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Culture - Rencontre

Hyam Yared révèle les blessures des villes à travers une performance poétique inédite en France

Pour accompagner la parution de son dernier recueil « Du Feu autour de l’œil » (Mémoire d’encrier, 2025), la romancière propose avec différents artistes une performance poétique pluridisciplinaire au théâtre de l’Essaïon, décuplant les niveaux de réception d’un texte qui interpelle.

Hyam Yared révèle les blessures des villes à travers une performance poétique inédite en France

La romancière franco-libanaise Hyam Yared. Photo Anna Serrano

« Je n’écris pas pour faire joli », prévient d’emblée la romancière et poète Hyam Yared dont le dernier recueil, Du Feu autour de l’œil, met en regard ses textes récents avec des poèmes écrits il y a 20 ans, rassemblés sous le titre Blessures de l’eau. Deux décennies plus tard, le verbe est plus ramassé, la phrase plus incisive, mais les plaies béantes de la ville, de la terre et du corps sont encore à vif, traversées par la violence et la passion.

« Alors

elle a dansé, la ville, avec ses ombres et ses lumières. Avec

ses moignons en bouquet sur des ruines.

Mais ça n’a pas suffi.

Alors on lui a dit baise la ville et la ville a baisé.

Tue et la ville a tué. »

Les 15, 22 et 29 juin, le théâtre de l’Essaïon accueille Hyam Yared ainsi que Ghazi Frini, vidéaste, et Cynthia Caubisens, musicienne, pour proposer une amplification synesthésique des poèmes. « Au départ je voulais proposer une lecture poétique, et puis on a construit l’idée d’une mise en scène poétique, en collaboration avec la metteuse en scène Sophie Langevin. Un texte se construit dans l’échange avec d’autres regards que le sien. Le regard d’un auteur sur son texte peut être un peu claustrophobique, on est enfermé avec son texte, et j’aime partager sur les planches les perspectives d’un vidéaste et d’une musicienne », précise l’autrice, qui souligne la dimension atypique de cette création interdisciplinaire. « La création n’est pas figée, elle accompagne la mobilité de l’imaginaire. En échangeant avec Cynthia, et selon ses compositions musicales autour de mes textes, j’ai construit une autre narration, qui remet en question la chronologie des poèmes dans mon livre. Le regard de l’autre nous invite à interroger notre propre création », constate vivement la poétesse qui va interpréter sur scène ses propres vers.

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« J’aime l’oralité des textes, poétiques et romanesques, et j’ai toujours été tentée par une mise en scène de soi et des textes sur des planches. Je me rends compte à quel point le métier de comédien est difficile, mais je crois dans le travail et l’expérience », confie-t-elle d’une voix émue. En parallèle de la trame narrative musicale, le vidéaste Ghazi Frini a composé des tableaux vidéographiques à partir notamment de collages d’Irina Prentice. « L’artiste a réalisé des collages à partir de mes textes, ses créations ont aussi inspiré mes écrits. Son travail, qui est abstrait, est augmenté par le travail de vidéographe de Ghazi, qui propose une graphie minutieuse d’images et de vidéos à partir des collages. L’enjeu de ce projet est de réussir à trouver le ton juste, sans surcharge. La passion est un fil que l’on déroule, elle amène des rencontres, et des échanges, souvent merveilleux », ajoute-t-elle avec conviction.

« Porter le pays en bandoulière »

« Du Feu autour de l’œil parle de territoires envahis, de villes détruites, c’est une mise en abyme de nos corps intimes et de nos corps urbains. Je l’ai écrit depuis le Moyen-Orient, depuis mon histoire personnelle, depuis la guerre, la colonisation, depuis Gaza, depuis les événements de ces deux dernières années », explique celle qui écrit « porter le pays en bandoulière ». Les poèmes proposent un jeu de miroir prégnant avec la réalité.

« Dis-moi

comment reconnaître l’enfance sans cette balle logée

dans le crâne de mon père.

Par quelle bouche

engloutir

nos insurrections nées au pied

des citronniers brûlés de l’enfance. »

