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Lifestyle - Photo-roman

Pour les femmes du Liban, de Gaza et de la région

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, on se rend compte, maintenant plus que jamais auparavant, que les femmes de notre région n’auront rien à célébrer…

Pour les femmes du Liban, de Gaza et de la région

Photo tirée du compte @oldbeiruthlebanon / ©️ Mike Lord

Au moment même où je rédige ces mots, Emmanuel Macron se tient debout sur une estrade, place Vendôme à Paris, où il préside la cérémonie de scellement de la Constitution française qui marque l’intégration de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Loi fondamentale. Cette cérémonie est d’autant plus symbolique qu’elle coïncide avec la Journée internationale des droits des femmes. Dès aujourd’hui, les Françaises pourront donc librement et en tout cas officiellement avorter, pour peu qu’elles le décident. Je regarde les images de cette cérémonie. Comment ne pas avoir la nausée en se disant que ces pays du pseudo monde libre se font gloire avec leurs propres accomplissements alors qu’en même temps, ils tournent l’œil et laissent leurs alliés massacrer des femmes, les violer et les traiter pire que du bétail à Gaza et ailleurs ?

Comment ne pas penser, encore, toujours, au Liban à la rame et mille siècles en retard ? Je regarde ces images et je pense surtout à R., une amie rencontrée lors de mes études à l’Université américaine de Beyrouth, en fac d’ingénierie, où elle était d’ailleurs l’une des rares filles à suivre ce cursus, encore largement réservé aux hommes, dans mon pays. R. habitait les résidences universitaires sur le campus. Elle avait dû négocier puis batailler avec son père pour qu’elle remporte enfin le droit de quitter le Akkar où elle avait grandi et qu’elle « descende » à Beyrouth. Parce que c’est ainsi que les choses se font souvent encore pour les femmes de mon pays : les hommes de leurs familles, puis leurs maris, se passent de main en main la tutelle sur leurs corps et leur sort.

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« C’est nul pour mon plaisir »

Un soir de l’hiver 2009, R. était sortie avec un garçon rencontré à la fac. Il lui avait fait boire des doudou shots dans un bar à Hamra puis il l’avait amenée chez lui. Ledit garçon avait refusé de se protéger quand ils avaient couché ensemble, « c’est nul pour mon plaisir », lui avait-il dit, un classique. « Ne sois pas coincée, rien ne va arriver », avait-il même insisté en ne lui laissant en fait pas le choix. Le garçon ne l’avait plus jamais rappelée, un autre classique, et R. avait découvert, quelques semaines plus tard, qu’elle était tombée enceinte de lui. Entre le choc, la peur, la honte, la culpabilité et surtout l’impossibilité d’en parler à ses parents, le temps s’était écoulé pour R., et il était devenu trop tard pour prendre la pilule abortive qu’une amie lui avait débrouillée.

Grâce à l’aide d’un petit collectif féministe qui s’était formé dans les résidences pour filles de la fac, R. avait donc été contrainte d’aller avorter, dans le plus grand des secrets, dans un parking désaffecté de Bourj Hammoud. Un homme louche l’avait attendue devant le rideau de fer du parking ; il avait compté les billets qu’elle s’était démenée pour rassembler en vue de l’opération ; il avait levé le rideau derrière lequel un bloc opératoire douteux avait été installé. Vide, salie, humiliée et avec carrément l’impression d’avoir commis un crime, R. ne s’était jamais remise de tout ça. Et tout cela pourquoi ? Pour un homme qui avait refusé de se protéger parce que c’est « nul » pour son plaisir.

Quinze ans plus tard, je me demande sérieusement comment le temps a pu s’écouler sans que rien ne change en matière de droits de la femme au Liban. Jusqu’à ce jour, des femmes continuent d’aller se faire avorter, la peur au ventre, dans des conditions qui défient le cauchemar. D’autres, moins chanceuses, sont forcées à épouser leurs violeurs dont elles seraient tombées enceintes, au motif de « sauver l’honneur » de leurs familles. Jusqu’à ce jour, même dans des milieux plus privilégiés ou en tout cas qui se considèrent « progressistes », souvent, dans mon entourage, les hommes s’affalent à table en laissant aux femmes la charge de les nourrir, et en fin de repas, restent affalés, pendant qu’elles s’occupent de débarrasser la table. Jusqu’à ce jour, on continue de couper la parole aux femmes et de leur dire de laisser leurs maris, leurs frères, leurs pères, leurs patrons parler. Jusqu’à ce jour, il y a des « prépare un sandwich à ton frère, va chercher des cigarettes à ton oncle, fais un café à ton père et ses amis, occupe-toi de ton mari, sinon il ira regarder ailleurs ».

