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Culture - Poésie

« Écouter les portes d’Asie et d’Europe », avec Adonis et Fanny Ardant

En librairie, le nouveau recueil poétique d’Adonis aux éditions Seghers, « Le Louvre, espace de l’alphabet à venir ». À l’auditorium Michel Laclotte du Louvre, le 29 mars, le poète et l'actrice Fanny Ardant se livreront à une lecture bilingue et à deux voix.

« Écouter les portes d’Asie et d’Europe », avec Adonis et Fanny Ardant

Adonis et Fanny Ardant font une lecture au Louvre du recueil « Espace de l’alphabet à venir » (Seghers/Louvre éditions). Photos Florence Brochoir pour Adonis et AFP pour Fanny Ardant

« C’est le Louvre, demeure des infinis du sens,

Demeure à faire mourir la mort. »

Dans son dernier opus construit en sept tableaux et traduit de l’arabe avec Donatien Grau, le grand modernisateur de la langue arabe et de la poésie a accepté la proposition d’un cheminement dans le département des antiquités orientales du Louvre pour une plongée poétique, visionnaire et expérimentale au cœur de la Mésopotamie, de Babylone à la forêt des cèdres. Le texte, travaillé par la recherche d’une forme toujours plus compacte et par une quête ontologique de l’existence, se joue des barrières de l’espace et du temps, pour créer une réalité habitée par Gilgamesh, Enkidu, Humbaba, Ishtar, Alexandre le Grand.

« Me voici, je me sens entre les murs du Louvre écouter les portes d’Asie et d’Europe

S’ouvrir et se fermer, berceau par berceau, tombeau par tombeau. »

Fidèle à lui-même, Adonis ne se départ pas de son chapeau et de son écharpe rouge, dont la matière évolue au fil des saisons. Mais c’est son sourire et parfois son rire jovial qui rendent l’approche de sa poésie plus facile. « J’ai accepté cette invitation du Louvre par amitié pour Donatien Grau ; elle me permettait aussi de m’exprimer de manière différente, en créant une nouvelle forme, avec des tableaux. La destruction de musées en Syrie ou en Irak m’a beaucoup touché, et je voulais m’interroger sur cette volonté de détruire le lieu de la créativité de l’homme. Cela me donnait aussi l’occasion de mettre en valeur de manière artistique Europe, la belle princesse phénicienne qui a donné son nom à tout un continent», explique Adonis avec humour. Les textes s’inspirent de lectures, de pièces archéologiques et du souffle de l’imagination. « Lors de mes recherches, je me disais que le Liban créateur est plus présent au sein du musée qu’en plein air, à Beyrouth… Je suis fasciné par la dimension verticale des œuvres sumériennes, babyloniennes, phéniciennes, et par leur transparence, qui est plus moderne que celles d’aujourd’hui. Pour traduire cette verticalité, car l’être n’est pas linéaire mais vertical, il fallait une nouvelle forme : c’est elle qui donne le sens », poursuit Adonis avec ferveur.

Le poète Adonis effectue une plongée poétique, visionnaire et expérimentale au cœur de la Mésopotamie, de Babylone à la forêt des cèdres. Photo Florence Brochoir @Musée du Louvre

Le Louvre, espace de l’alphabet à venir commence et se termine par une évocation ample d’Ishtar, et cette structure circulaire de la parole n’est pas un hasard. « La déesse Ishtar incarne la féminité du monde, et c’est un symbole de l’être, c’est-à-dire une absence de séparation entre la nature et ce qu’elle cache. Elle est essentiellement liée à l’autre, masculin. À Sumer, on peut dire qu’au commencement était le duel (mouthanna), et non le masculin ! » ajoute le poète.

Enheduanna et l’unité indivisible

« J’explore la poésie d’Enheduanna comme si j’errais dans les régions de la création », affirme Adonis. Celle que l’on considère comme la première poétesse dont l’œuvre est signée dans l’histoire de l’humanité habite le texte poétique d’Adonis, et est associée à des symboles érotiques. « Éros est toujours au centre de l’existence, c’est notre respiration. C’est le corps qui parle, qui pense, et ce que l’on fait par le corps, c’est ce que l’on appelle l’esprit. Les religions monothéistes ont divisé l’existence, entre ce qui est visible et ce qui est invisible, et elles insistent sur le lien avec ce qui est caché. Dans cette perspective, je suis du côté de la terre, le ciel est une invention. À l’époque d’Enheduanna, le monde est indivisible », confie l’artiste, dont la quête existentielle s’articule autour de trois fondements. « L’amour, c’est-à-dire la subjectivité, la poésie en tant que création, et l’amitié, comme relation à l’autre. Le moi n'existe qu’à travers l’autre, j’ai besoin de l’autre pour aller vers moi-même », ajoute-t-il avec humilité.

La poésie d’Adonis est vécue comme un art total, à la fois peinture, architecture, sculpture, et la performance de vendredi soir accentuera sa dimension sonore et incarnée. « Créer, c’est renouveler sans cesse notre monde, qui n’existe pas indépendamment de nous, il est ce que nous voyons, ce que nous rêvons, ce que nous écrivons. L'un des problèmes d’aujourd’hui est que l’on écrit beaucoup mais qu’on lit trop peu. La lecture est elle aussi une création. », poursuit l’auteur des Chants de Mihyar, le Damascène.

La couverture du recueil « Espace de l’alphabet à venir » (Seghers/Louvre éditions).

La terre, la géographie et une nouvelle république cosmique

Les tableaux d’Adonis redessinent une géographie onirique. « Le Liban n’existe pas uniquement dans ses limites géographiques : à travers sa création, il fait partie de l’air, du soleil, de l’espace. Sumer, Babylone, la Grèce, l’Égypte existent avec nous, et on dialogue ensemble, tous les jours. Si l’homme cherche un monde meilleur, c’est par la création que peut advenir une nouvelle république cosmique, et non par la politique. La politique passe, l’art s’enracine. Le temps n’existe pas, nous le créons, or le problème des Arabes, c’est qu’il vivent dans un temps créé par les autres », déplore Adonis. « Le chemin sur lequel nous marchons lui-même nous exile » est un vers que le poète attribue à Enheduanna. Il pose la question d’un exil collectif qui nous rend tous migrants. « Qu’est-ce qu’un pays ? C’est celui qui nous ouvre ses bras, qui nous embrasse comme on l’embrasse, or on ne le trouve plus, comme si chacun était séparé de son être », constate l’écrivain.

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Vendredi 29 mars à 19h (heure de Paris)*, Adonis lira des extraits choisis de son dernier recueil en arabe, tandis que la voix rauque et profonde de Fanny Ardant partagera des vers du poète en français. Parfois les extraits se feront écho par le jeu de la traduction, un geste linguistique qui interroge Adonis. « C’est une façon de voir le moi dans la langue de l’autre, et cela me travaille. La langue poétique, c’est l’être, et je ne connais pas de poète qui ait réussi à créer en profondeur dans deux langues. Rilke et Elliot ont essayé mais quelle différence ! La langue poétique est la langue mère, on n’en a qu’une. Lorsque j’essaie d’écrire en français et d’aller plus loin dans ma réflexion, je sens que la langue arabe m’en empêche, elle le refuse ! » conclut l’artiste, qui travaille actuellement sur son autobiographie et sur un recueil de poème, La migration du soleil.

*Sur réservation.

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