Se nourrir, se défendre, se reproduire, perpétuer son espèce sont les fonctions naturelles de tout organisme vivant. Chez l’être humain, la reproduction est devenue plus culturelle que naturelle. Pour certaines sociétés, la démographie est une arme. Pour d’autres, concevoir un enfant est tout un projet que viennent compliquer des considérations d’ordre économique, des angoisses existentielles devant le sombre horizon du dérèglement climatique et du surpeuplement, et un fléau qui frappe en sourdine : l’infertilité. Selon un rapport de l’OMS publié en avril 2023, un individu sur six en est atteint, sans distinction de sexe ou de niveau social. Toujours selon l’OMS, « tant pour les femmes que pour les hommes, des facteurs environnementaux et liés au mode de vie comme (…) l’exposition aux polluants présents dans l’environnement ont été liés à des taux de fécondité plus faibles ».
Mardi soir, lors d’une conférence de presse, le président français Emmanuel Macron annonçait « le lancement d’un « grand plan » contre l’infertilité », liant ce problème, entre autres, au fait que les femmes décident de concevoir à un âge de plus en plus avancé, le temps de lancer leur carrière.
Perpétuer son espèce ou mourir sans demander son reste ? À Beyrouth, de nombreux parents de trois enfants tout au plus sont souvent atterrés à la vue de couples de migrants syriens accompagnés de cinq à huit enfants en bas âge, malgré des conditions de vie extrêmement difficiles. Les enfants, « dons de Dieu », sont leur richesse, disent-ils, tandis que pour de nombreux Libanais, une telle charge serait plutôt considérée comme une source de pauvreté. Bien malveillant serait, ici, quiconque dégainerait le cliché selon lequel « ils sont entretenus par l’ONU et les ONG ». La vie dans les camps de réfugiés est indigne, et fournir aux plus démunis de quoi ne pas mourir de faim est le b. a.-ba de l’humanité. Bonne ou mauvaise, pour eux, la vie est la vie, et c’est elle qui doit l’emporter.
Une grande partie des Libanais n’ont pas ce fatalisme. Les guerres répétées sur leur territoire ont planté en eux l’obsession de la mobilité. Être prêt à partir, à tout instant, est devenu leur priorité. Pour avoir un pied dehors, voire les deux, mieux vaut être un
chevau-léger. Et la vie, tant qu’à la vivre, mieux vaut en alléger les contraintes. Rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce que les résultats de l’étude publiée par l’économiste Charbel Nahas en début d’année montrent que seule 52 % de la population vivant au Liban est libanaise.
Il y a certes quelque chose de primaire dans la propension des populations précaires à concevoir sans limites et sans projet. Primaire au sens où cela nous renvoie aux commencements : perpétuer son espèce. Jusqu’au milieu du XXe siècle, la famille nombreuse était la norme. Des maladies banales, qui étaient incurables, des accidents innombrables emportaient les enfants. Les individus mouraient jeunes.
Dans Gaza, multiplier les naissances, pour un peuple sous blocus depuis près de vingt ans et constamment menacé d’extinction, est une manière de continuer à exister. On y voit aujourd’hui des familles nombreuses totalement décimées par la sauvagerie des bombardements israéliens, ou alors réduites à un ou deux survivants. On sait depuis longtemps à quel point la démographie palestinienne inquiète l’État hébreu. C’est ainsi que les populations se remplacent.
Même épargnés par le fléau de la stérilité, les couples de culture occidentale se posent, eux, mille questions avant de concevoir un enfant : embarqué dans ce monde sans être consulté, il faut que toutes les chances d’un avenir confortable lui soient assurées d’avance. Sera-t-il ainsi plus heureux que les enfants de ces tribus où tout se partage, où chacun a son rôle dans la survie du groupe ? La fécondité est parfois une question de confiance.
commentaires (6)
On ne se lasse jamais de vous lire, de relire et de commenter : ""Les guerres répétées sur leur territoire ont planté en eux l’obsession de la mobilité"". D’où la réputation que chaque Libanais a son plan d’évasion. De la lâcheté, de la fuite en avant, en tout cas nous avons tout perdu sauf peut-être notre instinct de survie.
Nabil
12 h 47, le 19 janvier 2024