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Actualités - CHRONOLOGIE

Entretien - Bilan 2004 et perspectives 2005 pour le chef du PSP avec « L’Orient-Le Jour » Joumblatt : Le Liban est le seul État satellite du monde ; même au sein du pacte de Varsovie, il y avait des ambassadeurs... (photo)

«Je suis libre. Et c’est magnifique. » Walid Joumblatt. Des remparts d’Elseneur, mille fois moins accueillante que Moukhtara la verte, le fantôme du roi apprend à son fils, Hamlet, qu’il a péri assassiné ; il lui révèle l’identité des commanditaires. « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. » Piégé par le XVIIe siècle, l’impressionnant Hamlet n’accédera à la conscience et à la liberté qu’en tuant son oncle et sa mère, responsables de la mort de son père enfin vengé, puis en décédant ensuite, empoisonné. Le fils de Kamal bey n’a pas tué, il ne mourra pas, mais dans cette quête difficile, rude et bien plus ancienne que ne le pense la majorité de ceux qui l’observent depuis des années, cette quête de la liberté et du legs paternel, moral et politique – les retrouver, c’est la plus belle des vengeances –, il y a du Hamlet dans Walid Joumblatt. « Quelque part, oui. Une volonté, une nécessité de reprendre l’héritage, la pensée du père. Cela fait des années que je patiente, que j’attends ; j’ai essayé en 2000, mais le 11 septembre 2001 est arrivé et a tout mis entre parenthèses. Mais j’avais l’intuition, la sensation, la certitude que cela devait être fait l’année dernière, a-t-il dit hier dans un entretien avec L’Orient-Le Jour ; le Liban est le seul État satellite au monde, même dans l’ancien Empire soviétique, au sein du pacte de Varsovie, il y avait des ambassadeurs », rappelle-t-il. Il n’y a évidemment pas que l’intuition pure, ou le besoin des racines, ou la certitude que seule la démocratie peut sauver le monde arabe ; l’ultrapragmatique, l’animal politique que vous êtes, n’a pas choisi l’année 2004 au hasard. « On a tous profité de ce mouvement planétaire en faveur de la souveraineté et de l’indépendance du Liban, mais ce n’est pas une relation de cause à effet. Cet été, j’ai patienté, j’ai reçu des émissaires, et puis je me suis levé. » « Deux peuples, deux États » Qu’est-ce que vous représentez aujourd’hui pour le pouvoir et son tuteur ? « Je suis le traître, le renégat, celui qui a contribué à la déconfessionnalisation de l’opposition. Il y a deux semaines, ils ont essayé de m’amadouer, avec un coup de téléphone. Idem pour Rafic Hariri, qui a été invité à déjeuner par Rustom Ghazalé, mais qui a prétexté un voyage – il est d’ailleurs parti le lendemain... Et puis ils ont essayé de me décrédibiliser aux yeux des musulmans, avec l’histoire de Sobhi Saleh, puis des chrétiens, avec celle de René Moawad. Sans compter qu’ils sont violents, ils ont essayé de tuer Marwan Hamadé. Sauf que la Syrie a reçu ensuite un avertissement en bonne et due forme de la part des puissances occidentales. » Comment faire face aux interminables tentatives d’intimidation ? « J’utiliserai tous les moyens légaux. L’opposition est d’ailleurs en train de mettre sur pied un comité d’avocats. » Et il y a l’affaire Kamal Joumblatt... « Tous les crimes qu’ils ont commis seront révélés ensemble au grand jour. Je ne leur conseille pas de s’amuser avec les dossiers. » Et pourtant. Vous continuez à critiquer plusieurs aspects de la 1559, à vouloir ménager le tuteur. « Non. Je leur propose simplement une porte de sortie honorable, entre la 1559 et la débâcle : Taëf. Qu’ils démantèlent l’appareil des services de renseignements. Qu’ils positionnent leurs soldats en quelques points de la Békaa, comme les GI en Allemagne. Qu’on en finisse avec Anjar. C’est le seul moyen d’établir une relation de confiance. » Des relations diplomatiques ? « Des relations d’État à État qui devront mener un de ces jours à des relations diplomatiques. En attendant, que ce Conseil supérieur mixte fasse véritablement son travail. Il est intolérable que certaines nominations-clés au sein de l’armée ou de la police se décident à Anjar, au détriment du commandement en chef de l’armée. Sans compter l’UL, l’Administration, les moukhtars, etc. Sans compter également qu’il faut remettre en cause le slogan cher à Hafez el-Assad : “Un peuple, deux États”. Il y a beaucoup de liens de parenté entre les Libanais et les Syriens, mais nous sommes deux peuples absolument distincts. Même les Chinois ont été plus intelligents avec Hong Kong ; un peuple, deux systèmes... Ici, c’est deux peuples, deux États. » Un gouvernement transitoire pour les élections et le départ des Syriens Finalement, Rafic Hariri a bien fait de lever, ravagé de l’intérieur, sa main, ce fameux vendredi 3 septembre, place de l’Étoile, pour la prorogation du mandat Lahoud ? « Cette bêtise historique nous a donné une chance historique. » Vous continuez à avoir beaucoup d’indulgence pour l’ancien Premier ministre... « Non ; il a son style d’opposition. Et puis Ghattas Khoury représentait le Courant du futur à la dernière réunion de coordination issue de la rencontre du Bristol. » Et la bombe Sélim Hoss ? « L’important est qu’il