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Actualités - OPINION

CITOYEN GROGNON Toute la misère du monde...

Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont là, dans le froid, maigres, sales, déguenillés, les pieds nus ou affublés de pantoufles déchirées, bien trop grandes pour leurs pieds. Filles ou garçons, ils ont 15, 10, 7 ou 5 ans. Parfois moins. La mine brouillée, les yeux ensommeillés, les cheveux emmêlés, les ongles noirs de crasse, ils traînent par bandes, de plus en plus nombreux, dans les rues de la capitale. Leurs journées, leurs soirées, leurs nuits parfois sont consacrées à une mendicité forcée. Ils tendent inlassablement leurs petites menottes : « Donne-moi 1 000 livres, que Dieu te garde, garde ta famille, tes enfants », répètent-ils inlassablement sous les yeux de leur chef, posté non loin de là. À Béchara el-Khoury, Achrafieh, Hamra, Sin el-Fil et même au centre-ville, le scénario est partout le même. Sautant carrément sur les véhicules, salissant les pare-brise avec leurs chiffons sous prétexte de les nettoyer, s’invitant par les fenêtres ouvertes à l’intérieur des voitures, jetant carrément leur marchandise à l’intérieur, espérant ainsi la vendre (si toutefois ils ont quelque chose à vendre), ils sont prêts à tout pour un millier de livres. Ils récitent leur litanie, supplient, pleurent, s’accrochent ferme au piéton ou retiennent l’automobiliste piégé, jurant qu’ils ne doivent pas rentrer chez eux les poches vides. Pris de pitié, vous tendez au plus jeune la menue monnaie qui envahit vos poches. Vous risquez fort bien d’être enseveli sous un torrent d’insultes si vous n’avez pas donné le minimum demandé, autrement dit les 1 000 livres tant espérées. Et si, par hasard, c’est bien un billet de 1 000 livres que vous offrez à l’enfant aux yeux tristes, c’est toute une horde de gamins quémandeurs qui envahiront votre voiture pour avoir eux aussi leur part. De quoi vous faire regretter d’avoir eu pitié... Difficile de rester impassible devant le spectacle de ces enfants, dehors dans la nuit glaciale, sautant d’une voiture à l’autre, à l’heure où d’autres dorment sur leurs deux oreilles dans des lits bien douillets. Difficile de ne pas éprouver de pitié à la vue de ce garçonnet assis à même le trottoir sous la pluie, la tête dans les mains, bâillant à s’en décrocher la mâchoire, ou au spectacle de cet autre, agressé par toute la bande pour je ne sais quelle raison. Qu’adviendra-t-il de cette jeune fille aux cheveux tressés teintés de henné, aux ongles laqués de vernis éculé ? Les questions se bousculent sans réponse. Mais il est de notoriété publique que ces enfants, cédés à des « tuteurs » par des parents aussi misérables qu’inconscients, sont amenés sur les grands axes de la capitale pour y mendier. Quant au fruit de leur mendicité, il ira remplir les poches de quelques mafieux protégés. Sans que personne ne trouve à y redire. Entre-temps, ces enfants continuent de mendier. Et dans leurs yeux, toute la misère du monde. Une misère que personne ne veut voir. Surtout pas le gouvernement qui pratique la politique de l’autruche, prétextant que les enfants des rues ne sont pas libanais ; ou que la loi lui interdit de les placer dans des institutions sans l’autorisation de leurs parents. Il reste à espérer que les enfants des rues seront inclus dans le nouveau Programme national contre le travail des enfants au Liban, même s’ils ne sont pas libanais, mais palestiniens, syriens ou kurdes ; même si l’application de ce programme doit se faire contre le gré de parents bien peu soucieux de la santé, de la sécurité et de l’intérêt de leurs enfants ; même si la mendicité ne figure pas sur la liste des travaux répertoriés par le ministère du Travail. Anne-Marie EL-HAGE
Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont là, dans le froid, maigres, sales, déguenillés, les pieds nus ou affublés de pantoufles déchirées, bien trop grandes pour leurs pieds.
Filles ou garçons, ils ont 15, 10, 7 ou 5 ans. Parfois moins. La mine brouillée, les yeux ensommeillés, les cheveux emmêlés, les ongles noirs de crasse, ils traînent par bandes, de plus en plus nombreux, dans...