Elle devait être la première visite officielle du président turc chez son homologue américain Joe Biden à Washington depuis qu’il siège au Bureau ovale. Recep Tayyip Erdogan était attendu à la Maison-Blanche le 9 mai en vue notamment de renforcer les liens bilatéraux en matière de commerce et de défense entre les deux pays. Ankara a reporté vendredi la visite, évoquant un changement de calendrier, alors que le reïs turc a récemment musclé ses critiques contre l’administration Biden pour sa politique à Gaza. Batu Coskun, spécialiste en politique des risques et chercheur au Sadeq Institute, fait le point pour L’Orient-Le Jour.
Que faut-il voir dans la décision du président turc de reporter sa visite à Washington ?
Le bureau d'Erdogan avait des attentes assez élevées à l'égard de cette visite. Les discussions devaient concerner un éventuel accord de libre-échange entre la Turquie et les États-Unis, qui est un objectif poursuivi par Ankara depuis longtemps. Deuxièmement, la Turquie s'attendait à une livraison partielle des F-16, qui ne s'est pas encore concrétisée. Enfin, elle s'attendait à ce que les États-Unis soutiennent plus vigoureusement la tentative d'Ankara de jouer le rôle de médiateur entre Israël et le Hamas. Le bureau d'Erdogan avait initialement calculé qu'étant donné l'amélioration rapide des liens avec Washington récemment (la Turquie a autorisé en janvier la Suède à adhérer à l’OTAN, une démarche sollicitée de longue date par Washington, NDLR) ces sujets d'intérêt pourraient progresser, ce qui n'a pas été le cas.
Il est probable qu'Erdogan examine aussi la scène politique intérieure et calcule qu'une visite à la Maison-Blanche, en particulier au moment où les États-Unis subissent des pressions à cause de leur position sur Gaza, ne serait pas de bon augure pour son électorat. En effet, le président a récemment subi une défaite aux élections locales et sa popularité a souffert de ce que l'électorat conservateur, en particulier, considère comme de l'hypocrisie sa rhétorique liée à Israël et à Gaza. De nombreuses entreprises turques ont continué à commercer avec l’État hébreu. Ce n'est que récemment qu'une interdiction commerciale a été instituée par le ministère du Commerce, mais les contours de cette interdiction sont assez vagues. Dans ce contexte, la visite pourrait peut-être avoir lieu plus tard, durant l'été.
Ce report pourrait-il affecter des relations bilatérales déjà compliquées ?
La Turquie et les États-Unis ont considérablement amélioré leurs relations à la suite de la ratification par Ankara du protocole d'adhésion de la Suède à l'OTAN. Mais il y a des sujets d'un plus grand intérêt pour les deux parties, qui nécessitent beaucoup de manœuvres et de compromis de part et d'autre. Si cela révèle la nature difficile des relations et l’écart entre des attentes souvent différentes d'Ankara et de Washington, je ne parlerais pas d'un revers. Ce report ne représente pas un défi majeur pour les relations turco-américaines à ce stade, les divergences dans la relation devraient persister. En réalité, cela pourrait conduire à davantage de contacts de plus bas niveau. Nous le constatons déjà. Le chef des services de renseignements turcs a été en contact avec le directeur de la CIA, en particulier après l'escalade entre l'Iran et Israël. Les ministres des Affaires étrangères dialoguent régulièrement, notamment sur la question de Gaza.
Quelles sont les perspectives pour les dossiers encore en suspens ?
Il semble qu'il y ait une plus grande volonté de parler de sujets d'intérêt mutuel, en particulier sur la Syrie et les transferts convenus d'armes américaines, deux sujets sur lesquels la Turquie continue d'attendre beaucoup des États-Unis. Notamment pour qu’ils renversent leur politique de soutien aux Unités de protection du peuple (YPG) et aux Forces démocratiques syriennes (FDS, principalement constituées de Kurdes et qui contrôlent le Nord-Est syrien, NDLR). En ce qui concerne les transferts d'armes, la Turquie attend une accélération du transfert des F-16 et la levée des sanctions qui ont été imposées sous l'administration Trump à la suite de l'achat par la Turquie du système de missiles S-400 auprès de la Russie.
Avec le feu vert turc pour l'adhésion de la Suède à l'OTAN, les États-Unis ont fait un pas sur l'accord des F-16, donc je dirais qu'il y a plus d'optimisme dans les rapports qu’avant, même si toutes les attentes d’Ankara ne seront probablement pas satisfaites, du moins à court terme. Il est probable que nous assistions à une coopération plus solide, en particulier après la fin de la saison électorale aux États-Unis. Je pense que début 2025, quel que soit le nouveau président, la Turquie souhaitera développer une relation beaucoup plus solide et forte avec les États-Unis.
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LA LIBRE EXPRESSION
10 h 18, le 29 avril 2024