Les médias occidentaux ont joué un rôle pernicieux dans la catastrophe qui s'est déroulée à Gaza, avec des conséquences humanitaires tragiques pour les habitants du territoire et des implications géopolitiques d'une portée considérable pour la région et au-delà. Non seulement ils ont présenté la tragédie de manière biaisée, mais cette couverture, fondée sur des récits non documentés, contradictoires ou erronés, a eu des conséquences humaines réelles sur le terrain.
La plupart des grands médias occidentaux ont adopté une présentation relativement homogène des événements depuis l'attaque du Hamas du 7 octobre, qui a tué 1 200 Israéliens, dont environ 400 soldats et membres du personnel de sécurité. Qualifiant le 7 octobre d'« attaque terroriste », ils ont présenté la riposte israélienne sur Gaza, qui a tué plus de 15 000 civils – en majorité des femmes et des enfants – comme un acte d'« autodéfense ».
Lorsque des invités arabes ont été interviewés sur leurs plateaux, la première question posée par défaut, a souvent été « Condamnez-vous le Hamas ? » Et lorsque les invités, comme l'ambassadeur palestinien au Royaume-Uni Husam Zomlot, ont refusé de répondre à cette question, cela a souvent entraîné une relance persistante de la part de l'animateur, avant de poursuivre l'interview. En revanche, les invités occidentaux ou israéliens n’ont que rarement été invités à condamner les massacres perpétrés par Israël à Gaza.
Décontextualisation
Tout aussi inquiétante est l'adoption de la description israélienne de la crise comme une « guerre », qui crée une fausse parité entre l'occupant et l'occupé, en particulier compte tenu du déséquilibre incroyablement marqué entre les capacités et les ressources militaires du Hamas et d'Israël. La persistance d'un tel cadrage biaisé façonne le récit global de la crise comme une attaque terroriste qui a déclenché des représailles légitimes, conférant ainsi une légitimité à l'assaut israélien disproportionné contre les 2,3 millions de civils de la bande de Gaza.
« Le public occidental, qui n'a pour l’essentiel qu'une connaissance limitée de ce contexte historique, n’a ainsi pas pu disposer du contexte nécessaire pour comprendre la situation actuelle. »
Le danger d'un tel cadrage est qu'il indique au public non seulement qui est la victime et qui est le coupable, mais aussi qui est digne de deuil et d’empathie et qui ne l'est pas. En se concentrant presque exclusivement sur les histoires personnelles et les souffrances des citoyens israéliens, les médias occidentaux ont opéré une humanisation sélective. Ce faisant, ils ont constamment négligé de fournir un contexte suffisant autour de l'opération du Hamas du 7 octobre. En la qualifiant d'« attaque non provoquée », ils ont ignoré 75 ans de conquête israélienne de la Palestine et 56 ans d'occupation militaire et de souffrances du peuple palestinien sous la domination israélienne. Le public occidental, qui n'a pour l’essentiel qu'une connaissance limitée de ce contexte historique, n’a ainsi pas pu disposer du contexte nécessaire pour comprendre la situation actuelle. Même les événements récents importants, tels que les violences en Cisjordanie et les provocations des soldats israéliens et des colons juifs extrémistes sur le troisième site le plus sacré du monde pour les musulmans, la mosquée al-Aqsa, ont été ignorés ou sont passés au deuxième plan.
Cette décontextualisation, associée à une couverture biaisée et unilatérale, a même conduit certains journalistes occidentaux à s'opposer au traitement de cette crise par leurs propres médias. Des journalistes britanniques, canadiens et américains ont écrit des lettres ouvertes pour exprimer leurs griefs, ont protesté ou ont même quitté leur emploi pour exprimer leur désarroi face à la couverture de la crise.
Ces tendances ont été aggravées dans la crise actuelle par la diffusion d'affirmations infondées, telles que les accusations israéliennes selon lesquelles les combattants du Hamas auraient coupé la tête de bébés israéliens et brûlé leurs corps, ou violé des jeunes filles israéliennes mineures entre autres allégations. Ces récits non vérifiés sont devenus viraux sur les réseaux sociaux et ont fait l'objet d'une grande attention de la part des médias grand public. Ils ont même été repris par le président américain Joe Biden, ce qui a contraint la Maison-Blanche à revenir sur l'affirmation selon laquelle il avait vu des preuves des décapitations présumées de bébés israéliens.
