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Lifestyle - Archéologie

L’emplacement du port phénicien de Tyr enfin retrouvé

Longtemps resté un mystère pour les archéologues, l’antique port sud est blotti sous la voie romaine, selon l’équipe franco-libanaise ayant travaillé sur le terrain de 2018 à l’été 2023.

Les carottages ont été réalisés dans le secteur où se dressent les colonnades romaines. Photo Jean-Philippe Goiran 

Les auteurs antiques indiquent que la cité phénicienne de Tyr, au Sud-Liban, avait deux ports : l’un ouvert sur le nord, dit port « sidonien », et l’autre ouvert sur le sud, dit port « égyptien ». Le port antique nord, rempli de sédiments d’époque romaine, est clairement identifié sous le port moderne de Tyr. En revanche, le port antique sud n’avait jamais été repéré et diverses hypothèses ont été émises sur son emplacement.

Depuis 2018, une équipe de scientifiques français rattachée au Centre national de la recherche scientifique-CNRS, à l’Université de Lyon 2, la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, en collaboration avec la Direction générale des antiquités (DGA), a élargi la zone de prospection à la recherche de structures portuaires phéniciennes du port sud. Parmi eux Jean-Philippe Goiran qui, depuis 20 ans, est chercheur au CNRS et spécialiste de géoarchéologie littorale, de l’évolution des paysages côtiers. L’un de ses axes de travail le plus intéressant concerne la recherche des cités portuaires disparues de Méditerranée. Il raconte à L’Orient-Le Jour  la récente découverte de l’emplacement du port antique sud.

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Un quai de 180 mètres

« Il y a eu d’abord une exploration le long de la façade maritime de Tyr pour étudier la variation du niveau marin. La question à laquelle on nous demandait de répondre était : quelle était la position du niveau marin à l’époque phénicienne ? » relate Jean-Philippe Goiran. « Avec mon confrère géologue Gilles Brocard, à partir du rivage et grâce aux images satellitaires en libre accès, nous avons découvert une longue structure portuaire de 180 mètres, composée de blocs de taille phéniciens, immergée à trois mètres de fond.  La structure a été trouvée face au port sud, dit « port égyptien ». Avec l’expérience qu’on a, on estime que cet ouvrage correspond à un quai qui protégeait le bassin portuaire des tempêtes. Notre équipe franco-libanaise a eu de la chance… Je pense qu’une forte tempête récente a érodé les bancs de sable sous-marin qui l’avaient jusqu’alors recouverte, lui permettant ainsi d’échapper au regard des précédents archéologues. Si vous allez sur Google Earth, vous verrez cette structure apparaître clairement quand il n’y a pas de vagues à la surface de la mer », ajoute-t-il.

Quant aux variations du niveau marin depuis l’époque phénicienne, le résultat obtenu indique que « l’élévation du niveau de la mer est de deux mètres. C’est-à-dire que la mer se situait autrefois deux mètres en dessous de l’actuel niveau », indique Jean-Philippe Goiran. « Elle résulte du réchauffement climatique et d’une subsidence (un enfoncement des terres). De plus, sur plusieurs siècles, les sables se sont accumulés de part et d’autre de la chaussée d’Alexandre et ont comblé progressivement les derniers bassins portuaires phéniciens. Autrement dit, c’est sous le sol, sous la terre, qu’il faut rechercher les vestiges archéologiques du port ». 

Infographie précisant la géographie des lieux où ont eu lieu les travaux. Photo Jean-Philippe Goiran 

Sédiments phéniciens détruits par les Romains

Les recherches se dérouleront sur une portion de la voie romaine à colonnades. Des carottages ont permis de « prélever des archives sédimentaires sur dix mètres de profondeur et dix centimètres de diamètre. Les échantillons ont révélé une séquence argileuse, typique d’un faciès portuaire, et datée par radiocarbone de l’époque phénicienne », explique le géoarchéologue. Ce travail a permis de valider l’hypothèse selon laquelle un bassin portuaire phénicien était préservé sous les vestiges archéologiques romains.

Pourquoi avoir choisi le secteur de la voie romaine et des bains romains ? Petit rappel historique : fondée selon la tradition en 2750 avant J.-C., construite en grande partie sur une île réputée imprenable, Tyr succomba en 332 av. J.-C à l’attaque d’Alexandre le Grand qui avait relié l’île à la terre ferme par une digue de 750 mètres de long. Cette construction a interrompu le transit littoral de sable, qui s’est accumulé de part et d’autre de la chaussée, créant progressivement un isthme sableux (tombolo) reliant l’île au continent. Une ville grecque, puis une ville romaine s’élevèrent successivement sur ce qui est devenu un promontoire. « Le tombolo a profondément altéré les aménagements de Tyr et de ses ports, et la construction de nouvelles structures côtières a changé la dynamique littorale, et a affecté les plus anciennes. C’est un problème récurrent depuis l’Antiquité », fait observer Jean-Philippe Goiran. Il explique en substance que les grands navires romains marchands qui avaient une capacité de chargement de 100 à 150 tonnes, et dont certains faisaient 4m50 de tirant d’eau, ne pouvaient pas entrer dans les bassins des ports de Tyr engorgés de sédiments. Les ingénieurs romains ont donc dragué les dépôts, continentaux ou marins, détruisant les archives sédimentaires phéniciennes.

