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Nos Lecteurs ont la Parole

Montréal, drones et « hommos hab »

Montréal, drones et « hommos hab »

Photo Hussam Chbaro

Je regarde le tas de « hommos hab » que j’avais mis la vielle dans le seul saladier que j’ai. La couleur a changé, ça devrait être bon signe. Je suis optimiste. Je suis à la lettre les conseils de mon amie Tina à Toronto pour essayer de réussir ma recette de « Balila from scratch ». Et maintenant, dans ma minuscule cuisine de Montréal, un nouvel élan s’est créé. La distance, le fait de devoir rechercher les recettes de famille, trouver les ingrédients éparpillés un peu aux quatre coins de la ville, ont renforcé mon identité en tant que libanaise aujourd’hui. Je m’explique. Depuis que mon exil m’a forcée, comme tellement de femmes avant moi et après moi, à recréer ce sentiment de bien-être, de sécurité, de chaleur pour mes enfants, surtout, mais aussi, car je suis une grande gourmande, j’ai été obligée d’essayer de recréer ces recettes que jamais je n’aurais tenté de cuisiner, car j’avais le chef Gaby à Beit Méry qui les préparaient ou ma mère qui me les envoyaient avec amour. Ici, non. On se lance. On est seuls. Pas le choix. Hop !

La vie à Montréal est très difficile. Le confort n’existe pas et déjà, affronter le froid en soi est une épreuve pour ceux qui comme moi nageaient en décembre dans la mer. Le mental se forge et se renforce. Le temps accordé est précieux, il faut bien l’investir avec les bonnes personnes. Encore plus, la distance m’a rendue curieuse de découvrir les chansons libanaises. Je me retrouve en train d’émincer de la coriandre, bizarre et sans goût, sur la musique d’Adonis. Pour forcer ma recherche, je me trouve à découvrir Melhem Barakat et ses contemporains. Incontournable Fayrouz, mais surtout de nouveau, le génie de Ziad Rahbani. La question de l’identité libanaise me travaille, car comment la transmettre à mes enfants qui se sont adaptés déjà et facilement à une vie occidentale particulière.

Mais c’est quoi au juste l’identité libanaise aujourd’hui ? Loin de la nostalgie qui n’avance en rien ou bien de la surenchère du vécu. Tous on a vécu les guerres et encore, tous on a eu des déchirures. Tous on a eu des déceptions. Tous on a eu des problèmes de santé. Tous on a été se faire opérer seuls et on est rentré en bus, seuls. La distance est révélatrice. J’apprécie les personnes qui sont restées en contact. Celles que j’ai redécouvertes. Celles qui m’ont surprise par leur générosité. Ici, on est face à soi-même et c’est énorme.

Je sais que cette distance maintenant, comme une personne qui vous a blessé gratuitement, c’était le meilleur cadeau qui m’ait été fait. De loin, je deviens analyste politique. Un drone tombe à Hrajel, ma perspective diffère. Le Sud s’embrase au quotidien, les gens réagissent différemment. J’observe de loin toujours, je commence à lire tout l’historique politique de toutes parts pour assimiler ce qui se passe. Ma curiosité est attisée encore plus par le grand principe divin. Mais, surtout, il m’est très clair que les Libanais, avec tous leurs défauts, ceux qui se déchirent sur X, ceux qui se prennent pour le centre du monde, ceux qui jugent et donnent des leçons, ceux qui sont super pieux online, ceux qui sont merveilleusement drôles, ceux qui vivent un schisme mental et croient qu’ils vivent à Monaco, ceux qui sont trop intellectuels, mais on les adore secrètement. Les Libanais ont une bonté qui n’existe pas ailleurs !

Je prépare, j’essaye du moins de préparer des plats libanais pour ma famille avec un but subjacent. C’est mon quotidien, mais plus encore. Je n’aurais pas pu me lever le matin à -18° si mon identité avant tout n’était ancrée dans ma foi. Croyez-moi. On est plus généreux qu’on ne peut se le permettre, chaque fête est une excuse pour célébrer, à part cette histoire de tirs… Mon Dieu… On recycle des crises, on régresse politiquement comme jamais auparavant. Mais, malgré tout, la distance, le recul, la sérénité du « less force is more », font que je redouble d’efforts pour rester en contact avec les personnes qui m’importent. Je danse dans ma cuisine de quatre mètres carrés au son de Men ajmal ma de Adonis. En fin de compte, c’est simple : qui sème la distance récolte l’oubli !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je regarde le tas de « hommos hab » que j’avais mis la vielle dans le seul saladier que j’ai. La couleur a changé, ça devrait être bon signe. Je suis optimiste. Je suis à la lettre les conseils de mon amie Tina à Toronto pour essayer de réussir ma recette de « Balila from scratch ». Et maintenant, dans ma minuscule cuisine de Montréal, un nouvel élan s’est...

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