Rechercher
Rechercher

Lifestyle - La mode

Ses femmes « étoiles filées », ses villes toiles de fond : Rabih Kayrouz a 25 ans

Pour célébrer les 25 ans de sa maison, le couturier Rabih Kayrouz se penche sur son propre parcours et livre une poétique introspection/rétrospection en 12 pages. Il y raconte ses « Genèses », définit son « Identité » et trace sa « Perspective ». Sa nouvelle boutique éphémère à Paris, rue Saint-Roch, s’ouvre comme un nouveau chapitre.

Ses femmes « étoiles filées », ses villes toiles de fond : Rabih Kayrouz a 25 ans

Rabih Kayrouz, 25 ans d’aventures et de passion. Capture d’écran tirée du compte Instagram @maisonrabihkayrouz

Cette fois, il ne répondra pas à nos questions. Il a écrit ses réponses à l’avance. Il les a longuement méditées, pris le temps de récapituler, interrogé sa fidélité à soi. Vingt-cinq ans, un quart de siècle, pour une maison de couture comme pour tout autre chose, cela représente une borne, même si Rabih Kayrouz annonce d’emblée : « Si j’ai tendance à fuir le temps, c’est pour mieux embrasser l’espace. » Pensons donc avec lui le temps comme une distance, une moquette qui se déroule à l’infini, ornée de cet imprimé qu’il a un jour dessiné en pensant à une panthère urbaine : à la croisée du fauve et du faux-marbré d’un carton à dessin. Ainsi est d’ailleurs revêtu le sol de sa nouvelle boutique éphémère où l’on peut découvrir, en ce moment même, la collection Maison Rabih Kayrouz printemps-été 2024. Cet espace, niché 16 rue Saint-Roch, dans le 1er arrondissement de Paris, est à lui seul non seulement un symbole, mais aussi une célébration de la boucle bouclée : « 1994, je quitte la rue Saint-Roch, diplômé de la Chambre syndicale de la couture parisienne. 2024, je reviens à la rue Saint-Roch. Retrouvons-nous », indiquait l’invitation à l’ouverture, le 4 mars. Celle-ci était ornée d’un dessin du couturier, à l’encre de Chine, la grenade emblématique de la maison ponctuant son nom au-dessus de deux vitrines rythmées de trois colonnes doriques encadrant des robes en mouvement. Le nombre 16 résonne sur la porte comme une note de musique.

La boutique éphémère Maison Rabih Kayrouz, 16 rue Saint-Roch à Paris. Photo Mariano Bocanegre

Un seul mot : « Respect »

Parlant d’espace, comment faire en sorte que le chemin se poursuive avec la même constance ? Une charte s’imposait en forme de confidence. Avec ce sourire de tout son être qui n’appartient qu’à lui, Rabih Kayrouz raconte, mezza voce, ce qui l’a fait, ce qu’il a fait, ce qu’il continuera de faire. « Pour qu’elle résiste aux aléas du temps, qu’elle tienne sa ligne de transmission, qu’elle perpétue et inscrive son éthique, j’ai choisi de fonder ma maison sur la sacralisation d’un mot : respect », écrit cet artisan de haute qualité qui détaille : « Le respect primordial de mon métier, le respect ultime de la femme, le respect du corps, le respect des tissus et de la qualité du vêtement. »

Lire aussi

Une fenêtre, une table, YouTube : Quand Rabih Kayrouz « cuisine » ses amis

L’Orient, l’Occident et trois naissances

Non pas une, mais trois genèses, dit Rabih Kayrouz quand il parle de ses multiples naissances. La première est sa venue au monde : « En 1973, entre Jdeidet Ghazir et Yahchouch, des villages de montagne dont l’élégance simple des habitants m’a laissé le souvenir de la noblesse de se vêtir. » Enfant, il est fasciné par les héroïnes des séries américaines « Dallas » et « Dynastie ». « J’en ai gardé le goût du flamboyant et de l’étincelant, mais j’en ai abandonné la sophistication compliquée », confie-t-il. De sa montagne, il s’envole pour Paris sans transition, « Paris, ma première ville après les montagnes. ».

École de la Chambre syndicale de la couture parisienne, diplôme avec les honneurs, stages auprès de grandes maisons de couture, dont Christian Dior, sous la houlette de Gianfranco Ferré, et puis deuxième naissance : « En 1998, à Beyrouth, en ouvrant ma première maison de couture. »

Il fait alors partie d’une jeune génération d’expatriés revenus participer à la résurrection d’un Liban relativement apaisé. Grâce à eux, à leur passion, leur créativité et leurs idées neuves, le pays retrouve un nouvel élan et sa force d’attraction. Rabih Kayrouz convainc. Le succès est au rendez-vous. Son esthétique où fusionnent deux mondes séduit l’un et l’autre. En 2009, il ouvre, boulevard Raspail, à la place du Petit Théâtre de Babylone où se jouèrent les premières pièces de Becket, son siège parisien inondé de lumière à travers de grandes verrières derrière lesquelles « le vêtement se pense, se crée, se coud ». Ce lieu convivial devient « l’écrin des défilés, des visites amicales, des rendez-vous du sur-mesure ».