Enfoui sous la chaussée d’Alexandre  

Au fil des siècles, les bassins se remplissent de nouveau de gravier, de sable ou de vase. Aussi, en faisant leurs carottages, les scientifiques du XXe et XXIe siècles ne trouvaient que les strates romaines. « Géographes et géomorphologues, nous nous sommes alors dits que l’on avait des chances d’avoir un secteur où les bassins phéniciens n’ont pas été curés. C’était le sous-sol de la chaussée construite par Alexandre où des sables s’étaient accumulés avant l’arrivée des Romains et sur lesquels ces derniers avaient construit leurs édifices sans réaliser de curage. Nous avons ainsi obtenu l’autorisation de la Direction générale des antiquités (DGA) de faire nos carottages dans un secteur précis de la colonnade et des bains romains pour sonder les sous-sols en profondeur. La balle est aujourd’hui dans le camp des archéologues. Ils décideront ou pas d’entreprendre des fouilles pour mettre à jour les vestiges de ce port phénicien en partie enfoui sous l’eau et sous les terres ».

Le vivier à poisson antique qui permet de comprendre les variations du niveau marin. Photo Jean-Philippe Goiran 

Selon les résultats scientifiques, le bassin portuaire pourrait couvrir une surface de l’ordre d’un hectare (100m x 100m), au sud du complexe des bains romains. Il apparaît que les structures du port phénicien sud de Tyr ont été enfouies sous les sables pendant les périodes hellénistique et romaine, permettant aux romains d’utiliser le cap sud-est de l’île de Tyr pour l’aménagement des bains romains monumentaux. L’équipe scientifique suggère également que l’antique port sud a dû être abandonné face à la progression rapide du tombolo sableux durant les siècles suivant la construction de la chaussée d’Alexandre, et que la zone a ensuite été reconvertie.

Jean-Philippe Goiran souligne d’autre part que cette campagne de carottages et de prospections a été une succès grâce à une équipe pluridisciplinaire qui a regroupé archéologues, historiens, géographes, géologues, biologistes, et autres, ainsi qu’aux « liens très forts » entre les scientifiques français et libanais, notamment la DGA et son responsable au Sud-Liban, l’archéologue Ali Badaoui. « Il a compris que pour réussir à avancer, il était important de travailler en équipe, où chacun apporte son expertise et une spécificité différente. C’était une belle collaboration. »

Les travaux de l’équipe ont été publiés le 15 janvier dans la revue  Quaternary Science Review.

Les auteurs antiques indiquent que la cité phénicienne de Tyr, au Sud-Liban, avait deux ports : l’un ouvert sur le nord, dit port « sidonien », et l’autre ouvert sur le sud, dit port « égyptien ». Le port antique nord, rempli de sédiments d’époque romaine, est clairement identifié sous le port moderne de Tyr. En revanche, le port antique sud n’avait...

commentaires (4)

Merci de nous faire parvenir du Liban des nouvelles d'un pays qui continue à vivre malgré les malheurs dont vous souffrez. Malheurs qui sont d'ailleurs superbement ignorés par les médias occidentaux avec leur vision unilatérale pro-israëlienne de cette triste guerre ...

Denys Perrin

14 h 17, le 10 février 2024

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Commentaires (4)

  • Merci de nous faire parvenir du Liban des nouvelles d'un pays qui continue à vivre malgré les malheurs dont vous souffrez. Malheurs qui sont d'ailleurs superbement ignorés par les médias occidentaux avec leur vision unilatérale pro-israëlienne de cette triste guerre ...

    Denys Perrin

    14 h 17, le 10 février 2024

  • Celui de Byblos (jbeil) a été découvert il y a quelques années lors d'une construction d'un centre balnéaire au bout de l'orphelinat arménien, malgré l'arrêt du projet certains aux bras très très long ont réussi à remettre la construction et le saccage du site en marche. Le projet a été de nouveau arrêté mais avec du bétonnage qui a été réalisé entretemps.

    Zeidan

    17 h 39, le 07 février 2024

  • Passionnant... @OLJ encore plus d'articles de ce genre qui nous permettent de prendre un peu de recul sur la vacuité ambiante, et de réaliser à quel point cette terre fut un temps développée, stable et cultivée.

    Ca va mieux en le disant

    01 h 46, le 07 février 2024

  • Très intéressant! La photo du vivier romain me rappelle le vivier romain Fréjus (France) près de chez moi. Hâte de retourner à Tyr...

    ROUILLEAULT Michel

    12 h 14, le 06 février 2024

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