Après trois mois sans piste concluante, une avancée relance enfin l’affaire du bateau parti de Tripoli (Liban-Nord) en direction de Chypre le 12 décembre dernier avec à son bord 85 migrants, en majorité syriens, et ayant mystérieusement disparu des radars le même jour.
Le 6 mars, la mère de Mohammad Ahmad Khassawni, l’un des passagers, a eu la confirmation des autorités syriennes que son ADN correspondait à celui d’un corps retrouvé au large de la ville syrienne de Tartous début janvier. L’avocat des familles Mohammad Sablouh, membre de l’ONG Cedar Center pour les études légales, revient sur les démarches ayant permis de mener à ce résultat : « Deux semaines seulement après la disparition du bateau, nous avons appris que deux cadavres avaient été retrouvés au large de Tartous. La mère de l’un des passagers s’est rendue sur place et a reconnu un bracelet et un vêtement sur l’une des dépouilles mortelles. Nous avons directement enclenché des démarches pour analyser son ADN », explique-t-il depuis son bureau à Tripoli. Début janvier, l’avocat disait à L’OLJ que l’analyse prendrait deux semaines. Or « nous avons fait la demande début janvier et le résultat est arrivé le 6 mars », précise-t-il, documents à l’appui.
Malgré l’attente, l’avocat dispose enfin d’un résultat palpable dans ce qu’il décrit comme « l’affaire de bateau de migrants la plus compliquée jamais tombée sur mon bureau », lui qui défend depuis plusieurs années les droits des migrants tentant la traversée irrégulière de la mer Méditerranée. Mais il s’empresse de relativiser : « L’identification du cadavre d’un passager ne signifie pas que tous sont morts noyés. » De fait, les parents des autres disparus gardent espoir : « Après plus de trois mois, aucune épave n’a été retrouvée, ni aucune trace des autres corps. Cela nous laisse espérer que le bateau n’a pas coulé et que ses passagers sont détenus dans l’un des pays voisins », dit la sœur de l’un des passagers, préférant garder l’anonymat.
« On sait qu’ils mentent, mais on reste accrochés à l’espoir »
Leurs proches ont d’autant plus de mal à envisager le pire que les passeurs, avec qui ils communiquent régulièrement sur un groupe WhatsApp, leur assurent que les passagers sont en vie : « Ils nous disent tantôt qu’ils sont emprisonnés à Chypre, tantôt en Turquie ou alors en Syrie. On sait qu’ils nous mentent, mais on reste malgré tout accrochés à l’espoir qu’ils puissent réapparaître », explique le père de Mohammad Ahmad Khassawni par téléphone depuis Deraa, en Syrie. Malgré la preuve de l’analyse ADN, ce dernier a bien du mal à accepter que son fils soit mort : « Ce qui nous fait douter, c’est que l’ADN du second corps retrouvé au large de Tartous correspond à 70 % à celui de la mère de Mohammad. C’est étrange. Enfin, nous acceptons néanmoins les faits », dit-il. Âgé de 20 ans, Mohammad était parti étudier la communication à Damas, mais, « comme beaucoup de jeunes, il voulait fuir la Syrie, où il est si difficile de s’assurer un avenir », explique son père.
Désormais, l’avocat se démène pour identifier d’autres corps de noyés retrouvés sur les rives des pays du pourtour de la Méditerranée orientale. « Quelque 9 ou 10 dépouilles mortelles ont été retrouvées sur les côtes du sud de la Turquie. Quatre d’entre elles étaient d’origine turque, selon la presse locale, mais d’autres avaient des vêtements fabriqués en Syrie, donc il est possible qu’elles soient des passagers du bateau disparu. Par ailleurs, 4 corps ont été retrouvés sur les rives du nord de Chypre », dit Mohammad Sablouh, expliquant multiplier les initiatives auprès des autorités des pays susmentionnés pour prélever l’ADN des victimes.
Au Liban, après de nombreuses démarches, l’avocat a obtenu le feu vert du parquet de cassation pour prélever les échantillons d’ADN des quelque 40 parents de disparus présents sur le territoire. Mais à leur charge. « Or ces familles n’ont pas les moyens de payer, donc j’essaie d’obtenir un financement de la part d’Interpol au Liban. Par ailleurs, la plupart n’ayant pas de papiers en règle, je n’aurais d’autre choix que de les déposer moi-même à l’hôpital Rafic Hariri », déplore-t-il, avant de lâcher : « S’il y avait de l’humanité chez les autorités (libanaises), ce serait à elles d’entreprendre ces démarches. »