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Nos Lecteurs ont la Parole

« Qui n’a jamais pétri et enfourné ne connaît point ce que coûte le pain »

Saviez-vous qu’il existe plus de 100 000 variétés de pain dans le monde ? Eh bien, moi, je ne le savais pas. D’ailleurs, ce n’est pas une information que l’on pourrait entendre quotidiennement. Mais pourtant, vous seriez d’accord pour affirmer que c’est l’une des choses les plus merveilleusement banales et ordinaires de la vie.

Qui d’entre nous se douterait que le pain est plus vieux que l’agriculture ?

Qu’il est né au Moyen-Orient, plus précisément chez nos amis les Égyptiens ? Et qu’il s’est répandu en Europe par le biais des Phéniciens ?

En revanche, la production de pain n’a jamais cessé et ne cessera jamais, espérons-le.

Combien de mains ont-elles pétri et enfourné de la pâte à pain depuis 30 000 années ?

Combien de mains continueront à effectuer et à transmettre ce savoir-faire ?

Enfin, bon, à part nous donner très faim, je ne vous apporte pas des connaissances particulièrement intéressantes ou utiles. Parce que ce pain, me diriez-vous, qu’il soit français, italien, libanais ou turc, bien cuit, brûlé ou blanc, je peux le trouver au marché du coin de ma rue. Parce qu’il est commun, anodin, familier.

Et c’est là que les propos de Bernard Clavel retentissent : « Qui n’a jamais pétri et enfourné ne connaît point ce que coûte le pain. »

Serions-nous si étrangers aux expériences nécessaires au développement de quelque chose ? Ne pouvons-nous pas toutefois apprécier sans connaître ?

En somme, le travail est-il véritablement essentiel pour la compréhension du monde qui nous entoure ?

Au premier abord, il semblerait donc que l’on ne puisse pas comprendre la valeur d’un bien si l’on n’a jamais pratiqué le travail associé ; puisque pétrir et enfourner résultent d’une tâche physique et que le coût s’associe à la valeur.

Ainsi, n’ayant jamais préparé de pain, mais pouvant facilement y accéder, je ne saurais me représenter son importance, son caractère précieux.

Ce pain aurait donc une valeur d’usage élevée mais une valeur d’échange assez faible, c’est-à-dire que le pain m’est indispensable dans mon alimentation, mais je me le procure à bas prix.

Peut-être que si je dépensais plus pour une simple miche de pain, je réaliserais sa véritable valeur. Peut-être aussi qu’en attachant un tablier et en remontant mes manches pour tenter de pétrir et d’enfourner un pain consommable, je m’apercevrais du réel boulot derrière un aliment tout ordinaire.

C’est ce que l’économiste Adam Smith explique dans sa théorie de la valeur du travail et son paradoxe de l’eau et du diamant.

Par exemple, le métier d’enseignant peut paraître simple d’un point de vue extérieur ; seulement, dès qu’on se retrouve face à une horde d’étudiants qui ont chacun une manière différente de réfléchir, d’analyser et d’intérioriser, on ne pense plus la même chose.

Déjà, le simple exercice de s’exprimer devant plusieurs personnes peut sembler difficile, et j’en suis témoin en ce moment même.

Néanmoins, il paraît rationnel de pouvoir apprécier sans obligatoirement connaître ou avoir fait l’expérience.

Si on ne pétrit pas et on n’enfourne pas son pain, on ne connaîtra certes pas la valeur de celui-ci, mais on peut savourer et se délecter de cet aliment.

C’est notamment le cas avec l’art, où l’on reconnaît avec admiration un chef-d’œuvre musical, par exemple, sans savoir battre le rythme. Adorer Enrico Macias sans avoir touché à ne serait-ce qu’une fibre de guitare, c’est tout à fait possible.

Ce qui m’emmène enfin à généraliser ce propos pour refléter ma situation actuelle. Voyez-vous, je suis franco-

libanaise, à savoir, descendante directe des Phéniciens de mes deux parents mais née et élevée en France.

Je commence à prendre conscience de ce qu’entraîne la double nationalité, de ce tiraillement entre ces deux patries où l’on ne se sent jamais véritablement comblé.

Où l’on n’arrive pas à se forger une complète identité.

J’ai toujours crié haut et fort mes origines, l’arborant fièrement, mais puis-je réellement me conduire ainsi ? Ai-je vécu suffisamment longtemps au Liban et participé activement en tant que citoyenne et patriote pour mon pays pour me dire libanaise ?

En d’autres termes, ai-je authentiquement pétri et enfourné pour connaître le coût du pain, ai-je vraiment travaillé pour comprendre ce Liban que je revendique comme mon pays ?

Gebran Khalil Gebran, célèbre poète libanais, écrivait : « Vous travaillez afin de marcher au rythme de la terre et de l’âme. Car être oisif est devenir étranger aux saisons et s’écarter de la procession de la vie, qui marche avec majesté et en une fière soumission vers l’infini. Qui parmi vous voudrait être un roseau muet et silencieux, alors que le monde entier chante à

l’unisson ? »

En vérité, comment puis-je continuer à défendre le Liban comme ma patrie si je n’y ai pas développé des expériences empiriques, si je continue à être ce roseau muet et silencieux ?

C’est dire que travailler est la clef pour connaître, pour accéder aux connaissances. Que travailler permet également de prendre conscience de soi et du monde qui nous entoure.

Ainsi, en travaillant, il m’est possible de découvrir ce que je n’ai pas encore découvert, dans mon cas, mes origines méditerranéennes, et d’en apprécier la valeur. Toutefois, sans connaître le coût véritable d’un quelque chose, on pourrait, sans le comprendre intrinsèquement, y reconnaître de la valeur et l’admirer.

Après tout, Gebran n’a-t-il pas dit : « Si le Liban n’était pas mon pays, je l’aurais choisi pour pays » sans fondement ?

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Saviez-vous qu’il existe plus de 100 000 variétés de pain dans le monde ? Eh bien, moi, je ne le savais pas. D’ailleurs, ce n’est pas une information que l’on pourrait entendre quotidiennement. Mais pourtant, vous seriez d’accord pour affirmer que c’est l’une des choses les plus merveilleusement banales et ordinaires de la vie. Qui d’entre nous se douterait que...

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