Le 24 novembre, Laila al-Arian, productrice d'al-Jazeera english, deux fois récompensée par un Emmy, a tweeté : « Israël a affirmé qu'il y avait un centre de commandement et de contrôle du Hamas sous l'hôpital al-Shifa à Gaza. Les médias américains ont repris ces affirmations. Une fois qu'il est apparu clairement que ce n'était pas vrai, tout le monde est passé à autre chose. Des Palestiniens sont morts à cause de ces mensonges, y compris des patients en soins intensifs. » Elle a comparé ces affirmations aux fausses accusations américaines selon lesquelles le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, justification essentielle de l'invasion de l'Irak en 2003.
Cela reflète une tendance regrettable des médias occidentaux à diffuser de la désinformation, plutôt que de faire preuve de diligence journalistique en vérifiant deux fois les faits. Comme l'a dit Mme al-Arian, la diffusion de telles faussetés et l'absence de correction qui s'ensuit ont un coût élevé, y compris la perte de nombreuses vies innocentes.
Arme à double tranchant
Tous ces facteurs ont eu pour conséquence malheureuse de peindre un faux récit autour de cette crise tragique dans l'esprit de millions d'Occidentaux. Les mots sont importants, tout comme le cadre et le contexte. Ils sont d'autant plus importants dans le cadre d'une campagne militaire agressive qui a coûté la vie à des milliers d'innocents, principalement des femmes, des enfants et même des bébés. Il est intéressant de noter qu'alors que le mensonge selon lequel des soldats irakiens arrachaient des bébés à des couveuses au Koweït a été utilisé pour justifier la première invasion américaine de l'Irak, la réalité de ceux mourant à Gaza du fait des actions israéliennes n'a pas conduit à un cessez-le-feu. Au lieu de cela, les médias occidentaux ont fermé les yeux et ont même perpétué ces deux poids deux mesures.
Les réseaux sociaux, quant à eux, ont été une arme à double tranchant dans la guerre des récits. D'une part, les plateformes de médias sociaux ont été des fenêtres importantes pour une couverture alternative, permettant au monde entier de voir la souffrance quotidienne du peuple palestinien, ce qui n'a pas été possible via les grands médias occidentaux. Cela a contribué à déclencher une indignation massive, y compris d'énormes manifestations pro-palestiniennes dans le monde entier. D'un autre côté, cela a également contribué à la diffusion de nombreuses affirmations infondées et de faussetés non vérifiées.
Il y a peut-être un peu d'espoir dans le fait qu’avec l’évolution du conflit les médias occidentaux ont fait entendre les voix palestiniennes en plus grand nombre que jamais et que des manifestations de rue massives contre l'agression d'Israël ont eu lieu dans les capitales du monde entier. Il est également encourageant de constater qu'une couverture alternative est visible via les réseaux sociaux. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour s'approcher d'une couverture équilibrée et équitable de cette crise et du conflit dans son ensemble.
Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site « Afkar », du Middle East Council on Global Affairs.
Sahar KHAMIS est chercheuse invitée au Middle East Council on Global Affairs et professeure associée au département de communication de l'université du Maryland, College Park.
commentaires (23)
L'opinion publique occidentale a un champs de vision tres limité de la situation au Moyen Orient et des guerres eternelles qu'y menent les armées occidentales directement ou par Israel interposé . Le fait est que es producteurs d'armes sont partis liés avec les medias en general et que des qu'un media propose une vision plus juste des conflits, ce media est considéré comme complotiste . Au jour d'aujourdhui , les occidentaux et leur affidé israelien sont les maitres d'oeuvres de tous les complots au Moyen Orient et les geniteurs entre autre de l'organisation terroriste Daesh.
nabil samir
16 h 36, le 25 décembre 2023