ne change pas d’avis. À sa façon, il essaie de trouver une porte de sortie au Syrien. Et puis, c’est un animal politique aussi, il veut sans doute se représenter à Beyrouth, et il sait que les Beyrouthins en ont marre des ahbache et des Nasser Kandil. » Toutes les communautés ont désormais le sentiment d’une fin de règne ? « Il ne faut pas se lancer dans un antisyrianisme primaire. Il faut laisser une issue honorable. Mais même les gens du Hezbollah ne sont pas dans une situation agréable. » Et Amal ? « C’est la décomposition totale. Je ne sais pas comment Nabih Berry a réussi à se décrédibiliser à ce point. » Qu’est-ce que la France peut apporter au Liban aujourd’hui ? « La France, c’est l’Europe, et l’Europe est aux portes du Liban et de la Syrie ; le partenariat européen est très important. Et pourquoi pas un jour ne ferions-nous pas partie de l’UE ? Les Turcs ne sont pas mieux que nous... » Mais au-delà de cela... « La France peut réduire certains excès de faucons américains tentés par un changement de régime en Syrie. » La Syrie écouterait-elle la France ? « Je ne sais plus du tout ce qui se passe à Damas. » Et maintenant ? Début 2005, avec des législatives censées se dérouler au printemps ? « Le régime est aux abois, il risque de griffer ; il faut absolument contrôler les Services. Il faut un gouvernement transitoire pour préparer les élections et le départ des Syriens. » Qui le présiderait ? Hariri ? « Je ne sais pas. Il faut quelqu’un de neutre. Mais tout cela doit avoir lieu avant les élections. Sauf qu’ils considéreront qu’un changement de gouvernement serait une défaite, alors que ce serait au contraire une preuve de leur volonté de dialogue. Il faut de l’audace et du courage. » Qui ? « Cela relève de Damas. Il faut une nouvelle vision. » Existe-t-elle à ce jour ? « Je ne sais pas. Peut-être y a-t-il certains signes timides. Assad aurait dit à un haut responsable que les SR au Liban ont commis des erreurs. » Personne au pouvoir au Liban ne pourrait avoir cette vision ? « Vous plaisantez. Ce pouvoir n’existe pas, il n’a et ne peut avoir aucune initiative. Anjar dirige tout. À l’époque de Hraoui, il y avait tout de même une certaine marge de manœuvre, mais à cause de Lahoud, au pouvoir depuis 92, le binôme Hraoui-Hariri ne pouvait rien faire : tout était aux mains de l’armée et des SR. » « Un référendum en faveur d’un Liban désatellisé » Vous avez appelé à la démission du chef de l’État, dit que nous sommes aux portes d’une révolution blanche. « Si la loi électorale n’est pas saine et représentative, ou en cas d’abus antidémocratiques, nous demanderons au président Lahoud de démissionner. Même s’il devrait démissionner aujourd’hui, déjà il n’existe pas, et puis ce serait une belle porte de sortie pour les Syriens. » Comment vous y prendrez-vous éventuellement ? « Des démissions massives de députés, des grèves générales... Il nous faudra surtout mobiliser le peuple libanais ; au lieu de petites manifs localisées, où il y aurait entre autres le CPL et le PSP, il faudra que tout le monde bouge. Le peuple libanais est désormais mûr, il en a plus que ras le bol. C’est un appel politique, et rien d’autre. » Les élections sont-elles réellement une étape plus que majeure ? « Absolument. Ils ont dit que ce serait un référendum pour ou contre la 1559. Nous disons que c’est un référendum en faveur d’un Liban démocratique, unifié, indépendant, désatellisé. » Quels sont vos objectifs ? « Dépasser les 50 % des sièges au Parlement. » Avec des listes communes ? « C’est une priorité. Le pouvoir nous attend à la moindre fissure, à la moindre divergence entre nous. Il nous faudra dépasser les intérêts personnels et tribaux ; chacun de nous devra faire des sacrifices et mettre son amour-propre au vestiaire. » Il faudra des observateurs internationaux ? « Oui, bien sûr que oui. Qui va neutraliser les SR quand ils interpelleront les moukhtars dans la Békaa, au Sud, au Nord ? Il faut agir vite. En cas de pressions brutales, le citoyen n’hésitera pas à aller se plaindre à ces instances et autres ONG. » L’opposition a fait une demande en ce sens ? « Nous sommes en train. » Vous êtes étonnamment optimiste, motivé, excité même par la bataille. « Oui, je suis optimiste. Il faut donner le ton, se lancer. Les obstacles sont énormes. Il n’est pas facile de démembrer seize ans d’intérêts politico-financiers maffieux. » Et l’alternative ? « Là aussi ce sera particulièrement ardu. Il faudra tout reconstruire, de A à Z. La racaille est partout. » Vous avez conscience que vous êtes personnellement – avec bien d’autres, même si un peu plus que les autres en raison de votre passé – en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire du Liban ? « Ce n’est pas moi. C’est mon père. » Ziyad MAKHOUL
«Je suis libre. Et c’est magnifique. » Walid Joumblatt.
Des remparts d’Elseneur, mille fois moins accueillante que Moukhtara la verte, le fantôme du roi apprend à son fils, Hamlet, qu’il a péri assassiné ; il lui révèle l’identité des commanditaires. « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark. » Piégé par le XVIIe siècle, l’impressionnant Hamlet...