La troisième naissance du couturier n’a pas lieu sous les meilleurs auspices : « En 2020, à Beyrouth encore, lors de l’explosion au port qui m’a gravement blessé, mais m’a permis de renaître. »

« Dans ce que je crée, mon Orient et mon Occident se superposent et fusionnent, c’est mon monde. La complexité et la sensorialité orientales dans lesquelles j’ai baigné et où je m’immerge encore (…) se mêlent à mon obsession de la géométrie, de la neutralité, de la rigueur, du minimal », écrit encore Rabih Kayrouz. « De l’Orient, j’ai appris comment habiller l’ossature, comment le corps tient le vêtement quand, en Occident, le vêtement retient, voire comprime, la chair », explique celui qui se réclame de deux figures tutélaires, Yves Saint Laurent et Yohji Yamamoto, dont il dit invoquer l’élégance souple et la pureté.

Modèle de la collection Maison Rabih Kayrouz printemps-été 2024. Photo Maison Rabih Kayrouz

Au commencement était le geste

Plus qu’à aucun autre de ses pairs, le vêtement est avant tout, pour Rabih Kayrouz, un geste. Celui bien sûr de « cacher sa nudité en drapant du tissu, en s’enroulant dans un drap ». Mais surtout, « c’est dans le mouvement que la beauté surgit, que le possible émerge », insiste ce puriste qui voit le vêtement comme « une voile au vent pour creuser son sillon » et rêve d’habiller « des femmes insaisissables, des voyageuses impénitentes, des esprits curieux et des corps dansants ». Ses modèles fantasmés : « Karen Blixen dans une ferme en Afrique, lady Esther Stanhope à Palmyre ou Theodora, impératrice de Byzance et d’aujourd’hui. »

Le vêtement, surface de séduction

Rabih Kayrouz décrit ses créations comme des architectures : « Ce vêtement, je le monte, je le plie, le drape, le découpe, je l’épure, je l’élève dans un même rectangle de tissu. D’un même morceau de matière, il émerge. » Mais il y recherche aussi une vibration théâtrale. « Ma couture se veut littérature, elle romance le quotidien, donne une épaisseur gracile à l’ordinaire des gestes, sublime la banalité des moments », écrit le créateur, et quelle plus belle approche du vêtement que celle-ci, qui en fait un instrument narratif ? « Grâce au vêtement, quelque chose est joué, une liberté est prise d’être parfaitement soi en étant une autre, une attitude, un phénomène, une situation : courir après un bus, attendre sur un quai de gare, rentrer chez elle après une fête, conquérir les convives d’un dîner, se séduire elle-même. »

De l’élégance, de la poésie et de la précision. Photo Mariano Bocanegre

Surface de séduction, tel qu’il le décrit, le vêtement, selon Rabih Kayrouz, se décline en un vocabulaire simple qui se réécrit dans chaque nouvelle collection : une robe-chemise qui tient à la fois de la abaya orientale, de la chemise de smoking et de la blouse de peintre en coton blanc, une veste qui se pose comme on veut, à l’épaule structurée et fentes latérales, un manteau-caftan, un imprimé fauve, une robe à la fluidité de toge, au tombé relâché, mais charpentée par des bandes, une robe dite « citrouille » qui touche pudiquement le haut du corps avant de s’évaser ou un trench ondoyant, mais discipliné, aux fentes hautes pour vagabonder. Les couleurs sont primaires « avec une intensité qui reflète la lumière ou une profondeur qui la capture ». À la collection printemps-été 2024, on ajoutera de sublimes enveloppes de tulle imprimées de poèmes.

La boutique éphémère Maison Rabih Kayrouz, moquette imprimé fauve, dessins du couturier sur les murs. Photo Mariano Bocanegre

Le temps long

Enfin, dans les trois boutiques, ou plutôt « résidences » de la Maison, plus la toute nouvelle enseigne éphémère  ; entre Beyrouth, Paris, et l’espace londonien de Mayfair ouvert en 2020, le temps s’offre le luxe de s’étirer, parfois même de s’arrêter. Au-delà des belles conversations qui s’y déroulent, irrigant l’intuition et dictant la précision du geste, Rabih Kayrouz franchit 25 ans de maison en s’engageant sur le temps long, non seulement celui de sa marque, mais celui du monde : « Produire à raison plutôt qu’à volonté, satisfaire la demande plutôt que la démultiplication de l’offre ». Le mot « mode » n’aura été employé dans ce manifeste qu’une seule fois, pour en souligner les enjeux étroits. Rabih Kayrouz crée des vêtements, c’est tout.

Cette fois, il ne répondra pas à nos questions. Il a écrit ses réponses à l’avance. Il les a longuement méditées, pris le temps de récapituler, interrogé sa fidélité à soi. Vingt-cinq ans, un quart de siècle, pour une maison de couture comme pour tout autre chose, cela représente une borne, même si Rabih Kayrouz annonce d’emblée : « Si j’ai tendance à fuir le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut