Il a toujours été humble, discret, même durant ses heures de gloire, mais a souvent été négligé, comme en témoigne cette réponse à une ancienne devinette anglaise : « Je suis extrait d’une mine et suis enfermé dans une caisse en bois dont je ne me suis jamais libéré, et pourtant je suis utilisé par presque tout le monde. » Puis est venu s’ajouter le fameux dicton : « La plume est plus puissante que l’épée. » L’épée, mais pas le crayon, dont les traces s’effacent trop facilement... Cet aspect éphémère gomme aussi sa participation à des heures glorieuses, en tout temps, en tous lieux et dans tous les domaines. Mais pas au pays de l’Oncle Sam où, chaque année, le 30 mars plus précisément, est célébrée la Journée nationale du crayon qui veut rendre hommage à cet outil de l’écriture. « Le crayon a fait bien plus que simplement enseigner l’alphabet à des millions de personnes de même que le tracé des lignes droites. Il a contribué à remporter des guerres et à permettre un art incroyable », peut-on lire sur le site dédié. Pourquoi cette date ? Historiquement, en ce jour de l’année 1858, l’inventeur Hymen Lipman (1817-1893) avait reçu l’approbation du brevet qu’il avait présenté et qui, pour la première fois, consistait à fixer une gomme au bout d’un crayon. Avant cette époque, les crayons et les gommes existaient séparément.
Le crayon de la Seconde Guerre mondiale
D’origine britannique, Hymen Lipman (qui a vécu aux États-Unis) a combiné les deux, les rendant beaucoup plus pratiques à utiliser. Homme d’affaires intuitif et visionnaire, il avait fabriqué des enveloppes pour sa gamme de papeterie et fut le premier à ajouter de l’adhésif sur le rabat des enveloppes. Un peu comme si l’on commençait à se diriger vers la rapidité de l’expression écrite et de la communication, avant d’aboutir à l’abandon de toutes les versions du crayon pour la formule automatisée.
En ce 30 mars, il fait bon se souvenir que le crayon a rendu service à tous les niveaux, depuis les écrivains jusqu’aux autres spécialistes, qui lui en étaient reconnaissants, parmi lesquels Henri Toulouse-Lautrec qui disait : « le crayon, ce n’est pas du bois et de la mine, c’est de la pensée par les phalanges. » De l’exercice intellectuel, le crayon a pris ensuite une vocation militaire, comme le relate le site internet de la commémoration, donnant naissance au crayon de la Seconde Guerre mondiale. En effet, pendant ce conflit, la Cumberland Pencil Company de Kenswick, en Angleterre, avait produit des crayons à fonction spéciale, creux et contenant du graphite à chacune de leurs extrémités. Entre les deux morceaux de graphite, les créateurs avaient dissimulé des cartes pour aider les militaires capturés à s’échapper. Charles Fraser Smith, auteur, ingénieur, inventeur de « gadgets » au service de l’espionnage anglais, et derrière le personnage de Q, découvert dans les James Bond de Ian Fleming, les avaient conçus en 1942. La nuit, lorsque l’usine fermait, les ouvriers les assemblaient en secret. Les cartes miniatures détaillaient les itinéraires d’évacuation des camps de prisonniers de guerre et comprenaient également une boussole miniature. Tout au long des combats, ces petits outils furent distribués aux membres de la Royal Air Force et envoyés dans les camps de prisonniers de guerre.
Quant au mot anglais pencil, il dériverait du mot latin penis qui signifie « queue », car les pinceaux d’écriture romains étaient fabriqués à partir de touffe de fourrure provenant de la queue d’un animal. Le mot « crayon » remonte au mot croion (XIVe siècle), qui signifie « sorte de terre », ou encore creon (XVIe siècle), « bâtonnet de matière tendre servant à tracer ou dessiner ».
« Moi, le crayon »
Le crayon a également joué un rôle dans l’évolution de l’économie, comme le rappelle l’économiste américain Leonard Read qui, en 1958, publiait un essai intitulé I, Pencil (« Moi, le crayon »), dans lequel il lui donne la parole : «Regardez-moi, j’ai l’air de rien ! » avant de préciser que, pour collecter son bois de cèdre, il a fallu des scies, des haches, des moteurs, des cordes et un wagon. Son graphite provient de Ceylan – l’actuel Sri Lanka – et est mélangé à de l’argile du Mississippi, de l’acide sulfurique, des graisses animales et de nombreux autres ingrédients. Puis l’auteur conclut : « Laissez toutes les énergies créatrices sortir de leur inhibition. Ayez confiance en ce que des hommes et des femmes libres répondront à la “main invisible”. Et cette foi sera confirmée. » La « main invisible » faisant référence à l’idée selon laquelle les forces invisibles du marché sont des objets du quotidien, dont le crayon.
Par ailleurs, la plupart des crayons aux États-Unis sont peints en jaune. Cette tradition, croit-on, a commencé en 1890, lorsque la société austro-hongroise L & C Hardtmuth a lancé sa marque Koh-I-Noor, du nom du célèbre diamant. Elle voulait que son crayon soit le meilleur et le plus cher du monde. D’autres entreprises ont commencé à copier la couleur jaune afin que leurs crayons soient associés à une marque de haute qualité.
Des siècles avant l’apparition des ordinateurs, les écrivains ont eu de longues histoires d’amour avec cet outil alors incontournable. Vladimir Nabokov l’avait utilisé pour réécrire tout ce qu’il avait publié, généralement plusieurs fois. Et John Steinbeck en était obsédé. Il en aurait usé jusqu’à 60 par jour. Son roman East of Eden (À l’Est d’Eden) avait nécessité plus de 300 crayons pour être écrit. Grand nostalgique du crayon à mine, le philosophe français Alain Finkielkraut a estimé que « ce qui manque avec l’ordinateur, c’est de mâchouiller le bout du crayon ». Aimé Césaire, enfin, va plus loin encore en affirmant que « le crayon de Dieu lui-même n’est pas sans gomme ».
Très intéressant Hélas il y a de moins en moins de papeteries. Il est à espérer que crayons, stylos et cahiers continueront à exister, quel que soit le degré d'évolution de la technologie,
19 h 08, le 30 mars 2024