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Idées - Point de vue

Washington reste incontournable dans le face-à-face mortel entre Téhéran et Tel-Aviv

L'ombre d'Air Force One avant l'atterrissage du président Biden à l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, le 17 octobre 2023. Brendan Smialowski/AFP

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le Moyen-Orient assiste à une forte montée des tensions, avec des attaques sur l’ensemble de la zone et le spectre d’une guerre généralisée. Il importe donc de clarifier les enjeux réels de l’affrontement, car il s’agit là, avant tout, d’une bataille pour la fixation des zones d’influence entre grands blocs régionaux.

À la suite des multiples conflits qui ont émaillé la zone ces deux dernières décennies, le Moyen-Orient s’est recomposé progressivement en trois zones d’influence, dominées par l’Iran, la Turquie et l’axe Israël-pays du Golfe. Ces trois blocs tentent aujourd’hui de se consolider et de clarifier leurs « frontières », un processus d’ajustement qui engendre une série de chocs entre eux.

L’Iran a, lui, en apparence fortement progressé, étendant son influence en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et à Gaza, tout en tentant de maintenir le contact avec les communautés chiites d’Arabie saoudite, de Bahreïn ou du Koweït. En outre, Téhéran peut, en cas extrême, menacer avec ses missiles les villes de Dubaï, d’Abou Dhabi ou de Riyad (au risque d’une forte riposte). Si l’Iran dispose donc d’une forte capacité de nuisance, sa position demeure fragile et sa situation économique précaire.

De son côté, la Turquie a, elle, gardé le cap sur deux objectifs essentiels : maintenir la pression sur les Kurdes d’Irak et de Syrie, et les empêcher d’unir leurs revendications avec ceux de Turquie. Et, ensuite, tenter une percée en direction de l’Azerbaïdjan et des républiques turcophones d’Asie centrale (qui s’étendent jusqu’à la frontière chinoise), suite au récent repli arménien face à l’Azerbaïdjan (allié d’Ankara).

« Hypothèque iranienne »

Le troisième bloc est, lui, issu du rapprochement entre Israël et les pays du Golfe, qui implique, pour être poursuivi (jusqu’à l’Arabie saoudite notamment), de lever « l’hypothèque iranienne ». Une hypothèque symbolisée par trois éléments essentiels. Premièrement, la question palestinienne, que l’immense désastre à Gaza n’a fait que remettre en lumière, et qui doit être réglée, sans quoi l’identité et la pérennité de l’État juif dans sa forme actuelle (et en particulier son caractère démocratique) risqueraient d’être remises en question à terme. En deuxième lieu, la question yéménite, car, tant que cette menace persistera (celle de voir les houthis bombarder les territoires saoudien et émirati et bloquer la navigation en mer Rouge), l’on voit mal comment les États du Golfe pourraient achever sans accroc leur rapprochement avec Tel-Aviv. Enfin, le dernier élément de « l’hypothèque iranienne » n’est autre que le bloc libano-syrien, où l’escalade se poursuit entre les Israéliens et les forces alliées de l’Iran, dont le Hezbollah. Si l'État juif exige, lui, l’application de la résolution 1701 de l’ONU, pour permettre le retour des déplacés israéliens dans les zones proches de la frontière libanaise, le problème est cependant plus vaste. En effet, même s’il se retirait jusqu’à 40 kilomètres de la frontière, rien n’empêcherait le Hezbollah de continuer à menacer Israël via les milliers de missiles qu’il affirme détenir. Et, surtout, la lecture de la résolution 1701 montre que cette dernière est d’une portée extrêmement vaste, puisqu’elle englobe non seulement le retrait du Hezbollah de la bande frontalière, mais également le désarmement de l’ensemble des forces autres que celles du gouvernement libanais, ainsi que le contrôle de la frontière syro-libanaise. Et donc, de facto, la fin du passage des armes et plus largement du rôle prééminent du Hezbollah en Syrie (qui n’a de sens qu’en continuité avec le Liban). Ce qui, en retour, poserait la question globale du rôle iranien en Syrie et au Liban.

Trois conséquences à cela : premièrement, malgré toute l’horreur et l’indicible qui se produisent à Gaza, les enjeux dépassent aujourd’hui le cadre unique du conflit israélo-palestinien. C’est le sort de l’ensemble de la région qui est en jeu. En outre, dans la conjoncture actuelle, Israël ne peut plus reculer : au-delà du fait de perdre la face, il risquerait de perdre définitivement l’opportunité d’une alliance avec les pays du Golfe, lesquels n’auraient plus aucun intérêt à se rapprocher d’un État désormais perçu comme affaibli. Enfin, de son côté, l’axe iranien ne peut pas non plus reculer. Il peut courber, plier l’échine, subir des pertes. Mais, vu les exigences posées, de facto, par la consolidation de l’axe Israël-Golfe, c’est véritablement l’ensemble de son dispositif régional qui est en jeu. Tel-Aviv et Téhéran sont donc enferrés dans un face-à-face mortel.

