunesse, ils ont réécrit une page d’histoire oubliée : celle de 1943. Spectacle dantesque, enfer ou paradis, qu’importe, si au fond de l’inconnu il y a la liberté. Car pour ces jeunes sans perspective d’avenir, cette révolte avait le goût d’une vraie démocratie ; jeunesse oubliée qui reprend possession de sa patrie spoliée, qui retrouve une dignité bafouée. Marche de la liberté (ou liberté en marche) où des centaines de milliers de Libanais ont gravé en lettres d’or « victoire ». Mais comment ne pas être tenté encore de citer Horace : « Tu sais vaincre Catalina, mais tu ne sais pas profiter de la victoire ? » Le sauront-ils ? Sauront-ils, nourris des valeurs humaines et spirituelles qui fondent et édifient, « grandir » et prendre les rênes de leur destinée ? Sauront-ils s’affranchir des préjugés et des passions partisanes et confessionnelles pour faire triompher le droit, la justice et l’honneur ? La paix et l’amour ? Je veux y croire, car il est des signes qui ne trompent pas, et ce qui s’est passé cette nuit du 28 février le laisse présager. Mais s’il y a eu un avant-28 février, il y a surtout un après-28 février. De quoi sera-t-il fait ? Au-delà d’un prochain cabinet, d’un gouvernement de salut national, comment se dessine l’horizon? Là encore, nous ne pouvons que nous perdre en conjectures. La communauté internationale a longtemps été coupable de « non-assistance à pays en danger », mais les vents soufflent dans tous les sens et la tempête de liberté en rouge et blanc qui a déferlé sur le Liban a considérablement fait bouger la conscience nationale. Ce vent libérateur continuera de souffler et, comme le dit Michel Hajji Georgiou dans L’Orient-Le Jour, « vent du changement d’une pureté inaltérable, ferveur de ces jeunes d’un éclat que nul ne devrait ternir, annonçant un déficit institutionnel et politique dont il faut tirer les conséquences. Quelles que soient les intentions de la sphère politique, la ferveur reste porteuse d’espoir, faiseuse d’avenir et bâtisseuse d’un Liban meilleur ». Aujourd’hui, je n’ai qu’une crainte: rester sans voix. Sans leurs voix, sans les voix de Bahia, de Ghazi et de Marwan, dont le cœur a failli être éparpillé comme un oiseau éclaté en vol. Sans la voix de cette jeunesse exacerbée par le feu de la liberté, dont les accents ont porté l’incendie de la liberté, les esprits transfigurés par l’intensité de la liberté. Car cette intensité flamboyante avec laquelle cette jeunesse a illuminé nos nuits, elle l’a traversée elle-même dans un Liban ponctué d’éclats et de drames, de larmes et de sang, de passion et d’absolu, un Liban à pleine voix. Ces voix, nous les aimons parce qu’elles nous ont ouvert les oreilles d’abord, puis l’âme, parce qu’elles ont réinventé une écoute de la liberté, parce qu’elles nous ont arrachés du déshonneur pour remonter vers l’accord profond de nous-mêmes. Si Marwan, Ghazi, Bahia et les autres ont réussi à ébranler l’édifice inamovible du pouvoir, c’est que leurs voix ont touché ce qui obéit aveuglément à tout ce qui en nous est le plus fondamental : les ténèbres et les illuminations, la douleur et l’amour, la justice et la liberté, mystérieuses réalités premières que nous avons à redécouvrir. En même temps, leurs voix s’élèvent du désordre de la vie, comme si la voix, lorsqu’elle est liberté, est porteuse de plus de force que ne le sont les armes, provoquant par son avènement la défaite de la tyrannie et une sorte d’anéantissement personnel dans la nécessité que l’on nomme liberté, amour, soif d’absolu. Rafic est mort, il faut laisser sa voix en paix. Cependant, si le désir de sa voix se fait trop fort, alors penchez-vous sur l’une ou l’autre de ces figures qui réécrivent notre histoire aujourd’hui. De leurs bouches s’échappent des chants qui dépassent en beauté tout ce que l’on a pu entendre à ce jour. Ces voix nées du silence, de la servitude, de l’injustice et du déshonneur, rien ni personne ne pourra les faire taire, jamais plus. Gilbert MOUFARÈGE
Dimanche à lundi 28 février 2005 : cette nuit restera sans doute indélébile dans la mémoire de tous les Libanais et en particulier de ceux qui, comme moi, peuvent dire « j’y étais » !
Mais comment dire l’indicible ? Comment dire ma fierté pour tout un peuple porté par une immense déferlante d’espoir ?
Ils ont défié l’armée, escaladé les barrières métalliques, franchi...