Étrange nation que la nôtre où le combat des autres ne cesse pas, où les mercenaires sont innombrables, venus agresser des gens paisibles et une terre dont le seul rêve est de retrouver la sécurité et la quiétude. Étrange nation que la nôtre où l’harmonie a été balayée par un vent de folie, comme si les hommes ne comprenaient que le langage de l’hostilité. Étrange nation que la nôtre où la démocratie, qui fut notre fierté, subit sans arrêt des coups mortels de la part de ceux-là mêmes qui prétendent nous restituer notre souveraineté volée et notre indépendance déchiquetée ! Dans ce pays où naquit le Verbe à l’aube des temps, les mots s’écroulent, vides de sens et de consistance, et ne servent plus qu’à couvrir la duplicité des uns et la passivité du monde libre.
« Dans la bouche noire des villes
Sonne le glas des fleurs
Le pays est mort de beauté
Tué par un éclat de rire
Un obus dans la terre a creusé un sourire » (Nadia Tuéni)
Venant du Nouveau ou du Vieux Continent, les émissaires spéciaux se succèdent, les délégués se ressemblent, les super-ambassadeurs se suivent, tous nous couvrent de promesses et tiennent le même discours. Un discours lénifiant sans solution réelle, des promesses onctueuses mais sans action efficace.
Nos amis nous abreuvent de paroles et nos adversaires de bombes. Face à une tragédie humaine sans précédent, le monde arabe et occidental reste, au-delà des bonnes paroles, étrangement apathique. Toute tragédie a besoin de spectateurs !
« Je sais la géométrie d’un parfum
La couleur aimée d’une odeur rouge
La mort a le même poids que la peur
Et ma poitrine mille mémoires » (Nadia Tuéni).
Les ennemis du Liban se donnèrent rendez-vous ici mais pour le dépouiller de son identité et de ses raisons de vivre, pour lui enlever ses raisons de croire et d’espérer, sa liberté et sa dignité, sous le regard secrètement satisfait de ses voisins qui ont juré sa perte.
« Ils sont morts à plusieurs
C’est-à-dire chacun seul
Sur une même potence qu’on nomme territoire
Leurs yeux argiles ou cendres emportent la montagne en otage de vie » (Nadia Tuéni).
L’Orient et l’Occident, liés par le sectarisme ou l’intérêt, ferment totalement les yeux sur le drame, consentant à sacrifier un peuple pacifique, cautionnent l’action des imposteurs, barbares d’un genre nouveau à la quête d’une proie facile.
En attendant, des hommes continuent à mourir, le visage face au soleil, le regard à jamais absent.
« Ils sont morts à plusieurs
Sans se toucher
Sans fleur à l’oreille
Sans faire exprès
Une voix tombe : c’est le bruit du jour sur le pavé » (Nadia Tuéni).
Le terrorisme n’est pas l’apanage des individus. Il existe un terrorisme d’État autrement plus systématique et meurtrier, avec des moyens puissants et redoutables. Le monde, dit libre, fait semblant d’agir ou – étrange paradoxe – s’intéresse davantage à l’agresseur qu’à la victime !
L’Occident, dont la lucidité est émoussée par la lassitude et l’appréhension, ne se rend pas compte qu’il enterre ainsi la liberté et qu’il prépare sa propre ruine.
Maroun ABOU-KHEIR
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