Paradoxe américain

Au stade actuel, il n’y a qu’un seul acteur qui pourrait tenter d’empêcher un embrasement général et équilibrer le jeu entre l’Iran et Israël : les États-Unis. Une constatation qui peut paraître paradoxale, vu la volonté affichée par ces derniers, depuis des années, de se désengager de la région, mais aussi vu l’implication croissante de Washington dans l’affrontement actuel. Cependant, si Téhéran semble en effet visiblement peu enclin à une confrontation ouverte et sans limites avec l’Oncle Sam, Tel-Aviv n’a pas non plus les moyens d'affronter seul l’ensemble de l’axe de la résistance au Moyen-Orient. Sur le fond, ces deux acteurs veulent la même chose : des garanties de pérennité et la stabilité de leurs acquis. Israël doit, lui, absolument régler son contentieux avec les Palestiniens de manière viable et soutenable à long terme. Il souhaite également consolider son axe avec le Golfe, qui le sort de son enfermement régional et lui donne la profondeur stratégique nécessaire, ainsi qu’un pactole économique considérable. L’Iran, de son côté, veut avant tout ne pas perdre la face et sauvegarder autant que possible son influence nouvellement acquise au Moyen-Orient (une défaite pouvant menacer la pérennité du régime iranien). Téhéran cherche également à recueillir des dividendes économiques, en tentant notamment un rapprochement avec Riyad.

La solution pourrait passer par une « neutralisation » des trois zones de contact entre le bloc emmené par l’Iran et l’axe Israël-Golfe, à savoir le dossier palestinien, le Yémen et le bloc libano-syrien. Avec pour cela l’implication de la communauté internationale et des États-Unis. Concrètement, une solution possible pour Gaza placerait le territoire non plus sous l’autorité exclusive du Hamas, mais sous une administration palestinienne renforcée par un soutien politique et sécuritaire arabe et international, avec à la clé des aides économiques substantielles des pays du Golfe. Il faudrait également une solution similaire pour la Cisjordanie, où le processus électoral et démocratique est à l’arrêt, et où l’influence de l’Autorité palestinienne, en perte de vitesse et accusée de corruption, est battue en brèche par celle du Hamas, lui-même désormais au ban de la communauté internationale.

De même, une solution pour sécuriser la frontière terrestre israélo-libanaise pourrait reposer sur des garanties américaines explicites (similaires à celles octroyées lors de l’accord sur la frontière maritime), données à Israël ainsi qu’à l’État libanais – et à travers lui au Hezbollah. Ce qui poserait la question d’un « package deal » plus vaste, impliquant des réformes politiques au pays du Cèdre. Mais également de la situation en Syrie, où la Russie est toujours présente. Enfin, le dossier yéménite pourrait être réglé d’une manière similaire à celui du Liban, à savoir une trêve de longue durée associée à des garanties sécuritaires et politiques, ainsi qu’une aide économique massive éventuelle des pays du Golfe. Il faudrait toutefois pour cela que les houthis, qui contrôlent une partie du pays (dont la capitale Sanaa) mais qui sont géographiquement isolés et cernés par les forces occidentales et des pays du Golfe, acceptent le compromis.

Sur tous ces dossiers, les États-Unis semblent seuls en mesure d’exercer à la fois une pression militaire, tout en offrant aux différents acteurs des garanties suffisantes pour pouvoir négocier un compromis, en mettant à contribution le reste de la communauté internationale. Une telle architecture régionale sous parrainage international est-elle aujourd’hui possible, voire réaliste ? Disons simplement que c’est l’une des dernières occasions d’empêcher le Moyen-Orient, laissé à lui-même, de s’enfoncer dans davantage de violence.

Par Fouad KHOURY-HELOU

Écrivain, économiste et directeur exécutif de « L’Orient-Le Jour ». Il intervient ici en tant que contributeur extérieur à la rédaction.

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le Moyen-Orient assiste à une forte montée des tensions, avec des attaques sur l’ensemble de la zone et le spectre d’une guerre généralisée. Il importe donc de clarifier les enjeux réels de l’affrontement, car il s’agit là, avant tout, d’une bataille pour la fixation des zones d’influence entre grands blocs régionaux.À la suite...

commentaires (3)

Les Israéliens ont voulu Hamas. Tout sauf une Autorité palestinienne revivifiée et plutôt laïque . Libérez Marwan Barghouti !

Hacker Marilyn

15 h 46, le 04 février 2024

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Commentaires (3)

  • Les Israéliens ont voulu Hamas. Tout sauf une Autorité palestinienne revivifiée et plutôt laïque . Libérez Marwan Barghouti !

    Hacker Marilyn

    15 h 46, le 04 février 2024

  • Allez Trump ! Vite à la Maison Blanche ! Les iraniens vont goûter autre chose !

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 35, le 04 février 2024

  • ca ne passera pas durant une annee electorale aux etats unis

    Ma Realite

    10 h 13, le 04 février 2024

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