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Nos Lecteurs ont la Parole

Mettre des mots sur les maux...

« Ô mon miroir, qui m’observe derrière un mur

Vois-tu en moi l’image qui me

rassure ?

Vois-tu en moi que je suis la plus légère,

Et que mon existence en ce jour prospère ?

Révèle-moi qui je suis vraiment ce matin

À la fin de la soirée, trace mon destin…

Sans toi, la vie n’a plus de goût ni de magie,

Pour toi, mon dégoût règne jusqu’à l’infini…

Ô mon miroir, porteur de souvenirs gravés,

Larmes, formes, doutes et désirs enlacés.

Continue en ce jour l’interminable conte,

Je suis belle et mince… c’est tout ce qui compte

Permets-moi d’avancer vers un sincère amour,

L’amour de soi que je cherche en toi tous les jours

L’amour de l’autre en un jeu de miroir brisé,

Un autre en moi que j’aimerais sauvegarder.

Ô mon miroir mon seul ami d’enfance

Je peine dans ce monde plein de souffrance

Je dois revoir en moi le pouvoir émerger,

J’hésite dans le choix de mes pouvoirs cachés

Je dois savoir contrôler ma nourriture

Aliments de l’âme, du corps… pourriture !

Le choix entre la vie et l’ombre de la mort,

Et entre toi et l’intégrité de mon corps…

Ô mon miroir, image de Dieu sur terre,

Que les hommes visitent en sanctuaire…

Certains t’adoptent comme un totem pour leur vie,

Certains évitent ton châtiment inouï !

Un jour, j’espère que je fusionne avec toi,

Mince, lisse et plate avec de parfaites parois

Tu transcendes le temps en ta permanence

Tu captes l’espace par ta transparence…

Ô mon miroir, ne parle plus de maladies,

Tu me rappelles tous ces jours passés au lit !

Tu me rappelles ces moments de faiblesse,

Vomissant l’amour, dévorée de tristesse…

Tu me rappelles la vérité des pensées

Qui grandissent tant qu’on les observe pousser…

J’arrête d’observer mon image maigre,

J’arrête en moi la vie… ou son goût bien aigre ! »

* * *

Dans le silence des mots non dits, le cri d’une patiente souffrant de troubles des conduites alimentaires (TCA) s’élève, une lamentation sourde face à la méconnaissance de la gravité de ces pathologies mentales. L’expérience commune des patients atteints de TCA, ainsi que celle de leur entourage, révèle une incapacité de l’intuition seule à dévoiler la présence et la nature de la maladie, une caractéristique qui les distingue de la plupart des autres afflictions. En cette dernière semaine de février, dédiée à la sensibilisation aux défis liés aux TCA dans plusieurs pays du monde, ces quelques vers servent de passerelle entre l’expression des maux et la vérité scientifique sur ces troubles, soulignant ainsi l’importance d’une compréhension approfondie de ces affections.

Les TCA représentent un ensemble de troubles mentaux fréquents touchant environ 10 % de la population générale, en particulier les adolescents et les jeunes adultes de sexe féminin. Ils incluent des troubles essentiels tels que l’anorexie mentale, la boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique, tous caractérisés par une relation perturbée avec le corps et l’alimentation. Les principales causes des TCA incluent des facteurs biologiques d’origine essentiellement génétique, des facteurs psychologiques tels que la rigidité, l’impulsivité et la dysrégulation émotionnelle, ainsi que des facteurs sociaux tels que la pression exercée sur les adolescents et les jeunes adultes pour se conformer aux normes sociales de beauté et de minceur. Ces troubles augmentent la mortalité, atteignant jusqu’à 5 fois plus ce risque chez les jeunes souffrant d’anorexie mentale. Les causes de décès peuvent aller des complications physiques, en particulier au niveau cardiovasculaire, aux complications psychiques pouvant conduire au suicide. La prise en charge de ces troubles est multidisciplinaire, impliquant plusieurs professionnels de la santé et pouvant nécessiter des hospitalisations dans les cas les plus sévères. La possibilité de guérison est assez élevée, mais dépend de plusieurs facteurs, tels que la précocité de la prise en charge.

Il est fondamental de réaliser que les TCA vont au-delà de la simple lutte entre le patient et la nourriture dans son assiette ; ils représentent une bataille plus profonde, touchant les pensées et les émotions. La façon dont l’entourage aborde la maladie avec les patients atteints de TCA joue un rôle crucial dans l’orientation vers un parcours thérapeutique réussi. À ce titre, l’écrivaine américaine Naomi Wolf nous offre une perspective éclairante en affirmant : « Être anorexique ou boulimique, c’est être un prisonnier politique. » En d’autres termes, les personnes innocentes confrontées à ces troubles n’ont pas commis de crimes en cherchant à devenir plus minces, mais elles se retrouvent captives d’un corps affaibli physiquement, de pensées concentrées sur un domaine restreint et d’émotions marquées par le dégoût, la peur, la colère, la diminution de l’estime de soi, et bien d’autres sentiments négatifs. De plus, elles se trouvent emprisonnées par leur entourage qui les accuse de se rendre intentionnellement malades, et par la société qui les pousse, d’une manière ou d’une autre, à s’approprier des normes de beauté et de minceur. En fin de compte, elles sont effectivement emprisonnées parce qu’elles ont dépassé les limites de l’ordinaire dans leur réflexion et dans leur acceptation de leur réalité. Elles ont refusé de se conformer aux habitudes usuelles dans la relation avec le corps, dans une tentative de se soustraire aux idéaux imposés par la société et correspondant à l’image du corps, aux droits des individus, à la relation avec la nourriture, avec la contemporanéité, etc. Cependant, tout comme un prisonnier politique atteint l’apogée de sa libération au moment de son incarcération, les patientes atteintes de TCA ne seront libérées que lorsqu’elles seront encadrées dans un projet de prise en charge, pouvant inclure temporairement une hospitalisation. Néanmoins, une prise en charge optimale considère que la libération de ces « prisonnières » ne consiste pas simplement à les empêcher de mourir, mais, d’une manière plus complexe, à leur réapprendre à aimer vivre dans de nouvelles conditions…

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef de service de psychiatrie

à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté

de médecine de l’Université Saint-Joseph

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

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