L’esthétique de la tragédie traverse un recueil vibrant de destructions. « La musique essaye de transcender un texte qui lui-même essaye de transcender le réel. Nous invitions l’imaginaire quand nous ne pouvons plus nous en sortir avec le réel. La poésie part des charniers, de l’histoire de la région, elle cherche une ouverture, elle nous sauve tout en nous gardant proches de la réalité », indique la poétesse. Les échos entre les deux ensembles de poèmes que 20 ans séparent enrichissent l’expérience poétique de l’instant. « Blessures de l’eau est plutôt une ode amoureuse à travers les éléments de la terre, du ciel, l’air. C’est une ode amoureuse organique, avec cette terre que les guerres malmènent, celle de nos frontières constamment remises en question. Vingt ans plus tard, j’écris Du Feu autour de l’œil, avec un regard plus politique mais toujours amoureux par rapport à nos villes. Le Moyen-Orient est victime du regard occidental datant de Sykes-Picot, on nous a définis, selon leurs enjeux et leurs intérêts. Et on en paye encore le prix aujourd’hui, sans aucun respect pour notre propre souveraineté », déplore amèrement la poétesse. « On a subi cette déformation, et on se cogne dessus, avec tout ce que cela implique politiquement autour de nous, dans cette région qui est stratégiquement au croisement des mondes. On est fatigués ! » enchaîne Hyam Yared.

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D’un recueil à l’autre, le même regard amoureux et érotique sur la ville, entre les murs et les ombres. « La guerre est une lutte des genres, elle est phallique. Les territoires envahis sont des femmes, Gaza est une femme abusée, violée. C’est comme ça que je vis la guerre, la lutte qu’engendrent les guerres répond aux logiques systémiques de la domination des genres. J’aime bien genrer la ville quand elle devient victime d’une force de frappe démesurément dominante par rapport à sa capacité à recevoir autant d’abus », explique la romancière. « Ce recueil propose une réflexion sur le corps territoire, quand il se donne érotiquement à l’autre, avec la question du sujet et de l’objet. Chacun est à la merci de l’autre ; l’arrivée de la guerre parle du risque de la destruction des corps », complète l’autrice.

En même temps, un élan vital se dessine entre les vers sombres des poèmes, il rappelle la beauté du monde, la force des émotions et leur pureté. « C’est la tragédie de notre région, plus on va mal, plus on s’accroche à l’espoir. La beauté a besoin de la laideur ; ce qui est pur dans mon écriture, c’est la douleur, elle est pure dans son incarnation, et elle contient en elle une pulsion de joie, qui nous est vitale. Cette force de vie est le pendant de la tragédie », explique celle qui passe du roman à la poésie avec fluidité. « Je lâche le roman pour la poésie quand je ne peux plus ajouter de logique à l’insoutenable réalité. Là, il me faut ouvrir d’autres portes. Cela devient une nécessité, je me mets au service de l’inexplicable, de l’intangible », ajoute-t-elle avec passion.

Du Feu autour de l’œil permet, selon elle, de « consolider et légitimer notre douleur, légitimer de dire que nous avons mal, que ce qui nous arrive est injuste ».

Hyam Yared prépare actuellement un texte romanesque fictionnel autour du personnage d’une écrivaine fatiguée de mener des engagements intellectuels au sein desquels elle se sent impuissante.

« Ton corps a l’aphonie d’une virgule.

Rien n’est plus ardu dans une phrase que ce que le geste

dérobe au langage.

J’ai enfilé tes mots bout à bout pour donner au silence

une raison d’exister. »

« Je n’écris pas pour faire joli », prévient d’emblée la romancière et poète Hyam Yared dont le dernier recueil, Du Feu autour de l’œil, met en regard ses textes récents avec des poèmes écrits il y a 20 ans, rassemblés sous le titre Blessures de l’eau. Deux décennies plus tard, le verbe est plus ramassé, la phrase plus incisive, mais les plaies béantes de la ville, de la terre et du corps sont encore à vif, traversées par la violence et la passion.« Alorselle a dansé, la ville, avec ses ombres et ses lumières. Avecses moignons en bouquet sur des ruines.Mais ça n’a pas suffi.Alors on lui a dit baise la ville et la ville a baisé.Tue et la ville a tué. »Les 15, 22 et 29 juin, le théâtre de l’Essaïon accueille Hyam Yared ainsi que Ghazi Frini, vidéaste, et Cynthia Caubisens, musicienne, pour proposer...
commentaires (1)

''Le Moyen-Orient est victime du regard occidental datant de Sykes-Picot, on nous a définis, selon leurs enjeux et leurs intérêts. '', depuis quand ? Depuis Sykes-Picot, et on, et on et on, et leurs enjeux et leurs intérêts. Depuis Sykes-Picot, bonne chance.

nb

09 h 19, le 14 juin 2025

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Commentaires (1)

  • ''Le Moyen-Orient est victime du regard occidental datant de Sykes-Picot, on nous a définis, selon leurs enjeux et leurs intérêts. '', depuis quand ? Depuis Sykes-Picot, et on, et on et on, et leurs enjeux et leurs intérêts. Depuis Sykes-Picot, bonne chance.

    nb

    09 h 19, le 14 juin 2025

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