Rechercher
Rechercher

Environnement - Focus

Pourquoi la question environnementale garde un statut « secondaire » au Liban

Alors que le sujet devrait s’imposer de facto vu la dégradation écologique, il tarde à s’intégrer au sein du débat public. Qui est le plus à blâmer : le système politique, la classe dirigeante, la société civile ?

Pourquoi la question environnementale garde un statut « secondaire » au Liban

Le secteur des déchets est en crise depuis 2015. Ici, les ordures amoncelées dans les rues du Metn en janvier 2021. Marc Fayad/Photo d’archives

Il suffit de passer en revue les débats télévisés au Liban pour s’en rendre compte : les questions environnementales figurent (presque) en bas de la liste des sujets abordés, bien après la politique évidemment, mais aussi d’autres problématiques comme l’administration, l’éducation, la santé… À part l’exception notable de la crise des déchets de 2015-2016, ou certains épisodes particulièrement dramatiques de feux de forêt, l’environnement reste marginal dans le débat public, relégué souvent au rang de slogans bien-pensants dans les conférences de presse ou les campagnes électorales. Alors même que le sujet se mondialise – l’intérêt mondial envers la COP28 qui s’est déroulée à Dubaï ce décembre, alors même que la guerre entre Israël et le Hamas fait la une depuis début octobre, en est une preuve éclatante –, le Liban tarde à se mettre au diapason.

Lire aussi

La COP28 de Dubaï lance « le début de la fin » des fossiles

Et pourtant, dans un pays qui se targue d’avoir un arbre sur son drapeau, la situation devient intenable et appelle une intervention d’urgence, à tous les niveaux. Le secteur des déchets est en crise permanente depuis 2015. La pollution de l’air atteint des sommets depuis que les Libanais dépendent presque exclusivement des générateurs de quartier polluants pour se procurer de l’énergie. L’abattage sauvage d’arbres bat son plein, alors que l’urbanisation anarchique et les carrières illégales détruisent ce qu’il reste de nos paysages…

Si la dégradation écologique est une catastrophe en soi, elle est aussi – et surtout – un facteur aggravant des crises sociétales traversées par les Libanais. Que ce soit au niveau de la santé, de l’économie ou de la qualité de vie, les répercussions sont nettes. Aborder un sujet écologique revient donc à entrer de plain-pied dans les préoccupations citoyennes. On aurait cru qu’une telle idée serait une évidence, mais il n’en est rien. Le sujet reste marginal, abordé surtout dans les rares périodes de « calme », quand il n’est pas éclipsé par plus urgent que lui. Presque un « luxe », comme le craint Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques et directeur du groupe « Civic Influence Hub ».

Un système politique qui empêche les débats

« Il semble que les politiciens tardent à reconnaître que les préoccupations environnementales sont intrinsèquement liées à des défis sociétaux plus vastes, qui touchent diverses facettes de la société », souligne Ghiwa Nakat, directrice exécutive de Greenpeace MENA. En effet, le débat politique continue de marginaliser l’écologie, la coupant de ses racines politiques et sociétales. Les politiciens auraient plus d’une raison pour ne pas souhaiter voir ces problématiques étalées dans le débat public. Détourner le regard vers des querelles de clocher comme le report constant des échéances électorales, par exemple, réussit jusque-là à masquer les échecs et/ou la priorisation des marchés douteux par rapport aux solutions réelles. C’est par de telles méthodes que les dirigeants arrivent si souvent à éviter des débats embarrassants, comme celui de la multiplication des cas de cancer sur les rives du très pollué fleuve Litani. Qui aurait intérêt à faire le lien entre l’aggravation de cette pollution et les millions de dollars volatilisés alors qu’ils avaient été alloués à ce dossier écologique et sanitaire ?


Des arbres centenaires abattus au Akkar en 2023. Cette année a été particulièrement dramatique pour les forêts, en raison de la crise. Photo Hassan Zakaria

Pour les acteurs politiques, la meilleure arme reste souvent de mettre de côté les problématiques environnementales, fédératrices par nature, en exacerbant les divisions. Présidente du service de législation et de politiques publiques au sein du parti Kataëb, une formation opposante qui s’est intéressée de près aux dossiers écologiques, Lara Saadé pointe du doigt l’imbrication des intérêts politiques et économiques, mais aussi « la structure confessionnelle et sectaire du système politique libanais, qui empêche la priorisation universelle des questions environnementales au-delà des divisions ».

Le « système politique libanais » fait, à ce titre, figure de coupable idéal, car il « ne permet pas de débat politique digne de ce nom, étant donné que les leaderships traditionnels prennent la place des partis politiques, à très peu d’exceptions près », constate Pierre Issa, fondateur d’arcenciel et ancien secrétaire général du Bloc national.

Et la situation s’est nettement aggravée depuis l’effondrement progressif des différents appareils de l’État depuis 2019. Comment peut-on continuer à lutter pour des causes environnementales alors que l’État est « inexistant » et la reddition de comptes hors d’atteinte, se demande Najat Aoun Saliba, experte environnementale élue députée en 2022. « Nous n’avons souvent pas d’interlocuteur, tout simplement », déplore-t-elle.

Manque de consistance et de vision

Mettre l’absence de l’écologie dans le débat public au seul compte de cette pieuvre politico-financière dysfonctionnelle qui gouverne le pays ne suffirait pas à expliquer le phénomène. Ziad el-Sayegh note les lignes de démarcation « floues » entre le secteur public, le secteur privé et la société civile. « Actuellement, les intérêts sont si imbriqués que tous profitent les uns des autres, au détriment de l’intérêt général, alors même que la justice est entravée », souligne-t-il.

