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Actualités - OPINION

EN DENTS DE SCIE - La raison attend parfois le nombre des années

Cinquième semaine de 2005. Depuis plus de quinze ans, Michel Aoun a été un personnage de (bon ou mauvais) roman, le héros (noir ou blanc) autoproclamé d’une fiction qu’il s’employait lui-même à emmener, parfois, au-delà du réel. Depuis hier, Michel Aoun semble être entré, volontairement, consciemment, et en adulte, dans la réalité. Michel Aoun a sans doute dû faire un gros travail sur lui-même pour faire le tri de tout ce que l’académie militaire apprend patiemment à ses futurs généraux. Mais il l’a fait. Moins mégalomane ; moins péremptoire ; moins déterminé à prouver qu’il a la science infuse ; moins compulsif ; moins autoritaire ; moins persuadé d’être le seul à avoir résisté et d’être le seul qui continue de combattre tutelle, satellisation et dégénérescence ; moins convaincu que l’opposition libanaise doit avoir un seul leader et que ce leader ne peut être que lui... : il n’y a pas à dire, l’ancien Premier ministre semble avoir fait peau neuve. Il tend à prouver aux plus sceptiques que sept fois dix ans peut rimer avec âge de raison, et qu’à défaut d’avoir gagné en adaptabilité et en souplesse, il est devenu plus pragmatique. Même s’il continue, cela doit être atavique, de plonger de temps en temps, à l’intention d’un « peuple libanais qui s’est libéré, que nul ne peut tromper, manipuler ou atteindre », dans un doux populisme ; même si, de par ses réponses toujours un peu évasives, il ne paraît pas encore avoir saisi les urgences et les exigences d’une solidarité, d’une coordination et d’une cohésion tous azimuts entre l’ensemble des fractions de l’opposition. Et ce n’est pas parce que celui qui l’avait nommé Premier ministre il y a dix-sept ans, Amine Gemayel, traîne les pieds et multiplie des exigences de prima donna, que Michel Aoun doit s’autoriser des numéros solos totalement improductifs. Et ce n’est pas non plus parce qu’il s’est laissé aller à des hommages objectifs et justifiés à l’adresse du patriarche Sfeir et de Walid Joumblatt qu’il doit s’estimer exempté de coopération avec Kornet Chehwane. Quoi qu’il en soit, si Michel Aoun est l’un de ceux à qui les Libanais en général et les chrétiens en particulier doivent leurs moments les plus difficiles, il n’en reste pas moins que l’histoire est en train de prouver que ce général en exil – malgré sa totale et très grave ignorance de l’importance du facteur timing – a été l’un des très rares à avoir compris, sans doute intuitivement, que cet accord de Taëf a été totalement perverti, depuis plus d’une décennie, par les différents binômes Baabda-Anjar, vidé de toutes ses substances, pour devenir le garant d’une présence et d’une tutelle pérennes de la Syrie au Liban. Et pourtant... Aujourd’hui, le plus farouche procureur de cette même Syrie se retrouve courtisé par une grosse partie du pouvoir. Omar Karamé – en proie depuis quelques jours, comme la quasi-totalité de loyalistes, à une crise de nerfs carabinée – l’avait même qualifié de véritable « patriote ». Courtisé certes, mais aussi combattu par l’autre partie de ce pouvoir de plus en plus désordonné et illogique, de moins en moins homogène. Adnane Addoum persiste à vouloir l’arrêter dès qu’il posera le pied droit sur le tarmac de l’AIB. Ce régime avait visiblement décidé de se lancer dans deux bazars, aussi scandaleux et puérils l’un que l’autre. En fin d’année dernière, il aurait promis à qui de droit la libération de Samir Geagea en contrepartie de la totale neutralité des Forces libanaises aux prochaines législatives. Échec. Début 2005, ce même régime pensait monnayer avec Michel Aoun son retour au bercail, à condition qu’il se désolidarise du reste de l’opposition nationale. Échec ? Visiblement. Du moins, tout le monde le souhaite. « Cela fait quinze ans que je maintiens mes principes. Je ne vais pas les abandonner aujourd’hui, après toutes ces années. Je l’aurais fait il y a quinze ans, pour construire un palais à Beyrouth comme tant d’autres », a asséné le principal intéressé. Parce qu’il doit avoir entendu la rue, parfois la sienne, se demander, presque affolée, « pourquoi le général joue-t-il le jeu de la Syrie ? ». Sauf que même ses détracteurs les plus vaillants verraient difficilement Michel Aoun signer un quelconque accord avec Damas. À moins d’être totalement hermétique au bon sens, ou à moins, et c’est tout aussi peu plausible, qu’on ne lui ait promis un très gros paquet cadeau, en sus de sa fin d’exil. Il n’empêche, d’aucuns, écartant tout embryon d’idée de bazar, évoquent plutôt la volonté d’une partie du pouvoir libanais et d’une partie du tuteur syrien de dialoguer avec celui qu’ils estiment être, à tort ou à raison, le récipiendaire de la confiance des Américains. Extrêmement populaire, attendu par beaucoup de ses afficionados chrétiens, et même musulmans, comme un véritable messie, l’homme a compris que 2005 pourrait lui offrir sur un plateau en or l’occasion d’effacer le trop humiliant souvenir d’octobre 90. Et les quinze ans qui ont suivi. L’occasion également pour bon nombre de Libanais de lui pardonner ses égarements napoléoniens passés. Seule condition, encore et toujours : une solidarité et une coordination en titane avec toute l’opposition, ainsi qu’une écoute attentive et de chaque instant des conseils du patriarche Sfeir – mais aussi de ses arbitrages. D’autant que ce n’est pas parce qu’il a totalement raté le coche une fois qu’un homme public est dans l’impossibilité de réussir un surprenant, peut-être étourdissant, come-back. Le « À mon âge je ne change pas » n’existe pas en politique. Ziyad MAKHOUL
Cinquième semaine de 2005.
Depuis plus de quinze ans, Michel Aoun a été un personnage de (bon ou mauvais) roman, le héros (noir ou blanc) autoproclamé d’une fiction qu’il s’employait lui-même à emmener, parfois, au-delà du réel. Depuis hier, Michel Aoun semble être entré, volontairement, consciemment, et en adulte, dans la réalité. Michel Aoun a sans doute dû faire un gros...