Datant du IIe siècle A.D. et dérobée en 1981, une tête romaine en marbre provenant du temple phénicien d’Echmoun sera bientôt rapatriée au Liban et remise au ministère de la Culture. Le rapatriement fait suite au travail collaboratif de plusieurs autorités gouvernementales américaines, en coordination avec les autorités libanaises compétentes.

« Le processus de rapatriement s’inscrit dans le cadre d’une initiative du bureau du procureur du district de New York, dont notamment le colonel Matthew Bodganov, procureur de réserve du corps des marines, en collaboration avec plusieurs services gouvernementaux américains à la demande des ministères libanais de la Culture et des Affaires étrangères et des Émigrés », a indiqué Majdi Ramadan, chargé d’affaires p.i. au consulat général du Liban à New York, à l’origine d’une cérémonie « spéciale » organisée à cette occasion, la semaine dernière, au consulat général du Liban à New York. L’occasion également d’assister à la conférence sur ce vestige julio-claudien donnée par Claude Audi, animatrice (docent) depuis 2006 au Metropolitan Museum of Art de New York (Met), où elle organise des visites guidées aux visiteurs et dignitaires en se concentrant sur les points forts du musée, tels que le Proche-Orient ancien et l’aile islamique. Elle est également animatrice au Guggenheim Museum.

Pour mémoire

Les États-Unis rendent au Liban des vestiges de grande valeur

Transfert à Byblos

Le temple est un ancien lieu de culte dédié à Echmoun, le dieu guérisseur phénicien, situé près de la rivière Awali, à 2 kilomètres au nord-est de Sidon, au Liban. « Ce lieu était vénéré dans de nombreuses cultures d’époque phénicienne, hellénistique, romaine et byzantine », indique Claude Audi, qui a été guidée par Anne-Marie Afeiche, PhD, en charge du Musée national de Beyrouth. « Le temple d’Echmoun a été construit par les Phéniciens au VIIe siècle avant notre ère. On peut dire que cette tête romaine provient du temple phénicien le mieux conservé au Liban. Les objets trouvés reflètent ces différentes périodes. Les pièces les plus spectaculaires ont été transportées et exposées au Musée national de Beyrouth », poursuit-elle. Selon Mme Afeiche, il était de coutume de réaliser des portraits de personnes ayant les mêmes traits que les empereurs romains. « Il s’agit là soit de l’empereur romain Hadrien qui régna de 117 à 138 A.D., soit de l’empereur romain Trajan qui régna de 98 à 117 A.D. Nous n’avons aucune information sur le portrait de ce jeune homme. Avec sa barbe fine et sa moustache, évoquant le style des athlètes de l’époque, il s’agit peut-être d’un athlète », précise-t-elle.

« Pour tenter de sauvegarder une partie de la collection du Musée national de Beyrouth, Maurice Chéhab, directeur général des Antiquités, avait transféré en 1979 certains objets d’Echmoun dans les sous-sols du château des croisés à Byblos. Six cents pièces qui y étaient stockées ont été volées en 1981 et revendues au marché noir. Au fil des années, seule une fraction de ces objets a été retrouvée, comme cette tête romaine », enchaîne Claude Audi.

Claude Audi et Dr Nagi Bustros. Photo DR

La tête romaine d’Echmoun retrouvée est incluse dans la liste d’inventaire de la Direction générale des antiquités, dûment documentée par l’archéologue français Maurice Dunand, qui menait les fouilles archéologiques sur ce site. Elle a été préservée dans un dépôt à Saïda, puis transférée dans un autre dépôt à Byblos, où elle avait été dérobée entre le 29 et le 30 juillet 1981, en pleine guerre civile (1975-1990).

Important rapatriement en 2018

En janvier 2018, une tête de taureau datant de 480 avant J.-C., faisant partie d’un chapiteau du temple d’Echmoun, un torse de porteur de veau en marbre du VIe siècle A.D. et un torse d’athlète en marbre provenant de ce temple phénicien avaient été rendus par les États-Unis au Liban. Ces vestiges de grande valeur ont retrouvé leur place au Musée national de Beyrouth, leur écrin naturel. Une cérémonie officielle de restitution avait eu lieu au consulat général du Liban en décembre 2017, en présence notamment du colonel Matthew Bogdanov, de l’ex-directrice générale de l’Unesco Irina Bokova et du procureur du district de New York Cyrus Vance Jr, marquant l’importance de l’événement.

Le rapatriement de ces vestiges fait suite à l’application de la Convention du patrimoine mondial de Washington sur le droit international de la protection du patrimoine culturel, droits humains et criminalité. De plus, la résolution 2199 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU en février 2015 appelle les pays à prendre des mesures adaptées pour prévenir le commerce illicite de biens culturels irakiens et syriens volés. Enfin, la résolution 2347 de mars 2017 du Conseil de sécurité est la première résolution « historique » portant exclusivement sur le patrimoine culturel. Elle reflète une reconnaissance nouvelle de l’importance de la protection du patrimoine culturel pour la paix et la sécurité.

Depuis 2012, le bureau du district de Manhattan, sous la direction du colonel Matthew Bogdanov, à la tête d’une unité spéciale, a mené une enquête sur le pillage du Musée national irakien. Il a pu récupérer plusieurs milliers de vestiges culturels provenant de fouilles et de trafic illégal d’antiquités, y compris deux mille pièces provenant d’un seul marchand d’art évaluées à plus de 150 millions de dollars. De nombreux vestiges antiques ont été restitués à leurs propriétaires légitimes et rapatriés vers leur pays d’origine. Une vigilance particulière est demandée aux musées, marchands, collectionneurs privés, maisons de ventes aux enchères et à toute personne intéressée par l’achat ou la vente d’antiquités.

Les merveilles historiques d’Echmoun

« Niché dans la ville côtière de Sidon, le temple d’Echmoun témoigne des pratiques architecturales et religieuses avancées de son époque, mettant en valeur le rôle central du Liban dans les anciennes civilisations méditerranéennes », relève Majdi Ramadan. « Nous découvrons une partie de notre histoire, de notre identité et de notre héritage culturel qui fait partie intégrante du patrimoine culturel mondial. Au fil des années, de nombreux objets et antiquités appartenant au Liban ont trouvé leur place dans des collections internationales. Ces vestiges ne sont pas simplement des objets d’intérêt historique, ils incarnent l’identité culturelle du patrimoine libanais. Il est impératif que nous plaidions en faveur de leur retour, en veillant à ce que les générations futures puissent apprécier leur héritage culturel et en tirer les leçons », souligne-t-il.

« L’histoire de la récupération de cet objet nous apporte l’espoir. Elle contribue à renforcer l’importance de documenter et de préserver notre patrimoine culturel », conclut Claude Audi.