La Banque du Liban (BDL) a fini par publier samedi le texte définissant un nouveau mécanisme permettant aux déposants de retirer 150 « vrais dollars » chaque mois de leurs comptes en dollars dont l’accès a été illégalement restreint par les banques libanaises, dès les premiers mois de la crise qui traverse le pays depuis 2019.
Ce mécanisme, institué par la circulaire principale n° 166, remplace de facto celui établi par la n° 151, qui autorisait ou contraignait – selon que l’on soit d’un côté ou de l’autre du guichet – de retirer chaque mois de ces mêmes comptes des petits montants en livres libanaises, à un taux bien inférieur à celui du marché. La circulaire n°151 avait été adoptée le 20 avril 2020, et sa durée d'application prolongée à plusieurs reprises, jusqu'à l'expiration de la dernière extension le 31 décembre 2023.
Effectif immédiatement, le texte mettra sans doute quelques jours à être mis en œuvre par les banques, selon une source au sein du secteur. Il s’appliquera jusqu’au 30 juin prochain, mais la BDL prévoit explicitement que cette durée soit prolongée.
La BDL a en outre publié une autre circulaire principale majeure, la n°167 qui oblige les banques à comptabiliser plusieurs catégories d’actifs en devises au taux qui sera fixé par la plateforme de la banque centrale sans préciser lequel. Il doit en principe s’agir de celui actuellement pris pour référence sur le marché, soit 89.500 LL et qui est stable depuis des mois. « Cela ne concerne que la méthodologie que les banques doivent employer pour dresser leurs bilans financiers, ce qui ne veut pas dire que la BDL les oblige à rendre tous les dépôts à ce taux », explique un cadre de banque souhaitant rester anonyme. Il reconnaît cependant que cela va profondément modifier la physionomie des bilans financiers des banques, qui calculaient depuis le 1er février la valeur de leurs actifs en devises en employant le désormais ancien taux officiel de 15.000 LL pour un dollar, évoquant un possible prélude à la restructuration annoncée du secteur. Il n'y aura donc plus de dollar bancaire à 15.000 LL, selon cette source.
Pour revenir à la circulaire n° 166, L’Orient-Le Jour a parcouru le texte afin d'en extraire les principaux points.
Les grandes lignes de la procédure
Le mécanisme de la circulaire n° 166 est assez similaire à celui de la circulaire n° 158, publiée en juin 2021, et qui autorise chaque mois des bénéficiaires sélectionnés, selon des modalités précises, à retirer 300 ou 400 dollars «frais» des comptes de « dollars bancaires » ou « lollars ». Les effets de la circulaire n° 158 ont également été prolongés à plusieurs reprises et resteront en vigueur jusqu'à au moins fin juin.
La nouvelle circulaire n° 166 prévoit que le bénéficiaire demande d’abord à sa banque d’ouvrir un sous-compte spécial sur lequel pourront être transférés jusqu’à 4.350 dollars depuis ses propres comptes dans la banque.
Il pourra décider quel compte privilégier si les montants cumulés qu’il possède à la banque dépassent le plafond fixé par la circulaire. En revanche, le bénéficiaire ne pourra pas transférer sur le sous-compte spécial plus que 1.800 dollars bancaires crédités sur chacun de ses comptes joints.
La circulaire prévoit toute une batterie d’autres modalités spécifiques pour encadrer ce mécanisme, notamment le fait d’obliger le déposant qui souhaitent l’activer à lever le secret bancaire vis-à-vis de la BDL et de la commission de contrôle des banques sur les sous-comptes ouverts dans ce cadre.
Le déposant doit aussi déclarer qu’il ne rentre pas dans aucune des catégories d'exclusion (voir ci-dessous). Si la banque découvre avec le temps que sa déclaration est fausse, le processus sera suspendu et il devra rendre les fonds déjà versés.
Une fois les étapes préliminaires accomplies, la banque lui versera chaque mois 150 dollars — pour un total donc de 1.800 dollars par an — soit en espèces, soit transférés sur un compte en dollars « frais », soit alors transférés à l’étranger. La banque ne doit imposer aucuns frais directs ou indirects, ce qui laisse supposer que c’est elle qui assumera les frais de transfert à l’étranger.
