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Société - Migration clandestine

« Bateau de la mort » au large de Tripoli : une enquête vidéo vise à relancer l’affaire en justice

La reconstitution en 3D du naufrage d’un bateau de migrants ayant fait plus de 40 victimes le 23 avril 2022, avec les témoignages de six rescapés, vise à relancer la procédure.

« Bateau de la mort » au large de Tripoli : une enquête vidéo vise à relancer l’affaire en justice

Photo prise par l’armée libanaise pendant qu’elle tentait de stopper le bateau de migrants au large de Qalamoun, le 24 avril au soir. Photo DR

Ils sont là, le regard fixe tourné vers l’entrée du centre culturel Safadi de Tripoli, les portraits des 7 morts et des 33 disparus de l’embarcation ayant fait naufrage à 5,5 kilomètres au large de la capitale du Liban-Nord en cette nuit fatidique du 23 avril 2022, durant laquelle les manœuvres entreprises par la marine libanaise pour leur faire rebrousser chemin ont viré au drame. Près de deux ans après, les efforts déployés par un collectif d’avocats pour obtenir vérité et justice sont restés lettre morte, au grand dam des proches dont le deuil demeure impossible en l’absence des dépouilles des disparus, en majorité des femmes et des enfants, restées au fond de la mer.

Mardi 6 février, en cette journée de « CommémorAction » pour les morts et les disparus en mer et aux frontières, organisée par le Centre Cedar pour les études légales (CCLS), plusieurs parents de victimes ont fait le déplacement, dont certains font partie des 45 survivants. L’un d’eux, Moustapha el-Jundi, 31 ans, pointe du doigt deux photographies : « Ce sont mes sœurs, Salam et Ghaniya. J’étais avec elles dans le bateau. Je repartirais en mer s’il le faut, mais pas avant d’avoir obtenu justice », dit ce jeune de Mina, quartier portuaire de Tripoli.

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À ses côtés, son frère, Ibrahim Abdallah, 26 ans, fait partie des six survivants ayant témoigné de leur calvaire dans une vidéo d’enquête réalisée par le média indépendant Megaphone, en partenariat avec CCLS et Stefanos Levidis, enquêteur indépendant soutenu par l’ONG « Febrayer » – un réseau de médias arabes indépendants basé à Berlin. Diffusée pour la première fois ce mardi, cette reconstitution des faits, réalisée à l’aide d’une modélisation en 3D de la scène, s’oppose diamétralement à la version de l’armée, selon laquelle le bateau de migrants a coulé parce qu’il était surchargé et que c’est en tentant d’échapper à la marine qu’il est entré en collision avec un navire de l’armée, laquelle a alors tout fait pour sauver le plus de personnes possibles.


Les six rescapés ont témoigné en trois groupes séparés pendant trois jours à l’équipe d’enquêteurs. Mais leurs récits convergent : après plus d’une heure de traversée sur une mer lisse suivant leur départ au crépuscule de Qalamoun, au sud de Tripoli, deux bateaux pneumatiques de l’armée ont commencé à tourner autour de leur embarcation, provoquant des vagues les éclaboussant. Puis un navire de patrouille de la marine libanaise est arrivé, les intimant de renoncer à leur traversée en provoquant de hautes vagues immergeant peu à peu leur bateau. Face à leur refus, il est alors entré en collision à deux reprises avec la proue de leur frêle esquif en fibre de verre, entraînant son naufrage. Pire, tandis que les passagers couraient le risque de se noyer, les bateaux de l’armée se sont éloignés, feux éteints, selon leurs témoignages, les obligeant à nager « pendant une heure et demie », avant d’être enfin sortis de l’eau. Une version de l’accident déjà rapportée à L’Orient-Le Jour par des rescapés en juillet 2022 et que l’armée libanaise avait démentie à la suite des faits.

Vers un recours devant une juridiction internationale ?

