La jeunesse a peur et fait peur. C’est l’âge de tous les dangers. Elle est fragile, y compris contre elle-même. Cet excès de force, d’impatience, d’inconscience.... La vieillesse protège, se protège. La mort lui est un ennemi suffisant. Puis la fatigue lui tient lieu de sagesse. Mais la jeunesse ? La vie la menace plus que la mort. Ou la mort seulement par la vie (c’est ce qu’on appelle accident), et par trop d’ardeur plutôt que par fatigue. Cet enfant qu’on a voulu protéger contre tout – le coin d’une table, un courant d’air, le voilà sur une moto, parti pour Dieu sait où et avec qui, bon sang avec qui et pour faire quoi ? La vie est dangereuse pour la jeunesse, ou la jeunesse est à elle-même son principal danger. Une jeunesse sage ? Ce serait un autre péril et point le moindre peut-être. Un vieillard de vingt ans, qui en voudrait ?
Toute vie est risquée, voilà tout, et la jeunesse est simplement le plus risqué des âges. Les vieux n’ont plus rien à perdre qu’eux-mêmes, leurs souvenirs, leur fatigue, leur vieillesse. Les jeunes ont tout à perdre, parce qu’ils ont tout à vivre. La jeunesse est un danger, la vie aussi, et c’est le même.
Où veux-je en venir ? Je ne sais. Peut-être nulle part. L’important n’est pas d’aller quelque part mais de savoir où l’on est, où l’on en est. J’en suis à la jeunesse, au danger de la jeunesse, et cela me fait peur, comme à chacun – j’ai trois enfants – et j’essaie de comprendre et de surmonter comme je peux cette peur toujours recommencée des parents. Qu’il faille protéger, c’est assez clair. Mais pas trop pourtant et chacun se débrouille comme il peut, entre ces deux écueils. Au reste, c’est une idée qu’on trouve chez Freud, toute éducation échoue : les enfants ne réussissent que contre leurs parents. Cela devrait rendre modeste et sage, au moins par humilité. On ne peut rien empêcher, je veux dire sûrement et c’est à tort toujours qu’on s’accuse ou qu’on s’absout. Tel à qui l’on évitera la drogue ou la prison finira à l’hôpital psychiatrique, quand tel autre, que tout menaçait, aura de ces vies pleines, qui font rêver.
Les jeunes font leur vie eux-mêmes, avec nous et contre nous. Nous ne pouvons que les aider de notre mieux, point vivre à leur place ni supprimer les dangers que la vie implique et que la jeunesse – toute jeunesse – doit affronter.
Il reste que la société est coupable souvent, davantage que les individus. Trop d’injustice et de misère nourrissent la délinquance et l’insécurité. Ces viols collectifs et ces gamins qui sniffent de la colle ou bien pire... Quoi de plus atrocement misérable ?
Alors quoi ? L’éducation. Non qu’il suffise d’ouvrir une école, comme croyait Hugo, pour fermer une prison. Mais en ceci que seule l’éducation rend les hommes humains.
Le combat contre la barbarie recommence à chaque génération et la jeunesse en est par définition le lieu et l’enjeu.
À quoi l’école ne suffit pas, qui n’a affaire qu’au savoir. Ni l’état, qui n’a affaire qu’au pouvoir. Les parents, qui savent et font ce qu’ils peuvent, qui n’est pas rien, apportent le reste, qui est l’essentiel : l’amour qui protège autant qu’il peut et pardonne autant qu’il doit. Sans limites ? S’il y avait des limites au pardon, à quoi servirait le pardon ? Un père n’est pas un policier. Une mère n’est pas un juge. C’est où l’amour touche à l’infini, et l’humain au divin.
La sécurité est faite pour l’homme, et non l’homme pour la sécurité. C’est ce que la jeunesse indocile ne cesse de rappeler aux adultes oublieux.
Maroun ABOU-KHEIR
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