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Nos Lecteurs ont la Parole

L’avenir, c’est... ce qu’on ne sait pas !

L’avenir, c’est... ce qu’on ne sait pas !

Photo d’illustration Bigstock


« Even a broken clock is right twice a day » (« Même une horloge cassée est exacte deux fois par jour »). Il s’agit d’un adage cité par les Anglais, issu des écrits de deux éminents écrivains britanniques du XVIIIe siècle Joseph Addison et Richard Steele, rappelant que même si une prédiction basée sur le hasard se réalise, cela ne la transforme pas en un système fiable de prévoyance. Quant au Liban, nombreuses sont les horloges cassées qui seront bientôt consultées par le peuple libanais avant, pendant et après le Nouvel An !

Chaque fin d’année, les Libanais se réunissent devant leur écran pour écouter les prédictions des prophètes contemporains sur leur avenir, révélant ainsi des caractéristiques psychologiques collectives dans une population angoissée par son passé traumatique et son présent incertain. Mais qu’est-ce que cet avenir insaisissable ? Quel est cet inconnu avec lequel notre passé peine à s’aligner et sans lequel notre présent peine à subsister ? L’avenir, c’est ce torrent inconnu nous emportant vers des mondes mystérieux, un changement éternel nous forçant à abandonner nos habitudes pour de nouvelles routines. L’avenir, c’est cette boîte noire qui renferme espoir et désespoir, une continuité des récits passés, une projection d’émotions, une peur de la mort, un attachement à la vie, un désir de richesse, de santé et d’amour. L’avenir, c’est ce qui nous incite à avoir envie à découvrir et s’approvisionner pour l’inconnu, car, sans cette envie, ce qui nous attend serait le néant. En somme, l’avenir, c’est… ce qu’on ne sait pas ! Ou, plus encore, l’avenir sait… ce qu’on ne sait pas !

Depuis la préhistoire, nos ancêtres cherchaient à déchiffrer leur avenir en utilisant des os en forme de dé cubique, l’astragale, provenant des membres inférieurs des mammifères, comme outil divinatoire. Avec l’avancement de la science et de la compréhension des planètes, nos ancêtres ont compris que ces astres exercent des forces les uns sur les autres, influant sur le volume des liquides dans notre corps. De là est née la spéculation que, grâce à ce mécanisme entre autres, les planètes déterminent notre comportement actuel et notre destin futur. L’astrologie, liée dans la terminologie à l’astragale, visait à révéler l’avenir des êtres humains. Plus tard, des scientifiques ont pris le contrôle de la compréhension du climat, publiant des prévisions bénéfiques à l’agriculture. Michel de Nostradamus, astrologue célèbre, publia des prévisions climatiques appelées « al-Manach » avant de rédiger Les prophéties, où certains voient des prédictions d’événements actuels. Plus tard, Blaise Pascal, pionnier du calcul des probabilités pour maîtriser les jeux de hasard, a fondé les bases des statistiques. Actuellement, l’évaluation des risques par des formules statistiques sophistiquées est essentielle dans des domaines tels que l’économie, la politique, la santé publique, l’écologie, la technologie, etc. Malgré ces avancées, nos chaînes libanaises de télévision continuent d’accueillir des personnalités pour leur capacité à capter des images, des ondes et des intuitions d’origine cosmique ou divine, révélant une fois par an, voire plus, ce qui nous attend au Liban et dans le monde dans la nouvelle année.

La capacité de prédire est une fonction mentale inhérente au fonctionnement normal de tout être humain. Au quotidien, nous prenons de multiples décisions basées sur des prédictions, allant du simple choix des vêtements à porter à des engagements à long terme, tels que la signature d’un contrat. Cette aptitude repose sur l’analyse des situations passées ainsi que sur les données du présent. Cependant, si une analyse s’avère défaillante par manque de consensus et de clarté dans les données, cela peut entraîner la paralysie totale du processus d’analyse. Face à une telle situation, notre cerveau opte souvent pour des conclusions erronées, appelées heuristiques, ou adhère aux conclusions générées par autrui, nommées prophéties. Dans cette perspective, la quête du peuple libanais pour deviner son avenir, confronté à un manque de consensus sur son passé et une perception floue de son présent, en est un exemple vivant. Plusieurs événements illustrent cette réalité et sont soit vécus au quotidien, soit ancrés dans notre mémoire collective. Plus de trois ans après la double explosion dévastatrice au port de Beyrouth, la cause demeure inconnue publiquement. De même, les affrontements armés au sud du pays laissent le Libanais devant son écran incapable de se projeter par rapport à leur issue. Les questions sur l’avenir échappent à sa portée, laissant place à de prétendants prophètes pour combler le vide laissé par des dirigeants dans notre désir collectif de direction. Dans ce sens, le Libanais vulnérable réclame son droit à s’approvisionner ne serait-ce qu’en consultant une horloge cassée plutôt que de rester sans provision, ni prévision, ni supervision, ni même vision par rapport à son avenir !

Il est crucial de concevoir une formule claire et tangible pour atteindre un avenir plus sûr. Il est temps de comprendre que ce qui sera dévoilé sur nos écrans de télévision la veille du Nouvel An n’est qu’un symptôme du problème, tout en acceptant que l’incertitude en soi n’est pas un problème. Le véritable problème réside dans l’absence de prises de décision à un niveau collectif, ce qui génère cet état d’incertitude. Peter Drucker, théoricien de la gestion, a déclaré au siècle dernier : « La meilleure façon de prédire l’avenir, c’est de le créer. » Pour le créer, il faut compter sur les efforts humains de véritables génies ayant la capacité de concrétiser des concepts abstraits plutôt que de dépendre de génies sortant d’un quelconque récipient nous offrant la chance de réaliser des vœux. Dans cette perspective, je conclus par un souhait, une résolution, un vœu ou un adage, espérant qu’ils se réaliseront tout au long de la nouvelle année : « J’espère que, pour prédire notre avenir, le temps soit venu pour le créer au rythme d’une horloge orchestrée par un génie, plutôt que désorientée par un prophète ! »

Chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé de psychiatrie à l’Université Saint-Joseph

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« Even a broken clock is right twice a day » (« Même une horloge cassée est exacte deux fois par jour »). Il s’agit d’un adage cité par les Anglais, issu des écrits de deux éminents écrivains britanniques du XVIIIe siècle Joseph Addison et Richard Steele, rappelant que même si une prédiction basée sur le hasard se réalise, cela ne la transforme pas en un système...

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