Jusqu’à ce jour, il n’y a que six femmes sur les 128 députés libanais et, je suis las de le répéter d’année en année, une Libanaise ne peut toujours pas transmettre sa nationalité à ses enfants. Jusqu’à ce jour, des hommes de religion, toutes confondues, continuent de se faire un malin plaisir d'humilier et léser des femmes devant les tribunaux où, de facto, la loi se place systématiquement du côté des hommes.

Pute ou « imbaisable »

Jusqu’à ce jour, au Liban, les femmes divorcées sont regardées comme un danger, des parias. Elles sont à ce point disqualifiées, reniées, que d’autres femmes, par peur de ce sort, par peur de se voir privées de leurs propres enfants, n’ont d’autre choix que celui de prendre des coups, pour peu que leurs maris aient un verre de trop dans le nez. Jusqu’à ce jour au Liban, on entend les femmes célibataires traitées de putes ou d’« imbaisables », c’est l’un ou l’autre. Et les lesbiennes restent une espèce qui invoque au mieux un vieux fantasme hétérosexuel et au pire, dans la plupart des cas, le dégoût. Jusqu’à ce jour, il y a des femmes qui se sentent dans l’obligation de se recoudre l’hymen parce que, dans certains milieux, toutes religions confondues, une femme qui n’est plus vierge est exclue du « marché des femmes comme il faut », des femmes bonnes à marier. Jusqu’à ce jour, les femmes libanaises continuent de perdre leurs enfants, leurs maisons, leur santé, leur argent et l’espoir aux mains d’hommes qui leur font croire qu’elles n’ont pas les ressources pour décider de leur existence.

Jusqu’à ce jour, d’année en année, d'un 8 mars à l'autre, j’écris presque les mêmes mots. Mais cette année, comment ne pas penser à Gaza, et à la région plus globalement ? Aux 23 000 blessées, aux 2 100 disparues, aux 500 000 déplacées, aux 9 000 tuées, aux 63 fauchées chaque jour et dont 37 sont des mères qui laisseront, avec un peu de chance, des orphelins derrière elles. Aux 690 000 femmes en période de menstruation qui emploient des matériaux servant à la fabrication de tentes comme serviettes hygiéniques. Aux femmes violées et violentées par l’armée israélienne. Aux 52 000 femmes enceintes dans une enclave sans nourriture ni hôpitaux et dont certaines devront subir des césariennes sans anesthésie. Aux femmes que l’on voit tous les jours, entre les décombres, prendre dans leurs bras la chair déchiquetée de leurs enfants.

Comment ne pas penser aujourd’hui aux femmes du Liban, aux femmes de Gaza et à toutes celles de notre région qui voient leurs pays s’évaporer parce que, encore une fois, ce sont des hommes fous qui l’auront décidé…

Au moment même où je rédige ces mots, Emmanuel Macron se tient debout sur une estrade, place Vendôme à Paris, où il préside la cérémonie de scellement de la Constitution française qui marque l’intégration de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Loi fondamentale. Cette cérémonie est d’autant plus symbolique qu’elle coïncide avec la...

commentaires (5)

texte superbe, merci Madame

Croizé

16 h 27, le 14 mars 2024

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • texte superbe, merci Madame

    Croizé

    16 h 27, le 14 mars 2024

  • Kan Mao TseTung avait dit qu'un voyage de 1000 lieux commence par un premier pas, il n'avait pas imaginer que dans nos pays ce premier pas est loin d'être même conçu ...

    Wlek Sanferlou

    12 h 05, le 11 mars 2024

  • Merci, Gilles Khoury, de nous dire avec des mots simples mais pleins de force combien la condition des femmes dans nos pays reste inhumaine...

    otayek rene

    00 h 06, le 11 mars 2024

  • Un article fort, réaliste et combien vrai ! C'est vraiment triste de voir que les femmes libanaises réagissent si peu à cet état de choses- même les plus cultivées, même les soi-disant " occidentalisees.". Pourquoi croient-elles toujours qu'elles sont moins importantes, qu'elles valent moins que les hommes ???? Quand vont-elles se débarrasser de ce lavage de cerveau ? Que de chemin encore à faire ! Gilles Khoury a une sensibilité époustouflante. On ne peut que s'émouvoir en lisant ses textes- moi en tous cas.

    Carla Jabre

    22 h 13, le 10 mars 2024

  • Vous dites avoir la nausée face à ce que vous dénoncez etre une passivité des dirigeants occidentaux par rapport à ce qui se passe à Gaza où selon vous des femmes seraient tuées , maltraitées etc… mais le massacre , le viol, l’enlevement de femmes Israeliennes dans la facon la plus abjecte possible ca n’a pas l’air de vous déranger …

    JPF

    21 h 48, le 10 mars 2024

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