Rechercher
Rechercher

Société - Dans nos archives/Témoignages

Ces Libanais prêts à tout pour fuir, quitte à en mourir

Ils sont de plus en plus nombreux à risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour fuir un Liban qui s’effondre. « L’Orient-Le Jour » est parti à la rencontre de ces candidats à l'émigration illégale, originaires pour la plupart de Tripoli, qui en sont parfois à plusieurs tentatives.

Ces Libanais prêts à tout pour fuir, quitte à en mourir

Hamza Osman, 24 ans, dans le port de Mina à Tripoli. Cet ex-coach de gym a tenté en 2021 de rejoindre clandestinement l'Europe par la terre, l'air et la mer. Malgré l'échec, il ne rêve que d'une chose: repartir. Crédit Marie Jo Sader

Le nombre de personnes qui entreprennent des voyages périlleux depuis le Liban à travers la Méditerranée vers l’Europe a plus que doublé en 2022, pour la deuxième année consécutive.

Les drames se multiplient ces derniers jours. Le naufrage d'un bateau jeudi au large de la ville portuaire de Tartous, au nord-ouest de la Syrie, a fait plus de 70 morts. Pourquoi prennent-ils tous les risques pour quitter le Liban ? C'était l'objet de cet article, publié en juillet dernier, que nous vous proposons de (re)lire aujourd'hui.

« Tu es Libanais ? » Walla « c’est nouveau ça ! D’habitude c’est nous qui fuyons chez vous ». Hamza Osman se met à rire en évoquant la surprise avec laquelle un garde-frontière d’origine syrienne l’a interpellé en Albanie alors qu’il tentait de fuir vers la Serbie à pied en mai de l’année dernière. Par terre, air ou mer, Hamza est devenu malgré lui un professionnel de l'émigration clandestine. Il en est à sa troisième tentative avortée. « J’ai déjà vu dans ma vie ce qu’un type de 60 ans n’a pas encore vu », lâche le jeune homme dont l’épaisse moustache et le corps musclé dissimulent tant bien que mal ses 24 ans. Ce passionné de bodybuilding travaillait comme entraîneur privé dans une salle de gym du quartier de Qobbé (Tripoli). « Plus personne dans le coin ne peut se payer un entraîneur, ils sont tous devenus pauvres… » affirme le Tripolitain, qui vit modestement avec sa mère à Mina dans le nord du Liban. Les mésaventures et les difficultés qu’il a rencontrées durant ses précédents périples, qu’il raconte avec une logorrhée déconcertante, ne l’ont pas découragé le moins du monde. Séduit par le train de vie dépeint dans les séries télé turques, il décide de partir légalement en janvier 2021 au pays d’Erdogan avant de rapidement déchanter. « J’ai détesté, ils ne peuvent pas encadrer les Arabes. » Il rêve d’Europe, mais il n’a pas de papiers. Il décide d’opter pour la marche. Avec l’aide d’un réseau de clandestins, il emprunte les voies terrestres qui le mèneront incognito en Serbie. Il se perd, traverse des forêts, des champs, se ravitaille dans des magasins vêtu de ses plus beaux habits pour ne pas attirer l’attention. Mais il est dénoncé en Albanie. De retour en Turquie, il se procure un faux visa Schengen grâce aux trafiquants qui pullulent. « C’est du gâteau les faux papiers en Turquie : tu te les fais livrer à domicile. » Il prend un avion en juillet pour l’Allemagne où il est dénoncé par sa passeuse à l’atterrissage et immédiatement renvoyé à Istanbul. Le jeune homme rentre au Liban où la crise et son lot de pénuries se sont entre-temps aggravées. Il trempe dans le trafic d’essence, amasse un peu d’argent et confie à sa mère qu’il veut repartir. Cette fois, ce sera la mer. Avec un groupe de gens du coin, il embarque pour l’Italie en octobre 2021. Mais le périple tourne au drame. Les migrants accostent en Grèce où les garde-frontières leur dérobent toutes leurs affaires personnelles avant de les abandonner brutalement sur des pneumatiques dans les eaux turques.

Lire aussi

Manque de moyens, complicités, subterfuges... La difficile lutte contre l’émigration clandestine en mer

« Les gens avaient de l’argent, de l’or, des portables. Ils ont tout volé », affirme Hamza. Et ce n’est que le début du calvaire. Avec femmes et enfants, ils se retrouvent tous emprisonnés en Turquie. Ce n’est qu’au bout de 40 jours que les familles sont libérées et rapatriées au Liban. Mais Hamza garde aujourd’hui l’oreille bien tendue dans l’éventualité d’un nouveau voyage. « Si je ne trouve pas que j’ai subi assez d’humiliation ? L’humiliation c’est de vivre au Liban où il n’y a plus de travail, plus d’électricité et surtout plus de dignité ! »

Abdallah et sa famille faisaient eux aussi partie de cette traversée qui a mal tourné. « J’ai bradé ma maison pour 10 000 dollars pour payer le voyage et les Grecs ont pris tout le reste », soupire ce père de deux enfants qui avait opté pour l’exil après la faillite de son affaire. « Je gérais une station de lavage de voitures. Avec la flambée des prix du mazout, je ne pouvais plus payer l’abonnement au générateur, ni les employés. » Abdallah est épuisé. Il crapahute dans tous les sens à bord d’un minibus délabré pour le compte du port de Tripoli pour un salaire journalier de 130 000 livres (environ 4,5 dollars sur le marché parallèle). Malgré tout, il ne souhaite plus repartir : « Je voulais recommencer, puis j’ai eu comme un déclic : on a qu’à vivre ici de la même manière que nos parents l’ont fait avant nous, avec pas grand-chose… »

Baria el-Jundi, naufragée du 24 avril, dans son appartement à Mina. À sa gauche, une photo de ses deux filles, Ghania, 27 ans, et Salma, 31 ans, dont les corps gisent toujours sous l’eau à 400 mètres de profondeur. Photo MJS

« Dès qu’on sort mes filles de l’eau, je repars »

Le soleil commence à cogner dans l’appartement des Jundi. Baria se lève pour aller tirer les rideaux du balcon qui donne sur le dédale des rues de Mina. « Je les avais fait installer pour que les filles puissent écouter de la musique et fumer le narguilé en short, loin du regard des voisins. » Agrippée à la balustrade, la mère de famille s’effondre en larmes. Ses filles Ghania, 27 ans, et Salma, 31 ans, font partie de la trentaine de victimes du naufrage du 24 avril. « J’aurais dû mourir avec elles. C’est trop dur, trop dur », répète-t-elle d’une voix prête à s’éteindre, alors que les corps des victimes n’ont toujours pas été extraits de l’épave. Installés dans le salon, une grande photo des deux sœurs défuntes trônant sur la table basse à leur côté, les Jundi continuent pourtant de rêver de l’étranger. « Dès qu’on sort mes filles de l’eau, je repars tout de suite sur n’importe quel bateau, même si je meurs en mer », lâche subitement Baria. « Moi aussi. Et si je dois mourir, autant que ça soit en dehors des eaux territoriales. Au moins on me ramassera, pas comme ici », renchérit son fils Ibrahim, 26 ans, qui ponctue régulièrement ses phrases de « c’est tellement mieux là-bas ». Assis à ses côtés, son beau-frère Naji a goûté au « là-bas ». Il y a cinq ans, il a tenté une traversée illégale jusqu’en Allemagne, où il a vécu quelques années. « Je touchais des aides de l’État. Une fois j’ai dû être hospitalisé et ils ne m’ont pas laissé partir avant de me faire tous les examens. Ici, on te laisse sur le trottoir si tu ne peux pas avancer les frais. » Naji est revenu au Liban pour récupérer Ghania et se marier avec elle à l’étranger, mais l’incident avec l’armée a englouti son rêve, comme sa bien-aimée. « Pourquoi ont-ils tellement voulu nous arrêter ? Qu’est-ce que ça peut bien leur faire si on meurt en mer puisqu’on est déjà morts ici ! »

Lire aussi

Accident ou naufrage provoqué ? Trois mois après, les proches des victimes à Tripoli restent sans réponses

En dépit du traumatisme, la plupart des rescapés du naufrage du 24 avril sont déterminés à récidiver. Mario Mardini, 36 ans, suit actuellement une thérapie. Il n’arrive pas à se libérer du souvenir de cette nuit tragique. « Lorsqu’on m’a repêché, j’ai vomi sur une petite fille morte étendue à mes côtés. Je suis hanté par ce moment », raconte avec douleur cet ancien chef pâtissier. Mario ne sait pas nager, mais l’idée que le groupe arriverait à rejoindre l’Europe sans lui était trop dure à avaler. Il a donc pris son courage à deux mains et tenté l’aventure avec son frère aîné et son jeune cousin de 23 ans qui y laissera sa vie. C’était sa seconde tentative, financée dans les deux cas grâce à l’argent envoyé par une cousine qui vit en Allemagne, soit 5 000 dollars à chaque fois. « Elle a essayé par tous les moyens de me faciliter l’obtention d’un visa, mais ça ne marche pas. Du coup je vais retenter la mer s’il le faut. » Célibataire et sans enfants, Mario travaillait dans une pâtisserie de renom pendant plusieurs années avant de tenter, en vain, d’ouvrir sa propre affaire. « Maintenant avec la crise, ça ne sert plus à rien… » soupire le trentenaire assis au pied de son immeuble sur lequel est placardé une grande photo de son cousin décédé.

Mario Mardini, 36 ans, originaire de Tripoli. Ancien chef pâtissier, il a tenté sa chance pour l’Europe à bord du bateau qui a coulé au large de Qalamoun. Son cousin de 23 ans y a laissé sa vie. Photo MJS

« Ce sont eux qui nous exposent à la mort »

Après plusieurs tentatives pour le joindre, Mehdi Najjarin décroche enfin son téléphone. Sa voix est sereine. Il a enfin pu arriver en Allemagne où des Syriens lui ont déjà confié un job d’électricien dans leur garage. « Je vais bien, “hamdellah”. Ici je me sens dans un autre monde. » Mehdi est parti pour l’Italie deux jours avant le naufrage tragique pour la somme de 5 500 dollars avant de prendre un train pour l’Allemagne. Il n’en était pas à sa première tentative. Lui aussi a vécu le calvaire des geôles turques aux côtés de Hamza et Abdallah l’automne dernier. Son passeport a depuis été confisqué comme la plupart des passagers de ce bateau. « Je ne voulais pas retenter la mer. Cette fois, je voulais me rendre en Afrique légalement où j’ai eu une promesse d’embauche de mon ancien employeur, mais la Sûreté générale n’a pas voulu me rendre mon passeport. Je leur ai dit : “Vous voulez que je reparte encore une fois par la mer, c’est ça ?”. Une semaine plus tard, j’étais sur le premier bateau. C’est eux qui nous exposent à la mort. » Mais cette page est maintenant tournée pour Mehdi. Il fait désormais partie de ces « héros » dont les photos, qu’on s’échangera dans les cafés de Mina, alimenteront les rêves d’une vie ailleurs que nombreux voudront décrocher à n’importe quel prix, y compris la vie…

Pour mémoire

« J’ai pu sortir ma femme de l’eau mais pas mes trois enfants »

Le nombre de personnes qui entreprennent des voyages périlleux depuis le Liban à travers la Méditerranée vers l’Europe a plus que doublé en 2022, pour la deuxième année consécutive.
Les drames se multiplient ces derniers jours. Le naufrage d'un bateau jeudi au large de la ville portuaire de Tartous, au nord-ouest de la Syrie, a fait plus de 70 morts. Pourquoi prennent-ils tous les...

commentaires (4)

Jugez par vous-même si les mesures de limitation de déplacement vers l'Europe existantes sont justifiées 0.2% = taux l'immigration dans l'UE en 2020 447,2 millions population UE 1,92 million immigrés - 0,96 million émigré = 0.96 million d'immigrés Les chiffres sont à la portée du premier internaute pour peu qu'il se donne la peine https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr

Karim tabbara

01 h 28, le 28 juillet 2022

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Jugez par vous-même si les mesures de limitation de déplacement vers l'Europe existantes sont justifiées 0.2% = taux l'immigration dans l'UE en 2020 447,2 millions population UE 1,92 million immigrés - 0,96 million émigré = 0.96 million d'immigrés Les chiffres sont à la portée du premier internaute pour peu qu'il se donne la peine https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr

    Karim tabbara

    01 h 28, le 28 juillet 2022

  • La peur du grand remplacement fabrique des frontières de plus en plus étanches. Un obstacle à la transhumance naturel de notre espèce; provoquant des drames et faisant de la méditerranée un cimetière.

    DAMMOUS Hanna

    11 h 49, le 26 juillet 2022

  • Un des refugiés a resumé la solution. Il faut se rehabituer a vivre comme les grands parents. Couchez vous a la tombée de la nuit, travaillez la terre, uttilisez des couches lavables, reparez vos chose cassées.

    Mon compte a ete piraté.

    10 h 15, le 26 juillet 2022

  • Les italiens, les grecs, les turcs, les allemands etc. ont beaucoup sacrifié pour avoir de beaux pays bien organisés. Ils ont le droit défendre leur frontières contre les intrus et les indésirables. Les tripolitains ont toujours défendu- même violemment, les intérêts des étrangers (réfugiés, révolutionnaires, rescapés, déplacés etc.) avant leurs propres intérêts et ceux de leurs concitoyens libanais. Maintenant les réfugiés les ont remplacés et ont pris leur travail. Au lieu de vous plaindre contre l’état, plaignez-vous auprès de vos parents et grand-parents...

    Mago1

    03 h 11, le 26 juillet 2022

Retour en haut