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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB X...XL

Mieux vaut tard que jamais, c’est bien vrai ; mais quand un séisme de l’ampleur de l’assassinat d’un Rafic Hariri frappe de la sorte le pays, le mieux pour les États dignes de ce nom, c’est d’être à l’heure : c’est le devoir de diligence qui le commande ; celui de transparence aussi ; le devoir de décence enfin. Lundi, le Parlement se portait partie civile contre ceux qui ont tué un de ses membres les plus prestigieux et ont grièvement blessé son collègue et compagnon, Bassel Fleyhane, après avoir raté de très peu, il y a quatre mois, le député Marwan Hamadé. Hier, c’est la Cour de cassation qui portait vaillamment plainte contre X pour atteinte criminelle à la sécurité de l’État. Il reste que toutes ces gesticulations ne pèsent pas bien lourd face à la choquante impression d’inertie, sinon de mauvaise volonté, d’indifférence, de désinvolture face à la gravité exceptionnelle de l’événement, que laisse le comportement de l’État. Remue-t-il vraiment ciel et terre, l’État, pour découvrir commanditaires et exécutants de cet attentat, pour mettre un nom ou des noms sur ceux qui sont tapis derrière la lettre X ? On n’ira pas se prononcer, pour ce qui est du ciel ; quant à la terre, on serait prêt à jurer, au vu de ce comportement, que plus d’un responsable attend d’elle qu’elle se referme sur ses secrets : qu’elle engloutisse et qu’elle digère tout ce qui ne doit pas apparaître ni refaire surface. Il faut bien qu’on nous explique ainsi par quel prodige un corps mutilé – qui n’est pas celui, inexplicablement volatilisé, de l’infortuné Abdel-Hamid Ghalayini – n’est retrouvé sous la carcasse d’une voiture qu’une semaine entière après l’attentat : c’est-à-dire à un moment où les enquêteurs devraient avoir fini de passer le funeste site au peigne fin, ne serait-ce que pour mettre les indices à l’abri des averses. Voiture piégée, commando-suicide, charge souterraine ? À ce jour, on ne se résout pas encore à dire pour le moins aux Libanais (sans devoir pour cela trahir le secret de l’enquête) comment ont opéré les assassins, encore que les récents travaux d’infrastructure sur les lieux de l’explosion portent à privilégier la troisième de ces thèses. À l’ère du terrorisme intégriste en effet, c’est un jeu d’enfant pour tout service de renseignements qui se respecte (c’est-à-dire indigne de tout respect) que de se fabriquer une pâle réplique vidéofilmée de Ben Laden, tel celui apparu sur la chaîne al-Jazira, afin de brouiller les pistes. Et parce que l’heure n’est certes pas au sourire, on passera sur l’extravagante histoire de cette escouade de barbus qui, peu après l’attentat, se seraient envolés pour la lointaine Australie en laissant sur leur siège de chimériques traces de TNT. Classique paranoïa due au terrible traumatisme du 14 février, que cette irrésistible lame de fond populaire montant à l’assaut du pouvoir local et de la tutelle syrienne ? Les brillants cerveaux de la sous-république et leurs tuteurs n’auront, dans tous les cas, épargné aucun effort pour s’assurer, aux yeux des Libanais comme du monde, une place de choix au tout premier rang des suspects. La raison pure veut, bien sûr, que la Syrie, déjà placée sous étroite surveillance internationale, soit la première à pâtir des retombées d’un crime aussi énorme, ce qui devrait logiquement la mettre hors de cause. Et cependant l’impure logique des dictatures lui attire implacablement la suspicion générale. Car même si elle devait s’avérer innocente du sang de Hariri, la Syrie paie aujourd’hui de son autorité et de sa respectabilité la somme de présomptions entourant une longue liste de disparitions violentes et qu’une justice libanaise complaisante aura coupablement enterrées les unes après les autres, en même temps que les illustres victimes. Il est tout de même significatif qu’une très grande partie des Libanais ait rendu son verdict sans même attendre un début d’enquête ; et il est indéniable aussi que la brutale disparition de Hariri a donné du corps à la spectaculaire convergence euro-américaine sur le rôle néfaste de Damas au Liban. Le mystérieux X est de moins en moins un inconnu, et à la conférence de Bruxelles, le Britannique Jack Straw s’est hasardé à le désigner du doigt. C’est naturellement aux épaules les plus visibles que sont vouées les tailles extralarges. Pour en rester au prêt-à-porter de l’opprobre international – et par les dérives inouïes du ministre Addoum – la sinistre tâche de fossoyeur va comme un gant à la Justice libanaise. Laquelle, comme l’Intérieur, comme le Sérail, a vu à juste titre, dans la prochaine arrivée d’enquêteurs de l’Onu finalement accueillis du bout des lèvres, une claire marque de défiance, de désaveu envers cet État. Le pitoyable défilé de mode était plus qu’édifiant ; et il est grand temps de passer la main.

Mieux vaut tard que jamais, c’est bien vrai ; mais quand un séisme de l’ampleur de l’assassinat d’un Rafic Hariri frappe de la sorte le pays, le mieux pour les États dignes de ce nom, c’est d’être à l’heure : c’est le devoir de diligence qui le commande ; celui de transparence aussi ; le devoir de décence enfin.
Lundi, le Parlement se portait partie civile contre ceux qui...