Lire aussi

Réchauffement climatique : vers un scénario catastrophe en Méditerranée

La société civile réputée si énergique dans le pays, notamment les ONG et les associations qui ont joué un rôle déterminant dans la sensibilisation du public et la médiatisation de scandales écologiques, aurait pu/dû être un levier pour pousser ce sujet plus en avant. Toutefois, son action a souvent manqué de force dans le lobbying et de consistance à long terme, pour donner des résultats tangibles et non seulement ponctuels.

Ses réalisations restent peu nombreuses, si l’on excepte certaines « victoires » ponctuelles, comme l’action concertée qui aura permis de contrer l’achat d’un incinérateur de déchets dans la capitale en 2018, une technologie jugée onéreuse et dangereuse dans un pays où les organismes de contrôle sont pratiquement inopérants. Une autre faiblesse essentielle des ONG, relevée par de nombreux observateurs, consiste dans leur dépendance sur des projets à durée limitée, financés par des donateurs, alors que l’action environnementale doit être soutenue pour s’imposer comme un sujet incontournable.

Dans ce panorama, quelle place pour l’opinion publique ? Elle paraît souvent bien plus sensibilisée au désastre environnemental que la classe dirigeante. Mais son implication réelle, dans ce domaine comme dans d’autres, reste sporadique et (presque) sans effet. Elle est « timide » et « manque de consistance et de persistance », remarque Ziad el-Sayegh. Elle a « d’autres priorités bien souvent », regrette Pierre Issa, qui déplore la propension de la classe politique « à distiller auprès de la population la peur de l’autre, pour ensuite prétendre la protéger et, par là même, dévier les esprits des questions qui comptent ».

Ne pas rater le coche de la « transition verte »

Dans ce chaos permanent où la question écologique se perd faute de vision et de consistance, le Liban donne l’impression de rater le coche d’une certaine transition « verte » qui s’impose bon gré mal gré au monde, en commençant par le secteur privé. Celui-ci est contraint aujourd’hui de tenir compte d’une opinion publique mondiale beaucoup plus sensibilisée en la matière. Même au Liban, ce secteur privé s’engage progressivement dans cette voie, mais la classe dirigeante en est loin, « parce qu’elle ne sent aucune obligation de le faire », selon Pierre Issa.


Les générateurs privés qui tournent à plein régime, source d’une pollution de l’air sans précédent. Des générateurs de quartier placés sur le bord d’une route d’un quartier résidentiel du Kesrouan. Photo d’archives P.H.B.

Cette situation est d’autant plus grave que le grand défi du siècle est écologique. Le Liban a beau être un très petit pays sur la carte, en crise permanente de surcroît et politiquement dépendant de son entourage, il n’en aura pas moins besoin de se faire entendre sur la scène globale, quand on sait quelles seraient les conséquences du changement climatique sur son territoire, comme le font remarquer Ghiwa Nakat et Lara Saadé.

Or comment faire porter sa voix quand la confiance dans son système est au plus bas, que les actions écologiques officielles se résument à des échecs ? Pour défendre ses droits sur la scène internationale parmi les pays qui doivent s’adapter au changement climatique, le Liban n’a d’autre choix que de retrouver une certaine crédibilité en rétablissant l’équilibre écologique sur son territoire exigu, et contrer cet effondrement environnemental qui est le pendant de l’effondrement politico-financier. Et dans ces réformes tant attendues, intégrer efficacement la composante écologique.

Il suffit de passer en revue les débats télévisés au Liban pour s’en rendre compte : les questions environnementales figurent (presque) en bas de la liste des sujets abordés, bien après la politique évidemment, mais aussi d’autres problématiques comme l’administration, l’éducation, la santé… À part l’exception notable de la crise des déchets de 2015-2016, ou certains...

commentaires (3)

La prise de conscience de nos responsabilités pour une transition écologique est lente mais réelle : à l'occasion d'une nouvelle année accentuons nos efforts d'intelligence et d'action

Cartier Murielle

01 h 22, le 09 janvier 2024

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • La prise de conscience de nos responsabilités pour une transition écologique est lente mais réelle : à l'occasion d'une nouvelle année accentuons nos efforts d'intelligence et d'action

    Cartier Murielle

    01 h 22, le 09 janvier 2024

  • "la question environnementale garde un statut « secondaire » au Liban"... non seulement au liban mais dans tout les pays du monde elle était secondaire voire tertiaire ou pire encore. Mais les États qui jouissent d'une Bonne gouvernance et des autorités efficaces, les solutions aux questions environnementales ont été étudiées, appliquées, imposées et continuellement améliorées. Malheureusement le liban n'estplus un état, n'a plus de gouvernance et peut rien imposer...

    Wlek Sanferlou

    17 h 06, le 23 décembre 2023

  • POUR LE QUOTA DES FEMMES AUX ELECTIONS MUNICIPALES. ARTICLE RETIRE. POURQUOI ? ====== - PAS DE QUOTA POUR LES FEMMES. - PARTOUT QU,ELLES SE PRESENTENT, - DES DEUX SEXES, SANS DES TRAMES, - QUE LES QUALIFIES L,EMPORTENT. - C,EST INDIGNE DE FIXER, - UN NOMBRE A NE DEPASSER, - A NOS FEMMES CITOYENNES, - DE NOS HOMMES PLUS DOYENNES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 23, le 22 décembre 2023

Retour en haut