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Lifestyle - La Mode

Claude Montana, de la statue au fantôme

Les années 1980, étourdies de disco et de discothèques, avaient aussi leurs faiseurs d’apparences, leurs inventeurs d’images dont les plus célèbres furent Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler et Claude Montana. Inventeur de la silhouette démesurée de l’époque, Montana est mort le 23 février dans la plus grande solitude.

Claude Montana, de la statue au fantôme

Claude Montana, le 19 octobre 1989, à Paris. Il est alors créateur de mode de la maison Lanvin. Photo Pierre Guillaud/AFP

La première chose dont on se souvienne, quand on évoque cet éternel jeune homme blond à moustaches, c’est sa grande timidité. Aller au contact des médias, exercice incontournable de tout créateur de mode, est pour lui une torture. Pour les journalistes aussi. Il s’efforce pourtant, voix lente, élocution hachée, de placer un oui ou un peut-être dans la matière des interviews congrues qu’on peut encore trouver sur la toile. Cette timidité est paradoxale quand on pense à l’extrême dramatisation qu’il a imprimée à la mode des années 1980. Le « power dressing », c’est lui. Les épaules démesurées, les épaulettes de super héroïnes, c’est encore lui, et pour faire bonne mesure avec ce grand volume du haut, la taille exagérément creusée, c’est évidemment lui.

Dans les créations de Claude Montana, c’est le spectacle et le spectaculaire qui prime. Il vous habillait pour faire « une entrée », comme on dit. Une entrée de star. Lui-même, dans les coulisses de ses défilés, organisait la chorégraphie des mannequins, indiquait à chacun et chacune l’attitude à prendre, démarche lente mais assurée, pose de trois quarts à l’arrêt, regard intense, confiance, domination.

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En augmentant la carrure, il augmentait la visibilité

Pour mettre en contexte ces créations-pivots de l’exceptionnelle décennie des 80’s qui a inventé une mode à elle, difficile à reproduire à notre époque, il faut penser Studio 54, Andy Warhol, et puis Le Palace, Paris, le thatchérisme et le sida. Et cette chanson emblématique de Cookie Dingler qui devient la scie de 1984 : Femme libérée. « Elle rentre son ventre à chaque fois qu’elle sort », la faute à Montana, surtout.

La culture disco règne sur les grand-messes des années 1980. Aux portes des grands clubs, on ne parle pas de « videurs » mais de physionomistes. Ces gens-là détectent qui vous êtes au premier regard. Ce n’est pas tant votre fortune qui leur importe, quoique, mais ce que vous représentez en tant qu’animal social : talent, célébrité, potentiel de séduction, potentiel d’intérêt, culture, humour, relations, mais avant tout un style qui détonne. L’anonymat est une mort et le vêtement, plus que jamais, permet d’exister. Montana l’avait compris. En augmentant la carrure, il augmentait la visibilité. En y ajoutant de la couleur en bloc, en ramenant les santiags et leur pointes métallisées, en faisant flotter les franges comme une aura sauvage sur ses blousons de cuir, il vous ouvrait les portes les plus confidentielles. Sauf que de confiance, lui-même n’en avait pas suffisamment pour survivre dans l’aquarium à requins de la mode où les investisseurs sont toujours prêts à suivre la versatilité d’une industrie qui ne pardonne rien à ceux qui s’attardent en chemin.

Le créateur français salue le public à la fin de son défilé de prêt-à-porter printemps-été à Paris, le 17 octobre 1987. Photo Pierre Guillaud/AFP

Les années Londres

Claude Montana est un rebelle tranquille. Né Claude Montamat, en 1947, d’un père espagnol et d’une mère allemande, il grandit dans une famille ouverte aux arts et aux faits de culture, mais souffre de la pression qui lui est imposée pour faire carrière dans un métier « sérieux », dans la science notamment, comme il le confie dans une de ces phrases hachurées de silences qui sont sa marque de fabrique. Il n’a pas vocation aux études. Après son bac, obtenu au prestigieux lycée Condorcet, il part pour Londres, manière de montrer à sa famille qu’il a un projet, mais surtout pour échapper à la contrainte de s’engager dans des études universitaires qui ne l’attirent guère. C’est une période où il se lance dans la création de bijoux en papier mâché qui attirent déjà l’attention de Vogue. À la fin des années 1960, il a déjà une réputation de créateur qui lui vaut de devenir l’assistant du styliste John Voigt, directeur artistique de la marque de cuirs Mac Douglas. C’est là, sur le tas, qu’il apprend les arcanes du métier et trouve son style, ce qui l’encourage à sauter le pas et créer sa propre marque en 1979.

Claude Montana le 22 juillet 1993 avec sa femme, le mannequin américain Wallis Franken, sur les marches de l'hôtel de ville du 7e arrondissement de Paris, où ils se sont mariés. Photo Gérard Julien/AFP

Le début de la déchéance

De sa famille qui lui tourne définitivement le dos, seule sa petite sœur, Jacqueline, croit en lui et le rejoint en qualité d’assistante. Jusqu’en 1990, date à laquelle il rejoint Lanvin en tant que directeur artistique, il enchaîne les succès et se marie même avec le mannequin et chanteuse américaine Wallis Franken en 1993. Ses années Lanvin lui valent deux Dés d’or, la plus haute distinction de la mode. Mais une déchéance sourdement enclenchée par une accumulation de dettes commence à le poursuivre. Wallis se défenestre en 1996, à l’âge de 48 ans. En 2008, il est poursuivi par un gogo dancer dragué dans une boîte de nuit. En plus de lui défoncer irrémédiablement la mâchoire, l’agresseur le poursuit en justice au prétexte qu’il lui a transmis l’hépatite B. Une affaire sordide qui commence à déteindre sur la vie de celui qui ne voulait que créer et qui a connu les plus grands moments de son époque. Déjà il disparaît des radars. Ses apparitions sont de plus en plus rares, et le fait de ne pas créer l’attriste profondément.

Mourir à 76 ans, sous tutelle, dans la solitude, n’était pas prévu dans la fulgurante trajectoire de Claude Montana. Il emporte avec lui toute une époque de paillettes et de souffre, sur-sexuée par l’apparition du sida qui a marqué la fin de la fête en introduisant une sorte de paranoïa dans les relations charnelles sans pour autant neutraliser le désir, dont la mode s’est saisie, provocante, moulant les seins en pointes, multipliant les transparences. Montana, lui, aura surtout accompagné l’autonomisation des femmes et leur prise de pouvoir. À jamais, ses épaulettes resteront leurs insignes de maréchales.

La première chose dont on se souvienne, quand on évoque cet éternel jeune homme blond à moustaches, c’est sa grande timidité. Aller au contact des médias, exercice incontournable de tout créateur de mode, est pour lui une torture. Pour les journalistes aussi. Il s’efforce pourtant, voix lente, élocution hachée, de placer un oui ou un peut-être dans la matière des interviews...

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