La loi du talion

« La paix ne peut être maintenue par la force. Elle ne peut être atteinte que par la compréhension », Albert Einstein.

Si idéologies et religions sont les creusets de toute civilisation, alors nous pouvons parler de civilisation juive, de civilisation musulmane et également de civilisation chrétienne, peut-être même de civilisation méditerranéenne...

« Dans son acception historique et sociologique actuelle, la civilisation est l’ensemble des traits qui caractérisent l’état d’une société donnée du point de vue technique, intellectuel, politique et moral, sans porter de jugement de valeur » (Wikipédia).

« Civilisation » fut utilisé comme maître-mot au siècle des Lumières pour penser le monde et l’histoire, et ce concept a acquis, au fil du temps, un poids politique et idéologique déterminant.

Alors, peut-on parler de civiliser un pays, un peuple, ou bien plutôt de perfectionner les conditions matérielles et culturelles dans lesquelles vit un peuple ?

Mais parler de civilisation, c’est également parler de l’ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, morale, sociale et matérielle d’un pays ou d’une société.

Il est alors impératif de revenir aux fondamentaux pour comprendre si notre région en est encore – ou est revenue – au stade de la barbarie qui est l’état d’avant la civilisation ; ou bien si les fondamentaux auxquels nous sommes confrontés à l’est de la Méditerranée sont plus « prenants » que toutes les avancées et améliorations des conditions de vie de ses populations !

En fait et pour ce qui est des fondamentaux, nous sommes au Liban et dans tous les cas de figure dans la quadrature du triangle – judaïsme, islam et christianisme –, avec deux concepts, deux philosophies, deux idéologies mais trois religions qui s’y confrontent, s’y font face, se nourrissent les unes des autres, mais jusqu’où ?

Livre sacré à l’origine des livres sacrés des trois religions monothéistes, la Bible de l’Ancien Testament nous parle d’un Dieu vengeur et de la loi du talion : œil pour œil et dent pour dent, mais un œil pour un œil et une dent pour une dent (mais y aurait-il un multiplicateur dans la riposte ?).

Le Coran, héritier des livres sacrés judéo-chrétiens, reprend à son compte et le Dieu vengeur et la loi du talion par-delà le Nouveau Testament et l’Évangile des chrétiens qui prône : qui te frappe sur la joue droite, présente-lui ta joue gauche, pardonne à tes ennemis, aime ton frère comme toi-même et traite-le comme tu aimerais qu’on te traite !

Tout est dit, tout est compris, et en tout premier lieu la position des chrétiens libanais qui saignent pour toutes les victimes de la guerre meurtrière à nos frontières mais dont la solidarité n’a d’égale que l’incompréhension : incompréhension d’une loi du talion appliquée avec un multiplicateur d’un côté comme de l’autre, alors qu’eux ont grandi avec la loi du pardon évangélique qui avec la foi en la résurrection est la marque de fabrique de tout chrétien. Alors pardon si le chrétien libanais, mais également tout homme de cœur – laïc ou religieux, croyant ou athée –, ne comprend pas, ne participe pas à une guerre entre frères ennemis au nom du même Dieu et de la même loi.

Il a été rapporté qu’il y aurait trop de chrétiens en Israël qui ne savent comment accepter les excès d’une guerre même si elle est justifiée, même si elle relève, mais combien peu, de la même loi du talion (1 pour 1) chez les uns et chez les autres !

À cette loi, seul le chrétien libanais semble échapper, sidéré par la violence, le sang innocent versé et les justifications factices ou réelles.

Je dis chrétien libanais car seul celui-ci semble avoir intégré le sens profond de ce que Kierkegaard appelait « la suspension religieuse de l’éthique » qui « permet, pardonne et explique l’acte violent, se fonde sur un dispositif religieux et idéologique... » (S.R. Mukherjee), sinon, sans cette suspension, de quelle loi chrétienne ou civilisationnelle relèveraient toutes nos guerres modernes : de la gestion de celle entre Israël et le Hamas, à la guerre en Ukraine, la guerre au Congo, en Birmanie, en Afghanistan, en Haïti, en Équateur... toutes les guerres d’ici ou d’ailleurs... Incompréhensible le silence de l’islam, du judaïsme mondial, mais surtout le silence de cette communauté internationale nourrie d’une civilisation chrétienne, judéo-musulmane, bouddhiste, animiste ou confucéenne, même si et alors que « c’est par le facteur religieux que sont forgées les consciences nationales et... de véritables identités de résistance patriotique » (Mgr Michel Laroche, métropolite orthodoxe de Kiev).

Incompréhensible l’irresponsabilité et l’égoïsme « parricides » des dirigeants chrétiens libanais dont le message, dont la mission devrait être de s’unir, d’unir leurs capacités et leurs savoir-faire à la recherche franche et fraternelle d’une possible médiation (médiation entre pays frères ou amis, rôle historique et mission de toujours du Liban), médiation entre ceux qui se battent à nos frontières et sapent le peu qui reste de notre souveraineté et de notre volonté de vivre en commun. Pour cela, il est impératif d’œuvrer à une entente libano-libanaise – tous à égalité, fils d’une même terre – et à mettre en avant leur loi d’amour et de pardon, partie intégrante de la Bible, entre Ancien Testament et Coran. Sans cette mission salvatrice, le Liban est perdu ! Cette mission incombe d’abord et surtout aux chrétiens du Liban qui ont le plus, sinon le tout, à perdre.

L’histoire retient que le grand œuvre européen de Jacques Delors est dû à son engagement chrétien.

Samira HANNA-EL-DAHER

Ambassadrice, professeure

de géopolitique et de

relations internationales

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