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Nos Lecteurs ont la Parole

La nature humaine me fascine


Je regarde l’écran dans la gare ébrouée où se décuplent la chaleur humaine afficher respectivement : 3 minutes/à l’approche/à quai. J’observe des gens étrangers, mais pas vraiment étrangers, car ils sont des humains finalement, mes contemporains, tassés les uns contre les autres, une fourmilière, en courant d’un pas agité et égal lorsque le départ du RER est signalé.

Je quitte la gare pour me retrouver dans cette ville qui ne s’éclipse pas : Paris. S’il existe une ville d’une beauté à laquelle il est impossible de résister, ce sera sans doute Paris.

Un vieillard, vêtu d’un pantalon gris et d’une chemise bleue, sortant d’un immeuble à cinq étages aux fenêtres éclairées, entre dans un magasin, un journal à la main. Le visage languissant, il casse le silence par l’émergence d’un bonjour assez vif. Je frissonne, les arbres frissonnent à l’écoute de ce bonjour sinistre, et je me demande ce qui se cache derrière cette âme solitaire, je crée des histoires qui pourraient correspondre à la vie d’un vieillard vêtu en gris et bleu ; seulement avec ses vêtements, j’ai retracé toute la vie de cette ombre au creux duquel vit une vie ; le rêve d’une vie.

Je me rends dans un parc à Paris où déambulent des foules aveugles, un parc où je ne me rends de temps en temps rien que pour absorber l’histoire de ces personnages imaginaires, oui, mais dont la vie n’est pas moins pénible que la mienne. Esquintée, je mets mon bouquin – L’Idiot de Dostoïevski – de côté pour prendre une grande bouffée d’air avant de plonger dans ce monde que je trouve beaucoup plus réel que chimérique. Je goûte un entretien romantique entre deux amoureux qui chuchotent à bout de souffle, et dont les corps ne font qu’un, en observant le va-et-vient des papillons et en émiettant du pain pour ces oiseaux voyageurs.

Suite à l’observation consolatrice de cet homme triste et de ces amoureux purs et passionnés, j’ai éprouvé une hausse d’infini que ne peuvent comprendre que ceux qui ont le cœur grand. Je me suis égarée dans une rêverie poétique, exaltante et sentimentale, où toutes les images tendres que je percevais coulaient comme la Seine qui se promène tout au long de ses quais, un rêve qui n’a rien d’original en tout cas, un rêve qui, tout en me condamnant à une imagination qui s’étend au-delà du ciel, me renferme dans une boîte où s’enfilent des formes et des couleurs et des expressions humaines. J’ai commencé donc à songer à l’amour voluptueux que j’éprouve sincèrement pour la nature humaine. Car elle me fascine. Elle m’essouffle. Je peux m’asseoir pendant des heures et des heures, sans me rendre compte du passage fluide du temps, et même passer ma vie entière à observer les mimiques de ces gens qui procurent en moi de la nostalgie, nostalgie pour tout ce que je ne suis pas et tout ce que je ne serai jamais. À observer ces gens aux physionomies piquantes qui, les pieds nus dans l’eau, se baignent dans l’écume des vagues comme de petits poissons. À profiter de cet endroit où le temps s’arrête et se fige, à être dans un parc intra-muros, sur les terrasses du Luxembourg, où, d’ailleurs, mes contemporains me frôlaient avec une indifférence presque violente, comme si j’étais invisible, ou dans un bus, là où se serrent les gens, chacun ayant une histoire assez différente de l’autre, et pourtant, ayant tous décidé de se diriger vers une destination identique pour des raisons que je ne connaîtrai jamais. Si différents, oui, mais aussi ayant tous une chose que je trouve magnifique en commun : on regarde tous les mêmes étoiles au bout du crépuscule.

