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Hommage Aref Rayess, ou la dialectique esthétique (photos)

Comment parler de nos peintres morts, avec tout le sérieux et le respect dus à un véritabable artiste, quand le pays du Cèdre ne s’est même pas encore doté d’un musée national d’art moderne. Un musée national, c’est-à-dire indispensable et précieux écrin pour toute création picturale à sauvegarder pour les générations montantes. Et montrez- nous du doigt quel pays, même en decà du nôtre, n’en a pas... Oui on le sait – c’est d’ailleurs un secret de Polichinelle –, dans notre terre de miel et d’encens, on traite la culture (rien qu’à voir par exemple le délabrement et le sinistre de notre théâtre, tant l’État brille par son absence) par-dessus la jambe, et on n’accorde de crédit qu’aux mercantiles gabégies de toute sorte... Et pourtant, Aref Rayess, emporté aujourd’hui par la Grande Faucheuse à l’âge de 76 ans, n’en rêvait pas moins, lui aussi, de ce musée où ses toiles, ses sculptures et ses écrits (pour ceux qui l’ignorent, il en avait, et des plus percutants, à l’image de son personnage truculent) iraient un jour reposer... Pour le retrouver, aujourd’hui on a recours bien entendu à la mémoire, aux souvenirs, aux connaissances et aux amis, à la générosité et la magnanimité des collectionneurs, à certains galeristes vigilants, mais aussi aux pages de quelques livres, dont ce précieux ouvrage mené à bon port par Richard Chahine intitulé Cent ans d’art plastique au Liban , qui nous tient lieu de référence... C’était en hiver 1993. Le temps était gris, mais Aley toujours d’une séduction extrême, malgré ses rues encore abandonnées par la guerre et ses maisons non ravalées et parfois en gruyère. Et là, dans un jardin où dorment saules pleureurs et sourient de grands portails en fer forgé, vivait Aref Rayess entre ses sculptures et ses toiles stockées dans une chambre atelier contre un mur. Denière forteresse pour oublier le désastre causé par des bombes aveugles et si peu respectueuses de la vie et de l’art... De même qu’il faisait souvent allusion à ce carnet de notes où il couchait « ses visions » et ses pensées. Car, il ne faut jamais l’oublier, par-delà le personnage anxieux et angoissé aux extravagances parfois daliniennes, au rire rabelaisien, aux propos corrosifs, à la peinture jamais gratuitement décorative mais dénonciatrice, subversive, et des sculptures taillées par un burin impitoyable et torturé, il y avait un redoutable intellectuel et un fin lettré. Un être aux aguets de tout ce qui déraille! Audodidacte et redoutable intellectuel On l’a rencontré en cette période de convalescence où les gens tentaient de cautériser les plaies de la guerre. L’œuvre d’une vie était menacée – plus d’un demi-siècle de labeur –, et Aref Rayess veillait à ce qu’elle repose en paix dans des limites sacrées que nul n’enfreindra plus jamais... Rappel d’un parcours exceptionnel plongé un peu dans l’oubli ces dernières années, mais parle-t-on encore sérieusement peinture au Liban ? S’y intéresse-t-on vraiment, mis à part quelques Marie-Chantal nanties et autres farfelus snobs cousus d’or ? C’est-à-dire comme en 1973 où une exposition pouvait secouer, bouleverser Beyrouth et faire des ondes de choc comme en Bourse ? Né à Aley en 1929, Aref Rayess n’est pas un artiste de tout repos. Autodidacte mais aussi formé dans les ateliers de Fernand Leger, André Lhotte, Friandlander, Zadkine, et la Grande Chaumière, ce pilier de l’art libanais était aussi fondamentalement un penseur. On met de côté l’aspect conventionnel de l’artiste, couronné de prix, professeur à l’Université libanaise, président de l’Association des peintres et sculpteurs, pour garder l’image d’un infatigable voyageur traquant images et émotions. Adepte chevronné de « la dialectique esthétique », rompu à une palette incroyablement mobile et d’une inspiration infiniment variée, Aref Rayess, follement passionné d’idées et de liberté, était de ceux qui connaissaient la valeur d’une démocratie. Une démocratie qui pourvoyait liberté de penser et d’agir car on l’a taxé en vain, et bien injustement, de provocateur, lui qui n’était que prémonition... Il appartient à un Liban qui a ses souvenirs... Les années 50, 60, 70, connaissez-vous ? Un Beyrouth où tintaient les rails des tramways, où la rue al-Moutanabbi était plus fellinienne que nature, où Hong Kong enviait la prolifération de nos produits américanisés, où la doce vita et les pétrodollars, non seulement enivraient littéralement, mais aussi permettaient tous les excès et toutes les témérités... Contestataire de naissance, Aref Rayess a toujours oscillé entre témoignage et révolte. D’une effrayante lucidité, il s’est doté d’une œuvre où la beauté est singulière. Une œuvre agitée et «agitante» (qu’on nous passe le barbarisme) qui n’a jamais passé inaperçue ou dans le silence. Un cri et une stridence déchirante devant l’injustice humaine, malgré tous les masques! Pessimisme stimulant pour un artiste qui avait aussi les formules non seulement « corianniennes » mais aussi lapidaires et parfois cyniques. Il voulait parfois enfermer et définir la puissance et la fragilité de l’art et de la vie. Voici quelques uns de ses aphorismes, surprenants de vérité et de cruelle vérité : «Dessiner, sculpter, graver, s’amuser à créer, c’est fuir la pensée qui mène nulle part, le destin nous mène très bas, ici bas. »... « On peut affirmer qu’il est difficile de vivre avec la femme et plus difficile de vivre sans elle. »... « Comme les boîtes, les hommes se promènent, il faut les ouvrir pour savoir s’ils sont pleins ou vides. »...« Imiter la nature, c’est banal, imiter l’imitateur serait idiot. » ...« L’art comme la vie, beau mensonge. Il faut y croire, l’art est nous-mêmes. » Edgar DAVIDIAN
Comment parler de nos peintres morts, avec tout le sérieux et le respect dus à un véritabable artiste, quand le pays du Cèdre ne s’est même pas encore doté d’un musée national d’art moderne. Un musée national, c’est-à-dire indispensable et précieux écrin pour toute création picturale à sauvegarder pour les générations montantes. Et montrez- nous du doigt quel pays, même en...