Dans un communiqué publié en parallèle de cette journée, Megaphone a indiqué avoir réalisé cette enquête « pour contribuer à l’effort entrepris pour demander des comptes ». Car selon Diala Chehadé, l’une des 11 avocats bénévoles ayant porté plainte le 13 juin 2022 pour homicide volontaire et involontaire contre treize soldats identifiés par les familles des victimes comme ayant participé à l’interception de l’embarcation, ces dernières « ont été abandonnées à trois reprises par notre justice. D’abord, quand le tribunal militaire a exclu leurs témoignages de son enquête ; puis, quand la Cour de cassation a refusé de porter l’affaire devant un tribunal non militaire ; enfin, quand la cour d’appel du Nord a classé l’affaire sans suite, sans fournir d’explication », ressasse-t-elle, avant d’enfoncer le clou : « Ces victimes n’ont désormais plus accès à un recours judiciaire national digne de confiance. » Pourtant, rappelle-t-elle, Joseph Aoun, le commandant en chef de l’armée, dont le mandat a été prorogé en décembre dernier, leur avait promis lors d’une rencontre en mai 2022 une « enquête transparente et juste ».

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Après la diffusion de l’enquête vidéo en présence des familles de disparus visiblement marquées, Mohammad Sablouh, avocat pour CCLS, a dit espérer « que ce travail poussera la justice à rouvrir l’enquête devant un tribunal non militaire. Si ce n’est pas le cas, nous devrons alors envisager de porter l’affaire devant une juridiction internationale », prévient-il. Le CCLS demande par ailleurs aux autorités de faire le nécessaire pour remonter les dépouilles des 33 disparus du « bateau de la mort » à la surface. En août 2022, un sous-marin dépêché par l’ONG australienne AusRelief avait localisé l’embarcation, à 459 mètres de profondeur, mais n’avait pas procédé à son repêchage, provoquant une nouvelle déception chez les familles.  

Ils sont là, le regard fixe tourné vers l’entrée du centre culturel Safadi de Tripoli, les portraits des 7 morts et des 33 disparus de l’embarcation ayant fait naufrage à 5,5 kilomètres au large de la capitale du Liban-Nord en cette nuit fatidique du 23 avril 2022, durant laquelle les manœuvres entreprises par la marine libanaise pour leur faire rebrousser chemin ont viré au drame....

commentaires (3)

L'image de l'armée libanaise prend un sérieux coup, elle qui est supposée aider les gens et les secourir, elle se rend coupable de crime et de Non assistance à personnes en danger. On dirait que l'intention première était de ne pas laisser des témoins. Je ne sais pas si les survivants ne doivent pas leurs vie à ceux parmi les équipages qui ne voulaient pas se rendre complice jusqu'au bout de ce crime. Ils et ells sont partis à la quête d'un vie meilleure mais c'était avec la mort qu'ils avaient rendez-vous. "Io capitano".

Khairallah Issam

21 h 09, le 07 février 2024

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Commentaires (3)

  • L'image de l'armée libanaise prend un sérieux coup, elle qui est supposée aider les gens et les secourir, elle se rend coupable de crime et de Non assistance à personnes en danger. On dirait que l'intention première était de ne pas laisser des témoins. Je ne sais pas si les survivants ne doivent pas leurs vie à ceux parmi les équipages qui ne voulaient pas se rendre complice jusqu'au bout de ce crime. Ils et ells sont partis à la quête d'un vie meilleure mais c'était avec la mort qu'ils avaient rendez-vous. "Io capitano".

    Khairallah Issam

    21 h 09, le 07 février 2024

  • Les photos de chacune des victimes doivent être placardées sur les portes, fenêtres, voitures, lunettes etc., de chacun de nos politiciens ou zombs au pouvoir, responsables de cette tragédie. Allah yirhamouns.

    Wlek Sanferlou

    14 h 15, le 07 février 2024

  • C’est comme un petit voyage , la nuit sans phares , Beirut - Chtaura sur une Renault twingo ( 2 portes ) avec à bord 25 personnes – enfants compris - + bagages : comment ose- t- on leur faire une remarque ?

    aliosha

    12 h 43, le 07 février 2024

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