J’aime bien porter mon attention aux détails qui sont infimes, mais pas vraiment infimes : les gens qui boivent une boisson chaude, avec la fumée du tabac qui se dégage dans l’air aigre, assis dans un café, le pied droit au-dessus du pied gauche, avec un croissant au beurre ou un petit cookie à moitié mangé au bord de leur tasse ; les gens qui aiment lire, qui sont absorbés par la lecture de romans j’essaye à chaque fois de reconnaître à travers la couverture le nom et l’auteur par ma curiosité vigoureuse, ces gens qui respirent les pages des livres, qui vivent une vie ailleurs et loin de ce monde désormais hostile, à caresser les larmes furtives de l’imaginaire, ces gens qui ont les étagères débordées par la quantité de recueils, ces gens dont le café refroidit car ils sont tellement plongés dans l’histoire de ces personnages qui n’est pas si différente de la leur. Avec ces gens, tu peux parler de Murakami, de poésie, de musique classique, de la mythologie grecque, de la philosophie de Nietzsche ou de celle de Kant, une personne qui se contentera pour son anniversaire ou pour Noël d’un simple livre fatigué et même jauni, qu’elle gardera serré contre elle toute sa vie durant. Ces gens âgés d’à peu près un demi-siècle, mais insatiables comme des enfants, qui, malgré le passage du temps qui paraît sur leurs visages ridés, ont l’élan d’un jeune de vingt ans, car pour eux, la jeunesse, c’est une volonté saisie n’importe où et malgré toutes les circonstances, ces adultes que tu trouves en train de jouer à la balle avec des enfants, et de courir et d’aimer et de vivre comme si l’amour n’a pas d’âge et la vie n’a pas de limites. Ces gens qui contiennent le couchant et ses couleurs énigmatiques dans leurs yeux, ces mêmes gens qui t’attendent lors d’une randonnée pour que tu fasses tes lacets, et te demandent si tu as mangé aujourd’hui ou si tu as besoin de quoi que ce soit. Ces gens qui profitent de la simplicité de la vie, ceux qui se réveillent pour regarder le lever du soleil, ceux qui savourent chaque bouchée du repas qu’ils ont pris le temps de préparer, ceux qui lisent avant de dormir et ceux dont la vie peut se résumer à la contemplation des étoiles… Ces gens à qui il ne reste que le soleil, la mer, les amis et l’horizon ; ces gens avec qui tu peux t’asseoir sans prononcer un seul mot pour des heures et des heures, ces gens avec qui tes rires s’envolent vers l’inconnu ; ces gens qui t’obligent à danser comme si demain n’existait pas et comme si aujourd’hui était éternel. Ces gens qui ont toujours quelque chose à te dire, ces gens qui parlent passionnément d’un sujet qu’ils maîtrisent bien et qui font des gestes avec leurs mains.

Si j’aime rencontrer de nouvelles personnes et sentir la chaleur des humains, de ces créatures étincelantes, de ce mélange de vie et de pensées, c’est pour sentir que je fais partie d’eux, que je suis eux. Ils sont beaux, ces humains.

Souvent on oublie d’apprécier ce don : le don de pouvoir expérimenter toutes ces observations uniques et de pouvoir, à travers l’autre, vivre dans une autre personne que soi-même, respirer les autres, comprendre le sens de la vie, voir des sentiments variés et des situations uniques à chacun. Il n’est pas de chose plus féconde que la nature humaine, que les humains. Je me pose toujours cette question : comment est-il possible que chaque humain vivant sur cette Terre est en train de vivre une vie si différente de l’autre ? Je sens parfois, quand je considère ma vie telle qu’elle est, que je suis au centre de cet univers qui est vaste et, inversement, si petit ; je sens parfois que ce monde n’appartient qu’à moi-même ; que je suis le personnage principal de cette mise en scène qu’est la vie. Mais j’ai effectivement tort. Chaque personne a ce même sentiment... Ils ont tous une vie qu’ils jugent aussi importante que la mienne ! Je ne suis qu’une figurante dans la vie des autres, et ils ne sont que des figurants dans ma vie. N’est-ce pas fascinant, d’ailleurs, que pour certains, je suis « l’ami », pour d’autres « l’ennemi » ? Que pour certains, je suis le soleil, pour d’autres, l’ouragan ?

Si tous ces êtres humains m’ont appris quelque chose en particulier, c’est qu’on est tous des passagers dans un même train, dans une poêle à frire chauffée à chaleur humaine, où se mêle une danse chaotique entre des milliards de personnes.

Ils m’ont aussi appris qu’on ne compare jamais les roses entre elles, car elles sont toutes belles à leur façon, et pourtant, aucune n’est parfaitement identique à l’autre. On ne doit donc jamais se comparer à l’autre, car ce qui fait qu’on est humain, c’est qu’on soit unique, avant… Et parce qu’en fin de compte, on n’est que des êtres fragiles et sensibles, qui ne veulent rien de la vie sinon de vivre pleinement.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je regarde l’écran dans la gare ébrouée où se décuplent la chaleur humaine afficher respectivement : 3 minutes/à l’approche/à quai. J’observe des gens étrangers, mais pas vraiment étrangers, car ils sont des humains finalement, mes contemporains, tassés les uns contre les autres, une fourmilière, en courant d’un pas agité et égal lorsque le départ du RER est signalé....
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