Malgré le risque croissant d’une escalade régionale dans le contexte de la guerre à Gaza, Washington et Londres ont mis à exécution leurs menaces de frapper les rebelles houthis du Yémen, à l’origine de l’instabilité en mer Rouge qui a perturbé le commerce maritime international.
Ces frappes ont été lancées dans la nuit de jeudi à vendredi des frappes contre plus de 60 cibles houthies au Yémen dans 16 localités différentes. Des raids ont été rapportés dans la capitale Sanaa, aux mains des rebelles, dans leur fief de Saada, au port de Hodeida et à Dhamar. Après plusieurs avertissements, le président Joe Biden a ordonné les frappes en réponse à des attaques « sans précédent » contre des navires en mer Rouge, qui ont fortement perturbé le commerce maritime mondial.
Dans quel contexte surviennent ces frappes :
• Ces frappes américano-britanniques au Yémen interviennent alors que la guerre à Gaza, provoquée par les attaques meurtrières du Hamas en Israël le 7 octobre, est entrée dans son quatrième mois, ayant fait déjà plus de 23 000 morts dans l’enclave palestinienne.
• Participant à « l’axe de la résistance », les houthis yéménites lancent depuis le 19 octobre des attaques récurrentes en soutien au Hamas, avec des missiles longue portée en direction du sud d’Israël - capable de les intercepter sans encombre - mais surtout, dès novembre, avec des opérations visant des navires commerciaux circulant en mer Rouge.
• Disant cibler uniquement les bâtiments ayant un lien quelconque avec l’État hébreu, le groupe rebelle a ainsi saisi le Galaxy Leader le 19 novembre, appartenant à un milliardaire israélien. Au moins 27 attaques ont été dénombrées à ce jour. Jeudi, l'Iran a en outre saisi un pétrolier transportant du brut irakien à destination de Turquie en représailles à sa confiscation l'année dernière de son pétrole par les États-Unis. Un acte suivant une décision de justice, ont affirmé les autorités iraniennes.
• Rapidement, les plus importantes compagnies de transport maritime se sont détournées du détroit de Bab el-Mandeb, point de passage pour 12% du trafic mondial, particulièrement important pour l’approvisionnement énergétique. En conséquence, les délais de transport se sont allongés, les primes d’assurance ont augmenté, le tout faisant monter les prix des marchandises transportées.
• Face à ce risque pour le commerce mondial, les États-Unis ont pris l’initiative de former une coalition internationale en mer Rouge. Une vingtaine de pays participent désormais à l’Operation Prosperity Guardian, dont le Bahreïn, qui abrite la base de la Ve flotte américaine, est le seul représentant de la région.
• Mercredi soir, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté une résolution à 11 voix et 4 abstentions (dont la Chine et la Russie qui auraient pu utiliser leur droit de véto), condamnant avec « la plus grande fermeté » les attaques houthies, et « notant le droit des États membres » de défendre leurs navires de ces attaques selon le droit international.
• Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a passé plus d’une semaine dans la région, se rendant notamment aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, et faisant un détour de dernière minute à Bahreïn. Alors que Washington a déployé depuis le début de la guerre des efforts de dissuasion inédits, la question d’un élargissement du conflit reste au cœur des discussions lors de ses rencontres avec les dirigeants régionaux.
• Membres de la coalition active au Yémen en soutien aux forces pro-gouvernementales, Abou Dhabi, mais surtout Riyad, qui la mène depuis 2015, ont souvent été la cible des attaques houthies ces dernières années, jusqu’à la conclusion d’une trêve en avril 2022 qui tient de manière informelle depuis son expiration.
• Concentrées sur la diversification de leur économie, les deux pétromonarchies ont normalisé leurs relations avec l’Iran, parrain des houthis, dans l’espoir d’obtenir des garanties sécuritaires contre ces attaques. Riyad, qui cherche désespérément une voie de sortie du conflit au Yémen, a également lancé des pourparlers directs avec les rebelles, sans obtenir jusqu’à présent la conclusion d’un accord de paix.
Quels sont les enjeux autour de ces frappes :
• Des avertissement aux houthis, dont le dernier sous forme d’ultimatum, avaient déjà été transmis. Avec la résolution onusienne passée mercredi au Conseil de sécurité, les États-Unis ont légitimé sur la scène internationale l’action de leur coalition en mer Rouge. Après les frappes de jeudi à vendredi, la Russie, qui s’est rapprochée de l’Iran depuis la guerre en Ukraine, a néanmoins demandé une réunion d’urgence au Conseil de sécurité de l’ONU, signalant du moins officiellement un désaccord avec les actions américaines.
• Si, fin décembre, la porte-parole de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, Adrienne Watson, avait déclaré « savoir que l’Iran était profondément impliqué dans la planification des opérations contre des navires commerciaux en mer Rouge », Washington n’a cette fois pas fait allusion à Téhéran, souhaitant éviter une implication directe de l’Iran, qui entend lui aussi éviter un embrasement du conflit à Gaza à l’échelle régionale, et plus encore, une confrontation directe avec les Américains. Certains analystes notent pourtant que sans action contre Téhéran, les provocations et tensions continueront.
• Le pari fait par les États-Unis, que ces frappes auront un effet dissuasif et n’entraîneront pas de régionalisation du conflit, est néanmoins risqué, alors que la guerre à Gaza teste le principe de « l’unité des fronts » prôné par « l’axe de la résistance », qui se voit aujourd’hui attaqué de toutes parts par différents ennemis. Gregory D. Johnsen, directeur associé de l’Institute for Future Conflit, souligne ainsi sur X l’absence de bonne option pour Washington, listant notamment le risque d’être entraîné dans une guerre locale, voire régionale en cas d’action, ou encore de voir les attaques se perpétuer en cas d’inaction.
• Si Washington pourrait éviter un embrasement du conflit, le risque d’escalade est grand sur le front yéménite, alors que le groupe rebelle dispose d’une certaine autonomie par rapport à son parrain iranien. En outre, depuis leurs attaques répétées, les houthis ont gagné en popularité et en recrutement face à une population nourrie à la haine des États-Unis et d’Israël. Les forces de la coalition, ainsi qu’Israël, restent en état d’alerte élevé en vue de représailles houthies.
• L’Arabie saoudite est l’autre partenaire américain qui a des raisons de s’inquiéter. La rencontre d’Antony Blinken avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane il y a quelques jours à Al-Ula et le soutien de Bahreïn aux frappes semblent néanmoins indiquer que Riyad a été informé et aurait peut-être même approuvé ces opérations en amont. La question de la normalisation avec Israël est par ailleurs revenue sur le devant de la scène durant la tournée régionale du secrétaire d’État américain, alors qu’un tel accord prévoyait notamment avant le 7 octobre des garanties sécuritaires de la part de Washington à Riyad. Après les frappes sur le Yémen, un communiqué des forces US de l’armée de l’air a ainsi réitéré que Washington reste « engagé auprès de ses partenaires essentiels dans tout le Moyen-Orient pour la défense contre les groupes miliciens soutenus par l’Iran, y compris les miliciens houthis ».
commentaires (3)
Le USA s'enlisent de plus en plus dans une autre guerre au Proche Orient. Cette fois, (comme en Afghanistan), les résultats sont loins d'être guarantis. Les Houthis ne s'arrêteront pas là. Quelle sera la prochaine réponse des USA? D'autres frappes. Sans plus. Et faute de diplomatie, le conflit en mer rouge continuera, avec pour effet d'interrompre encore plus la navigation. Tout ça aurait pu être éviter si les USA alliés n'avait pas donner carte blanche à Israël. Il faut absolument un cessez-le-feu à Gaza. C'est le début d'une résolution.
Raed Habib
10 h 19, le 13 janvier 2024