« Quittez les lieux ou subissez-en les conséquences. » Les Syriens d’Achrafieh, Jdaïdé et Sin el-Fil ont jusqu’à minuit (samedi) pour évacuer ces quartiers chrétiens, sinon ils auront affaire aux « rassemblements des riverains », à en croire les messages circulant sur les réseaux sociaux. Émis par d’obscures organisations, ces avertissements ne sont, a priori, pas à prendre au sérieux. Du moins, on l’espère .
Reste que ces ultimatums reflètent l’ambiance générale dans le pays depuis le meurtre dimanche de Pascal Sleiman, responsable du caza de Jbeil au sein des Forces libanaises. À l’heure où l’enquête officielle – qui peine pourtant à convaincre – pointe du doigt un gang de Syriens qui essayaient de voler la voiture de la victime, la haine contre cette diaspora – déjà impopulaire – déferle. Depuis lundi, toutes les soirées au Liban ont des petits airs de Nuit de cristal. Des innocents sans défense sont insultés, humiliés, tabassés, kidnappés simplement à cause de leur nationalité. Un livreur de repas syrien a même été ligoté, ses cheveux et sa barbe rasés, par un groupe de jeunes. Le tout est filmé et fièrement diffusé sur les réseaux sociaux par nos « héros nationaux ». Sans parler des nombreuses municipalités qui ont décidé d’instaurer des couvre-feux aux ressortissants syriens et même de fermer leurs échoppes et magasins. Il ne manque plus que les étoiles jaunes pour compléter le tableau.
Cette hystérie collective se produit sous l’œil complice du gouvernement et des partis politiques impliqués, bien heureux de voir les Syriens érigés – encore une fois – en boucs émissaires de leurs propres péchés.
Moins de permis de séjour
C’est le cas du ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui. Quand bien même Pascal Sleiman aurait été kidnappé avant même la tombée de la nuit et transporté en Syrie sans encombre, Son Excellence n’a pas jugé nécessaire de souligner un quelconque échec des autorités publiques. Plutôt que de reconnaître sa responsabilité et d’annoncer les réformes qui se font urgentes, notamment au niveau de la frontière poreuse entre les deux pays, il a de nouveau fait des Syriens son souffre-douleur. Lors d’une conférence de presse à la suite d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, M. Maoulaoui a donc passé de longues minutes à nous expliquer qu’après le meurtre de Pascal Sleiman, il a décidé de... restreindre « encore plus » l’accès aux permis de séjour aux Syriens. Une (fausse) solution qui permet à monsieur le ministre de se dédouaner de toute responsabilité, mais aussi de « dépolitiser l’affaire », pour le plus grand bonheur du Hezbollah, qu’il faut bien satisfaire quand on est prétendant au Sérail.
L’affaire Pascal Sleiman intervient dans un contexte de polarisation aiguë autour du Hezbollah et de son arsenal. Ainsi, dès que les FL ont perdu contact avec leur cadre, le parti chiite, dont les opposants ont la fâcheuse manie de disparaître, a été pointé du doigt par une rue chrétienne de plus en plus radicalisée. Mais au fur et à mesure que les autorités – et Hassan Nasrallah – soulignaient la nationalité des suspects arrêtés par les forces de l’ordre, la colère populaire s’est vite réorientée vers la communauté syrienne. On s’acharne désormais sur les réfugiés et migrants, s’éloignant du véritable enjeu : le délitement de l’État. Tant mieux pour le Hezbollah, qui contrôle les dizaines de passages frontaliers illicites que les ravisseurs ont dû emprunter pour se rendre en Syrie, occupe la région entre la frontière et Homs où ils se sont cachés et profite de l’affaiblissement des autorités pour renforcer sa stature d’État dans (et alternatif à) l’État. Son grand allié, le régime syrien a attendu quatre jours avant de commenter via un timide communiqué de son ambassade les multiples agressions contre ses ressortissants. Il faut dire qu’il leur a infligé bien pire en Syrie. Sinon, ils ne seraient pas là.
« Crime politique jusqu’à preuve du contraire » ?
Mais le Hezbollah n’est pas le seul à profiter de cette situation, il y a aussi les Forces libanaises. Officiellement, le parti considère le meurtre de Pascal Sleiman comme un « crime politique jusqu’à preuve du contraire ». Toutefois, les FL souhaitent clairement contenir l’ébullition de leur base populaire. Et pour cause : ce serait de la folie de risquer une confrontation musclée contre la milice pro-iranienne. Arracher un civil d’une voiture portant une plaque d’immatriculation syrienne est, en comparaison, une partie de plaisir. Meerab a attendu quatre jours avant de publier un bref communiqué pour condamner les violences. L’essentiel du texte souligne l’importance du retour des réfugiés en Syrie, et seule une brève phrase vers la fin critique les « actes de haine ». De même, Samir Geagea s’est défendu d’être raciste dans son discours vendredi lors des funérailles de Pascal Sleiman. Il n’a toutefois pas demandé à ses adhérents de cesser les actes hostiles contre les Syriens – ni le patriarche maronite d’ailleurs. Une position d’autant plus décevante de la part d’un des rares partis qui, dans le passé au moins, reconnaissait qu’un retour des réfugiés n’est pas possible tant que la sanglante machine de guerre et de répression qu’est le régime syrien est en place.
Il ne s’agit pas là de nier que la présence massive des réfugiés et migrants syriens est un défi pour le Liban. Il ne s’agit pas non plus de dire que les FL auraient dû faire le choix de la confrontation avec le Hezbollah. Enfin, il ne s’agit pas d’affirmer que le parti chiite se cache derrière le meurtre du cadre jbeiliote (même si, volontairement ou pas, il a facilité le crime). Il est tout simplement question de dire que seul un État fort peut rendre justice à Pascal Sleiman et s’assurer qu’il sera le dernier à mourir de la sorte. Et ce n’est pas en s’en prenant à des innocents, qui plus est victimes du même bourreau, qu’on pourra édifier cet État. Car oui, les auteurs de l’enlèvement de Pascal Sleiman sont, peut-être, syriens. Mais le gang responsable du rapt de notre pays, lui, est libanais.
commentaires (5)
Je me demande si ce n’est pas Assad derrière tout ça
Eleni Caridopoulou
20 h 02, le 13 avril 2024