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Politique - Éclairage

Présidentielle : pourquoi Hariri s’est rangé en zone grise

Aux yeux du courant du Futur, le « ni Frangié ni Azour » est normal pour un leader en retrait de la vie politique depuis plus de deux ans.

Présidentielle : pourquoi Hariri s’est rangé en zone grise

Le leader du courant du Futur, Saad Hariri, recevant Sleiman Frangié, candidat du Hezbollah à la présidence de la République, le 13 février 2024 à la Maison du Centre. Photo tirée du compte X des Marada

« Sleiman Frangié est mon ami, Jihad Azour aussi », a déclaré Saad Hariri devant ses visiteurs à la Maison du Centre, lors de son séjour de quelques jours à Beyrouth la semaine dernière. Entre le chef des Marada, candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah à la présidence de la République, et l’ex-ministre des Finances soutenu par les protagonistes de l’opposition et le Courant patriotique libre, le leader du courant du Futur a donc préféré se ranger en zone grise, mettant les deux présidentiables sur un pied d’égalité. À première vue, on serait tenté de croire que cette équation serait une conséquence naturelle de la décision de l’ex-Premier ministre (prise en janvier 2022) de se retirer de la scène politique… en attendant ce qu’il appelle « le bon moment » et surtout un feu vert saoudien pour un éventuel come-back.  Sauf qu’au-delà de cette lecture, les propos de Saad Hariri ne peuvent passer inaperçus au vu tant de leur timing que des messages politiques dont ils sont porteurs.  

Les déclarations du leader sunnite interviennent en effet à l’heure où l’échéance est dans une impasse totale, en attendant l’issue des efforts déployés par les pays du quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar). Mais aussi à l’heure où la polarisation a été accrue par la guerre menée par le Hezbollah sur le front sud contre Israël. Par conséquent, tout le monde convient que le prochain chef de l’État sera élu à la faveur d’un compromis interne mais aussi régional qui engloberait la présidentielle et un règlement au Liban-Sud. Perçus sous cet angle, les propos de M. Hariri pourraient être interprétés comme une façon de se préserver une place dans la phase postprésidentielle. C’est du moins l’avis de Moustapha Allouche, ancien député de Tripoli qui avait claqué la porte du courant haririen il y a quelques années. « En retrait de l’arène politique, M. Hariri veut clairement éviter de se mettre à dos un des deux grands camps et dire qu’il pourra collaborer avec n’importe quel chef de l’État », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour.

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La Maison du Centre ne va pas aussi loin. « La position de Saad Hariri est très normale pour un responsable qui a décidé de suspendre son action politique », dit Mohammad Hajjar, ancien député du Futur, qui estime que « c’est la façon pour le leader sunnite de faire comprendre à tout le monde qu’il n’a pas de candidat favori à la magistrature suprême et que son souci est de voir le Liban doté d’un nouveau chef de l’État dans les plus brefs délais ».

Sauf que ces explications ne réduisent en rien l’importance de la position du leader sunnite. Ce dernier s’est en effet soigneusement distancié des deux candidats quelques jours après sa réunion avec le chef des Marada que M. Hariri avait appuyé en 2015, avant d’opter pour le fameux compromis présidentiel d’octobre 2016 qui – avec l’entente conclue entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises quelques mois plus tôt – avait mené le fondateur du CPL, Michel Aoun, à Baabda. Une démarche que M. Hariri a qualifiée d’« erreur » lors de déclarations à la presse la semaine dernière. « Nous avons soutenu M. Frangié en 2015. Aujourd’hui, nous sommes en 2024 et nous sommes en retrait de la vie politique », rappelle un proche de la Maison du Centre, comme pour faire comprendre que les circonstances du soutien à la candidature du zaïm de Zghorta ne sont plus réunies. « Nous sommes conscients que M. Hariri ne peut pas, à l’heure actuelle, faire son come-back dans l’arène », affirme de son côté une figure gravitant dans l’orbite des Marada, insinuant que l’ancien Premier ministre n’a pas un poids décisif au niveau de la présidentielle tant que Riyad n’a pas encore approuvé son retour politique au Liban.  

Quelques jours avant son séjour beyrouthin, les milieux de M. Hariri avaient indiqué que le leader sunnite attendait un contexte favorable – « un compromis régional » (entre l’Iran et l’Arabie saoudite), précise un de ses proches – pour décider de son retour définitif. Dans un entretien à la chaîne al-Hadath la semaine dernière, M. Hariri a d’ailleurs fait une allusion indirecte au règlement régional attendu, dénonçant le radicalisme – sunnite aussi bien que chiite – qui prévaut dans la région. « Le rapprochement avec l’Iran que l’Arabie saoudite tente actuellement d’entreprendre est une excellente initiative. Nous sommes fatigués des conflits », a-t-il lancé.

