Bien décidé à ne pas laisser le gouvernement instaurer un contrôle des capitaux en douce, le barreau de Beyrouth ne contestera finalement pas la circulaire n° 165 de la Banque du Liban devant le Conseil d’État, et ce après avoir déjà engagé un recours devant cette instance contre la décision du Conseil des ministres n° 22 du 18 avril 2023.
Publié le 19 avril, ce texte semble consacrer la distinction entre les anciens et les nouveaux fonds en dollars et livres libanaises, soit respectivement ceux soumis aux restrictions bancaires appliquées de fait depuis le début de la crise qui a éclaté en 2019 et ceux restés libres d’emploi.
Dans un courrier daté de ce mercredi 24 mai que L’Orient-Le Jour a pu consulter, la banque centrale assure explicitement que la circulaire concernée ne vise pas à légitimer la distinction entre les anciens et les nouveaux dépôts et que l’ensemble de ses dispositions visent à répondre aux standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Le barreau de Beyrouth devrait communiquer sous peu à ce propos.
Explications en deux temps
La lettre est signée par le gouverneur Riad Salamé, qui est parallèlement au centre d’une tempête judiciaire et médiatique pour une autre affaire liée à son patrimoine personnel. Adressée en réponse à une première lettre envoyée par le barreau le 10 mai 2023 dans le cadre d’un échange initié par ce dernier, elle se compose de deux grandes parties.
Une première, dans laquelle la BDL assure donc de manière explicite qu’elle ne fait pas de distinction entre les anciens et les nouveaux dépôts et que l’expression de « fonds nouveaux » utilisée dans la circulaire n° 165 se limite à la description des dispositifs qu’elle met en place spécifiquement et de façon restrictive dans ladite circulaire. À savoir, des systèmes de paiement et de compensation en dollars et en livres « fraîches » qui possèdent désormais des modalités propres et distinctes de celles qui étaient en place.
La banque centrale insiste sur le fait que les « mesures exceptionnelles » qu’elle a adoptées depuis le début de la crise – une référence à ses différentes circulaires aménageant les restrictions bancaires comme la n° 151 – n’ont jamais visé à légitimer une telle distinction, qui relève de la compétence du Parlement. De fait, si le Code de la monnaie et du crédit accorde des prérogatives temporaires à la BDL pour limiter la circulation des capitaux si elle le juge nécessaire pour protéger l’intégrité du système financier libanais, c’est au Parlement de pérenniser ce type de mesures via une loi.
Une demande du GAFI
Dans la seconde partie de son courrier, la Banque du Liban assure que ce système mis en place par la circulaire n° 165 vise d’abord à inciter à « l’inclusion financière » en relançant les paiements par chèque et par carte bancaire, dans une économie devenue complètement dominée par le cash. Une situation qui est liée à l’effondrement de la confiance des déposants vis-à-vis de banques, lesquelles restreignent illégalement et de manière discrétionnaire une partie de leurs fonds depuis plus de trois ans.
La BDL ajoute que la circulaire n° 165 a été adoptée à la demande du Groupe d’action financière (GAFI), l’organisme international compétent pour coordonner la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ce dernier exigerait que le Liban se conforme à sa propre législation dans ce domaine, citant la loi n° 44 du 24 novembre 2015 qui fixe notamment l’arsenal de procédures de contrôle que les institutions du secteur financier doivent mettre en place, et estimerait nécessaire pour y parvenir ce dispositif mis en place par la circulaire n° 165.
Selon plusieurs sources, le Liban a récemment été placé sur la liste grise du GAFI, qui regroupe les États placés sous surveillance, suite à l’évaluation faite par l’antenne régionale de l’organisation pour la zone MENA. De fait, le pays est sous surveillance renforcée et doit se mettre à la page pour ne pas voir sa situation se dégrader. Seuls trois pays sont actuellement sur la liste noire du GAFI : la Birmanie, la Corée du Nord et l’Iran.
Garantie suffisante ?
Ces garanties de la BDL ont été jugées suffisantes par l’ordre des avocats qui a décidé mercredi, au vu des motifs invoqués et de sa position de partie prenante à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, tel que précisé à l’article 5 de la loi n° 44/2015, de ne pas tenter de la faire annuler ou de la suspendre par le Conseil d’État afin de ne pas contribuer à la détérioration de la notation du Liban par le GAFI et le blocage de ce qui reste de son système d’échange bancaire avec l’extérieur.
En revanche, le barreau a déposé cette semaine le recours en annulation pour excès de pouvoir qu’il préparait depuis plusieurs semaines contre une décision prise en Conseil des ministres le 18 avril dernier, soit la veille de la publication de la circulaire n° 165. Dans cette décision, le gouvernement sortant demande à la BDL de contraindre les banques à plafonner les retraits et les transferts de manière uniforme et de créer une ségrégation officielle entre les dépôts bloqués par les restrictions et les autres.
La combinaison du décret et de la circulaire publiés sans bruit avait laissé légitimement craindre à une partie de l’opinion publique que le gouvernement et la banque centrale s’apprêtaient à légitimer les restrictions bancaires sans égard pour les droits des déposants et avec un risque que les dollars fraîchement injectés dans le secteur bancaire soient indirectement utilisés pour le renflouer. « Le barreau considérait, non sans raison, que le timing de la publication de la circulaire n° 165 ainsi que la formulation de certaines de ses dispositions soulevaient des inquiétudes légitimes pour les droits des déposants. Suite à une série d’échanges, la BDL a finalement accepté de fournir des garanties par écrit », a confié à L’Orient-Le Jour un des membres du comité du barreau pour la défense des droits des déposants qui a assisté le bâtonnier dans cette procédure.
Interrogation des banques
Sans avoir la même valeur qu’un texte réglementaire, la lettre pourrait éventuellement servir à clarifier l’ambiguïté qui entoure la question des dépôts anciens et nouveaux et, de ce fait, d’élément de présomption pour aider un déposant à faire valoir ses droits devant la justice, explique le juriste.
Si la patte blanche montrée par la BDL « et l’esprit d’ouverture et de dialogue sincères affichés notamment par Wassim Mansouri », le premier vice-gouverneur principal – par ailleurs interlocuteur du barreau pour la question des dépôts et des droits– sont de nature à rassurer l’ordre des avocats, une partie du secteur bancaire critique toujours l’ensemble du mécanisme établi par la circulaire n° 165. Sur son compte Twitter le PDG de I&C Bank, Jean Riachi, a expliqué que le texte offrait la possibilité aux banques de déposer à la BDL les dollars frais de leurs clients. Une fois déposés, ces dollars sont « transformés en dollars bancaires transférables uniquement entre banques libanaises ». Ils pourront cependant être retirés en espèces, mais pas transférés à l’étranger, a-t-il ajouté, jugeant que cela finirait à terme par éroder la valeur des dollars circulant au Liban. « C’est ce que nous avons compris pour l’instant. Les dollars déposés à la BDL sont théoriquement transférables à l’étranger, vu qu’ils peuvent être retirés en cash, mais ça peut se révéler plus compliqué, surtout pour les gros montants », a expliqué le dirigeant de banque que nous avons contacté.
Dernier paragraphe de l’article par rapport « aux montants importants » quels sont pour eux, les sommes importantes ? Cad? 400? 1000? 3000? Ou 25 000 dollars ? Il serait judicieux de préciser.
15 h 07, le 25 mai 2023