Le client sera ensuite libre de retirer les 150 dollars mensuels comme il le souhaite, que ce soit totalement ou en partie, le mois où la banque les lui verse ou plus tard.
La date d’activation du processus est celle de l’enregistrement d’une demande valide auprès de la banque, et les droits des bénéficiaires lui seront accordés rétroactivement jusqu’à cette date. Une mesure qui semble essayer de décourager les banques à faire traîner la procédure.
La moitié des dollars seront fournis par l'établissement bancaire et l’autre par la BDL qui les déduira des comptes des réserves obligatoires constituées par l’enseigne concernée auprès de l’institution.
Qui est éligible ?
Le texte prévoit que « chaque banque établie au Liban prenne des mesures exceptionnelles pour restituer de façon progressive les dépôts bancaires en devises ouverts après le 31 octobre 2019 ».
La mesure bénéficie à toute personne physique titulaire d’un compte accueillant des dépôts en « dollars bancaires » ou « lollars », soit ceux sur lesquels les banques ont illégalement imposé des restrictions depuis le depuis le début de la crise, et non ceux en dollars « frais ». La BDL se réfère à la distinction faite dans la circulaire n° 165 publiée en avril 2023, le premier texte à travers lequel la BDL a reconnu explicitement la distinction (elle l’avait fait mais de manière incomplète par le passé).
Les comptes éligibles dans le cadre du mécanisme peuvent être domiciliés ou non. Il peut aussi s’agir de comptes communs ou de comptes joints. Les soldes pris en compte sont ceux arrêtés au 30 juin 2023. Les comptes mis en collatéral de prêts ne sont pas exclus. Il peut s’agir de comptes en d’autres devises que le dollar, du moment qu’il ne s’agit pas de fonds déposés sur des comptes « frais ».
Qui n’est pas éligible ?
• Les déposants qui n'ont pas consenti à rapatrier une partie des fonds qu’ils avaient transférés à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et le 27 août 2020, selon une précédente mesure imposée par la circulaire principale n°154 publiée à cette dernière date.
• Les déposants dont les mouvements sur les différents comptes après le 31 octobre 2019 laissent apparaître qu’ils ont fait le commerce de chèques bancaires (une pratique qui s’est développée suite à la combinaison entre le maintien des restrictions bancaires, l’effondrement de la monnaie et la coexistence de plusieurs taux de change en 5 ans de crise).
• Les déposants qui ont converti depuis leurs comptes en livres libanaises des montants dépassant l’équivalent de 300.000 dollars après le 31 octobre 2019. Cette exclusion ne concerne pas ceux qui ont converti les montants provenant de leurs indemnités de fin de service.
• Les déposants qui ont soldé des prêts en dollars totalisant plus de 300.000 dollars après le 31 octobre 2019 depuis leurs comptes en livres libanaises.
• Les déposants qui soldé des prêts en livres totalisant plus de 300.000 dollars après le 31 octobre 2019 depuis leurs comptes en dollars.
• Les déposants qui ont pu convertir 75.000 dollars via la plateforme Sayrafa de la BDL, qui est désormais inopérante mais dont le taux de change a toujours été plus avantageux que celui du marché pour ceux qui voulaient convertir des livres en dollars.
• Les bénéficiaires de la circulaire n° 158.
commentaires (16)
Ya Wissam, comment je fais -moi - pour payer le mécanicien de mon yacht garé dans la marina Saint-Georges ? Yahné, vraiment, déjà que j'ai viré les trois autres au temps de la circulaire 150, puis les quatre éthiopiennes avec la 151 (heureusement que j'ai pu les réxpédier en fret à Adis-Abeba). Maintenant, avec le contrôle de l'origine des fonds de la 166, ce n'est plus possible, on y arrive plus. Je vais être obligé d'accepter des trajets aller-retour vers Larnaca pour de l'import/export de plantes. Ce n'est plus une vie, vraiment.
Ca va mieux en le disant
00 h 33, le 06 février 2024