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Comment la position du leader du Futur résonnera-t-elle auprès du bloc de la Modération nationale, dont plusieurs parlementaires sont des sunnites ex-haririens qui se veulent représentatifs du pouls de la communauté et qui n’ont pas encore pris de position claire au sujet de la présidentielle ? « En dépit de son retrait de l’arène politique, Saad Hariri demeure un leader de taille. Mais notre position n’a pas bougé d’un iota : il faut que le futur président fasse l’objet d’une entente élargie », souligne Walid Baarini, membre de la Modération nationale. D’ailleurs, dans les cercles proches de la Maison du Centre, on insiste à dire que « le Futur ne peut rien imposer aux députés de la Modération, qui sont des figures proches du parti ». Sauf que ces députés semblent avoir déjà choisi leur camp : celui de l’Arabie saoudite. « Ils ont déjà assisté à une rencontre tenue en septembre dernier à l’initiative de l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Beyrouth, Walid Boukhari, avec l’émissaire spécial de l’Élysée pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, et qui avait consacré le principe de l’élection d’une figure de troisième voie, rappelle Michael Young, chercheur au centre Carnegie pour le Proche-Orient. Je vois mal ces députés se mettre à dos l’Arabie saoudite. » En face, les haririens insistent : « Le chef du Futur s’entretient avec tout le monde : il a reçu aussi bien Sleiman Frangié que le commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun (figure perçue comme une sérieuse option de troisième voie) », tout comme il s’est déjà réuni aux Émirats avec Jihad Azour, son « ami ». Sauf que, tout comme son retour au Liban, l’heure pour Saad Hariri de jouer un rôle dans la prochaine phase ne semble pas encore venue.

« Sleiman Frangié est mon ami, Jihad Azour aussi », a déclaré Saad Hariri devant ses visiteurs à la Maison du Centre, lors de son séjour de quelques jours à Beyrouth la semaine dernière. Entre le chef des Marada, candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah à la présidence de la République, et l’ex-ministre des Finances soutenu par les protagonistes de l’opposition et le Courant...

commentaires (4)

Et dire que c'est cet homme là qui était censé être le leader du 14 mars. Tout comme un certain Michel Aoun était censé être le leader du 14 mars (1989 - guerre de "libération"). On dit que la plus belle ruse de l'ennemi est de mettre à la tête du camp des bons un homme qui travaille pour lui, surtout lorsqu'il travaille pour lui sans le vouloir du moins sans le vouloir complètement. Que dire quand il n'y en a pas qu'un seul mais deux..

Citoyen libanais

19 h 36, le 21 février 2024

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Commentaires (4)

  • Et dire que c'est cet homme là qui était censé être le leader du 14 mars. Tout comme un certain Michel Aoun était censé être le leader du 14 mars (1989 - guerre de "libération"). On dit que la plus belle ruse de l'ennemi est de mettre à la tête du camp des bons un homme qui travaille pour lui, surtout lorsqu'il travaille pour lui sans le vouloir du moins sans le vouloir complètement. Que dire quand il n'y en a pas qu'un seul mais deux..

    Citoyen libanais

    19 h 36, le 21 février 2024

  • Son tempérament prouve qu’il n’est pas taillé pour la politique en temps de crise. Le Liban a besoin d’un homme fiable, solide et patriote qui met l’intérêt de son pays au dessus de toute considération, et c’est loin d’être le cas de Saad Hariri qui ne voit la politique qu’à travers ses affinités et ses motivations personnelles. Ça n’est pas étonnant que l’Arabie Saoudite se soit désolidarisée de lui. Il manque de personnalité de punch et de convictions. Il a gaspillé le capital de courage que son père lui avait légué.

    Sissi zayyat

    10 h 45, le 21 février 2024

  • Attendre et voir venir. Son comportement passe ne présage rien de bon pour l'avenir, il a beaucoup de chemin a faire.

    Pierre Christo Hadjigeorgiou

    09 h 37, le 21 février 2024

  • Les sunnites ont perdu toute influence depuis que Hariri a été blacklisté par les Saoudiens, qu'ils arrêtent leur cabotinage, la présidentielle dépend de l'Arabie Saoudite, à elle seule et si demain ils leur intiment l'ordre de voter pour un candidat, ils obtempéreront d'une seule voix, le doigt sur la couture du pantalon.. Et quand il déclare que les deux candidats sont ses amis, il y a t il quelqu'un capable de lui faire comprendre qu'il s'agit là, de l'intérêt de l'intérêt suprême du pays et non d'une question d'affinités intellectuelles ou autres.

    C…

    07 h 55, le 21 février 2024

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