Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Des profondeurs de la nuit...

Incongrue aux yeux du profane, cette obstination que les Libanais mettent, en dépit des sollicitations sanglantes de l’actualité, à se complaire dans la lecture à haute voix de leur histoire, à ressasser les récits ou les mythes anciens, chaque fois remontant un peu plus dans le passé, étendant plus loin l’ambition de leur impérialisme culturel, n’a pas d’autre sens en fin de compte que le geste du commerçant d’Achrafieh ou du paysan de Jibchit, quelques minutes après avoir retrouvé sa boutique ou sa ferme, détruite par un bombardement, entreprend de la reconstruire sans trop savoir s’il disposera des matériaux suffisants pour mener sa tâche à bien ou si, les réparations exécutées, une nouvelle agression n’en annulera pas les effets. La création du monde exclue, les plus fanatiques de ces historiens, de métier ou amateurs, revendiqueraient pour leur petite patrie la paternité de tous les gestes qui ont fait l’homme, et de toutes les explorations qui lui ont soumis la planète.

Comme si la réplique à tant d’événements qui, au-delà d’ébranler les structures du pays, accumulent les remises en cause de son existence même, par toutes les voies possibles – invasion, éclatement ou occupation – et par ces innombrables retournements d’alliance qui proclament le scepticisme de ses auteurs sur le droit à survivre du peuple objet de leurs combinaisons. Si cette réplique ne pouvait être qu’une ambition démesurée, une boulimie de titres pour être respecté et reconnu : comme si la meilleure assurance contre un renvoi au néant ne pouvait être que la présomption d’avoir tout découvert, et par là, acquis le droit à une reconnaissance aussi universelle que durable. Comme si, entre une capitulation en forme de suicide et un défi d’une folle présomption au reste du monde, toute attitude intermédiaire était interdite ou vaine : « Plus tu me dois de savoir, plus tu me dois de soutien. Et à me laisser périr tu laisserais tarir la propre source ».

Lancé des profondeurs de la nuit quand chaque aube dénie un peu plus que la précédente la vocation à survivre de cette petite poche montagneuse, le défi expose son auteur à une trop facile dénégation. Néanmoins, pendant laïc de la prétention d’Israël à être l’élu de Jéhovah, il s’affirme mieux que celui-ci, puisque Dieu n’y a point part, qu’Il peut exister, sans considération de taille ou de puissance, des entités géographiques et humaines « nécessaires », au sens mathématique ou physique du terme, et indéfiniment nécessaires, qu’elles soient ou non constituées en états souverains.

À tant se meurtrir, à si longtemps s’acharner à sa propre destruction, par mitraille et par obus, par explosions et par supplices, dans un chapelet ininterrompu de pièges et de rapts, d’embuscades et de batailles, le Liban, falaise extrême de l’Asie occidentale mordue par les derniers ressacs de la Méditerranée, parcelle proche-orientale pas plus grosse que deux départements français, ne serait plus que souvenir, si, outre l’obstination de ses hommes aussi ardents à restaurer qu’à mutiler et à reconstruire qu’à démanteler, l’histoire, ancienne comme toute récente, n’avait accumulé en sa faveur les raisons d’être – et de persévérer – chacune paradoxalement trouvée derrière la brume d’un mythe.

N’est pas porteur de mythes qui veut. Et que ces mythes dont le Liban en est le thème, transfigurent un des aspects de la réalité la plus tangible, d’une réalité assez riche et assez substantielle, pour manquer au monde si jamais des déchirements intestins ou des interventions étrangères finissaient par l’ensevelir sous leurs cendres ou l’écraser sous leurs bottes.

Car il en est des pays comme des hommes : leur faculté d’engendrer l’amitié, l’attachement, l’affection ne dépend pas de leurs mensurations mais de leur rayonnement. Et, en transmutant en un temple aux myriades de colonnes un massif, impressionnant certes aux yeux du nautonier ou du chamelier, avec ses stries successives de blanc neigeux et de vert sombre et la verticalité de sa chute sur la mer, mais comparable, après tout, à d’autres. En consacrant en quelque sorte un territoire dont il a, pas à pas, défini les limites avant d’en déterminer les frontières de droit, le Liban s’est donné vocation à rayonner autour de lui et, au-delà d’un Orient dont il est chair et sang, jusqu’au bout du monde.

Et si le Liban manquait au monde ?


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Incongrue aux yeux du profane, cette obstination que les Libanais mettent, en dépit des sollicitations sanglantes de l’actualité, à se complaire dans la lecture à haute voix de leur histoire, à ressasser les récits ou les mythes anciens, chaque fois remontant un peu plus dans le passé, étendant plus loin l’ambition de leur impérialisme culturel, n’a pas d’autre sens en fin de compte que le geste du commerçant d’Achrafieh ou du paysan de Jibchit, quelques minutes après avoir retrouvé sa boutique ou sa ferme, détruite par un bombardement, entreprend de la reconstruire sans trop savoir s’il disposera des matériaux suffisants pour mener sa tâche à bien ou si, les réparations exécutées, une nouvelle agression n’en annulera pas les effets. La création du monde exclue, les plus fanatiques de ces historiens, de...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut