C’est un accord aussi majeur que discret qui vient d’être conclu entre les États-Unis et le Qatar. Washington a renouvelé pour dix ans le contrat de la gigantesque base aérienne d’al-Udeid, dans le désert au sud-ouest de Doha, selon des responsables américains de la Défense cités par CNN. L’engagement devait arriver à son terme en 2023. La nouvelle n’a été annoncée officiellement ni par le Pentagone ni côté qatari. Elle rappelle cependant la dépendance stratégique des États-Unis à l'égard de l’émirat dans la région. Ce dernier vient de jouer un rôle crucial de médiateur dans la libération de 110 otages détenus par le Hamas dans la bande de Gaza et de 10 prisonniers américains au Venezuela. Dans le passé, Doha avait aussi chapeauté plusieurs cycles de négociations entre Washington et les talibans.
Pouvant accueillir plus de 10 000 soldats, la base d’al-Udeid, le plus grand site militaire américain au Moyen-Orient, abrite le CENTCOM, le Commandement central des États-Unis, qui a lancé les opérations les plus importantes de Washington dans la région. C’est depuis ses tarmacs qu’ont décollé les avions pour mener la guerre contre l’Afghanistan (2001-2021), l’Irak (2003-2011), et la bataille de Mossoul contre l’État islamique (2016-2017). Elle a également accueilli en transit des Américains et des milliers de réfugiés afghans arrivés par avion de Kaboul lors du retrait chaotique des États-Unis d’Afghanistan en août 2021. La même année, Israël avait par ailleurs mis un terme à son partenariat avec le commandement européen EUCOM, pour passer sous la responsabilité du CENTCOM, afin de renforcer la communication avec les armées arabes en son sein, considérées comme des alliées dans la lutte contre l’Iran.
Menace de Téhéran
La prolongation du contrat d’al-Udeid intervient dans un contexte où les États-Unis ont renforcé leur présence régionale face aux menaces croissantes des supplétifs de l’Iran au Liban, en Irak, en Syrie et au Yémen. Ces dernières années, Washington a été accusé par ses alliés, notamment du Golfe, de se désengager de la région malgré le danger que représentait Téhéran. Depuis le 7 octobre, les attaques des milices pro-iraniennes contre des sites militaires américains sur les territoires syrien et irakien ne cessent de se multiplier. Les avions du CENTCOM mènent des frappes régulières dans cette zone en réponse à ces agressions. Le porte-avions américain USS Eisenhower et ses escortes sont par ailleurs déployés en mer Rouge, dans la zone de responsabilité du commandement central, qui inclut aussi la Méditerranée orientale, où le navire d'assaut amphibie USS Bataan est sur le point de remplacer le porte-avions USS Ford, sur le départ.
Emblème d’hégémonie américaine au Moyen-Orient, la base d’al-Udeid symbolise également le niveau élevé du partenariat de défense entre le Qatar et les États-Unis. Doha a en effet obtenu en 2022 le statut d’allié non membre de l’OTAN, qui lui confère entre autres un accès préférentiel aux équipements militaires américains. Les forces aériennes qataries et britanniques opèrent d’ailleurs depuis al-Udeid. Ces 20 dernières années, le Qatar a investi plusieurs milliards de dollars pour la modernisation du site et de ses infrastructures destinées aux aviateurs. L’initiative a été saluée par le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin, lors de sa visite de la base en décembre.
Si le chef du Pentagone n’a fait aucun commentaire sur le renouvellement du contrat au cours de son voyage à Doha, il a toutefois affirmé que Washington et Doha « prendraient officiellement des mesures pour élargir et renforcer nos relations bilatérales en matière de défense ». Une formulation vague, signal supplémentaire que les États-Unis semblent ces temps-ci vouloir rester discrets sur leurs relations stratégiques avec le Qatar. Ce dernier s’est en effet attiré les critiques d’une certaine frange politique américaine pour ses relations avec le Hamas, dont le bureau politique se trouve à Doha. L’émirat rétorque de son côté qu’il a ouvert ce bureau après son expulsion de Syrie en 2012, à la demande de l’administration Obama, qui espérait ainsi garder une forme de contrôle sur les activités du mouvement. Une perspective qui aurait été impossible si le Hamas avait établi sa branche politique dans un pays comme l’Iran.