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Culture - Vient de paraître

Hyam Yared : Nous sommes tous des comateux !

La romancière parle de ses personnages comme s'ils étaient réels, vivants ; comme s'ils étaient des proches. Et pourtant, les trois héros principaux de son quatrième roman, Tout est halluciné, publié chez Fayard*, ne sont que les fruits de son imaginaire. Halluciné ?

Hyam Yared, plume combative mais regard apaisé.

Depuis L'armoire des ombres, en 2006, Hyam Yared ne cesse de tisser une œuvre romanesque habitée par une intense soif de liberté. Une œuvre ardemment dénonciatrice du poids des traditions dans nos sociétés patriarcales et souvent abordée à travers la voix d'une narratrice qui lui ressemble étrangement. Cette voix singulière de la littérature libanaise, qui se sert des mots comme d'une arme de revendication, semble s'être adoucie. Dans Tout est halluciné, son quatrième roman, l'âpreté du ton s'est atténuée, l'incandescence du rythme des phrases aussi. D'ailleurs, même physiquement, la jeune quadragénaire aux boucles blondes dégage désormais quelque chose de serein et d'apaisé. Pour autant, Hyam Yared n'en reste pas moins fidèle à ses thèmes, ses combats, ses exorcismes ou encore ses idéaux.
Son dernier roman, qui vient de paraître aux éditions Fayard, est ainsi, encore et toujours une histoire d'émancipation féminine. Le récit d'une « taraudante » recherche de soi à travers une inaccessible quête de vérité.

Née à cinq ans
Justine, l'héroïne centrale, est née une seconde fois à l'âge de cinq ans, le jour où elle s'est réveillée d'un coma amnésique. La petite fille se retrouve face à un homme qui lui dit « je suis ton père ». Mégalomane et totalement décalé, ce peintre réparateur d'icônes byzantines vit dans la nostalgie de Byzance et le regret de la chute de Constantinople. Justine va grandir au Caire à ses côtés. Décidé à se charger lui-même du vide dans le cerveau de sa fille, il lui égrène à longueur de journées des versets des Évangiles et tente de lui inculquer ses croyances, son fanatisme et son repli identitaire. Mais surtout il lui interdit de prononcer deux mots : Liban et mère.
À l'adolescence, Justine se tourne vers l'écriture et la littérature pour essayer d'en extraire des indices qui pourront l'aider à se libérer, à se constituer une identité hors de celle qu'on veut lui faire endosser. Évidemment, cela déclenchera l'opprobre parentale. Pour retrouver des traces de sa mère, combler les blancs de sa mémoire et débusquer la réalité du mythe, elle s'envole vers le pays tabou. « Ce pays ravagé, autrefois berceau de tant d'espoirs. » Elle y rencontrera, entre autres, Dalal, une photographe, militante libano-palestinienne qui se bat contre le mensonge politique. Cette dernière l'aidera à mesurer, comme en écho à ses propres aspirations à la liberté, combien d'illusions brisées jalonnent l'histoire du Moyen-Orient.

Trois versions d'une vie
« J'avais envie de parler d'une petite fille sortie d'un coma qui essaye de se fabriquer un substitut à son amnésie, qui essaye de se recréer une mémoire, confie Hyam Yared. Comment fait-elle pour ne pas se perdre entre les différentes versions d'une vie ? Parce qu'il y a toujours l'histoire factuelle d'une vie, l'histoire racontée par les autres de cette même vie et l'histoire qu'on se raconte nous-mêmes. Et, au final, on aboutit inévitablement à une perte de repères entre fiction et réalité. D'où le titre de ce roman. »
Bien qu'étant construit comme une fresque pour englober l'histoire, Tout est halluciné n'est pas un roman historique. « J'ai voulu donner à chacun de mes personnages une obsession d'une période particulière de l'histoire en référence aux mythes qu'on se crée », indique l'auteure. Mythes personnels, mais aussi collectifs. « Il y a bien sûr un rapport avec le Liban, son amnésie, l'histoire qu'on veut se raconter, l'histoire telle qu'elle a été et que personne ne peut raconter, parce que les seuls qui auraient pu le faire ne sont plus là », poursuit-elle. « Le fait qu'on ne sache pas couper avec le passé et qu'on s'empêche ainsi de vivre au présent, je pense que cela s'applique à nous Libanais, du point de vue d'une guerre civile dans laquelle nous sommes toujours coincés. Finalement, Justine c'est chacun d'entre nous. Car nous sommes tous des comateux », assure Hyam Yared.
« C'est aussi un livre sur le mensonge, ajoute-t-elle. Au-delà du mensonge qu'on se fait à soi-même, c'est celui du mensonge qu'on vous fait porter. Et il n'y a rien de pire. Car c'est le mensonge qui crée la violence. »
Vous l'aurez deviné, cette passionaria du verbe a mis, comme toujours, ses révoltes et ses tripes dans ce gros pavé de 436 pages. Un roman qui tient, cependant, le lecteur en haleine jusqu'au retournement final. Une construction intelligente pour un imaginaire pas plus halluciné qu'un autre !

*Disponible à la librairie el-Bourj.

Depuis L'armoire des ombres, en 2006, Hyam Yared ne cesse de tisser une œuvre romanesque habitée par une intense soif de liberté. Une œuvre ardemment dénonciatrice du poids des traditions dans nos sociétés patriarcales et souvent abordée à travers la voix d'une narratrice qui lui ressemble étrangement. Cette voix singulière de la littérature libanaise, qui se sert des mots...

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