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Culture - Littérature

Oliver Rohe, prix France-Liban, ou les souvenirs de guerre à 20km de Beyrouth

Son roman « Chant balnéaire » (éditions Allia) a remporté les suffrages du jury franco-libanais. L’occasion de découvrir un auteur au verbe poétique et acéré, dont le propos reflète toute l’ambiguïté des années de guerre sur un littoral déserté.

Oliver Rohe, prix France-Liban, ou les souvenirs de guerre à 20km de Beyrouth

Oliver Rohe a commencé à s’intéresser à la littérature autour de 23 ans, et c’est une forme de nécessité intérieure qui l’a conduit vers l’écriture. Photo Wiktoria Bosc/Fondation Michalski

D’une voix un peu rauque, l’écrivain libanais (si ce n’est par la loi, car né de père allemand) se réjouit d’être le lauréat du prix France-Liban, qui lui sera remis le 13 janvier à l’Institut du monde arabe. « C’est une forme de reconnaissance qui me ravit, d’autant plus qu’elle vient du pays où je suis né, où j’ai grandi et que j’ai été contraint de quitter en 1990. Ce prix rétablit un lien symbolique chahuté », confie Oliver Rohe, tout en admettant qu’il avait fait le choix de publier son roman en janvier afin d’éviter la course des prix qui sévit à chaque rentrée de septembre.

Chant balnéaire se lit d’une traite, et le lecteur est porté par la prose rythmée ou versifiée de son fil narratif, qui déroule le discours intérieur d’un jeune adolescent qui a fui Beyrouth-Ouest avec sa famille. La mère et ses deux enfants ont trouvé refuge dans une station balnéaire où ils résident à l’année. Le charme du littoral déserté et balayé par les vents d’hiver est vite rompu par la violence étendue des combats et la nécessité de régulièrement se réfugier dans les abris, les parkings ou les voitures. En marge des bombardements et des difficultés d’approvisionnement, des piscines hors-saison et l’urgence de vivre de la jeunesse. Le récit est saisissant et traduit justement le regard déconcerté d’un adolescent dont les repères ont explosé.


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Oliver Rohe a commencé à s’intéresser à la littérature autour de 23 ans, et c’est une forme de nécessité intérieure qui l’a conduit vers l’écriture. « J’ai souhaité aborder la guerre civile par la littérature et pas seulement par le prisme des sciences humaines. Si j’ai fait des études de droit et de sciences politiques, je me considère comme un autodidacte. Longtemps, le cursus académique ne m’a pas intéressé, j’ai été un très mauvais élève », admet-il humblement, même si son arrivée en France, en terminale, a changé la donne. « Je devais sortir du cadre, du paysage de la guerre et de ce milieu pour comprendre qu’il y avait un dehors. C’est en découvrant la philo que les études ont commencé à m’intéresser, et j’ai surcompensé mon manque de travail initial», ajoute celui qui a attendu son huitième livre pour mentionner précisément le Liban. « Dans mes textes précédents, comme Défaut d’origine, je parle de guerre mais ne nomme pas les lieux. Auparavant, je m’inspirais d’éléments autobiographiques, mais cherchais à les extrapoler dans le roman ; cette fois, mon texte s’apparente plutôt à un récit épique », constate l’auteur de Chant balnéaire, qui semble être une forme d’ancrage dans les mots d’une identité libanaise qui n’a pas d’écho administratif. « Naître dans un pays, y grandir, y vivre 15 ans de guerre devrait être suffisant ! Et pourtant, j’étais dans une situation d’étranger dans mon propre pays, je ne suis pas le seul, et cela fait l’objet d’une honte sociale. À l’époque, ne pas avoir de nom libanais m’excluait du champ social, et mon patronyme allemand était considéré comme suspect. Je vivais une forme d’aliénation en acceptant cette situation d’inégalité et en la considérant comme normale. Il a fallu que je découvre qu’il y avait un dehors pour en prendre conscience », indique celui dont la dimension atypique était vécue à plusieurs niveaux. « Ma mère, petite-fille d’Abraham Guiragossian, qui a racheté le studio Bonfils, était d’origine arménienne et de surcroît séparée de son mari, ce qui fait que nous avions peu de relations sociales. En plus, on vivait dans une station balnéaire à l’année, ces lieux étaient en soi schizophrènes, ils évoquaient l’idée de vacances pendant l’été pour certains, et constituaient un lieu d’asile pour ceux qui avaient fui la guerre. L’architecture de loisir contredisait la démographie de l’endroit, hors saison. Dans notre établissement, de nombreux dirigeants phalangistes passaient leurs vacances ou avaient leurs garçonnières, il y avait donc une forte présence militaire », précise Oliver Rohe. « C’était comme être incarcéré dans un parc à thème, et j’ai souhaité écrire sur la guerre comme elle a été vécue à 20 km de Beyrouth », ajoute-t-il.

« Les Libanais ont des expériences communes beaucoup plus nombreuses qu’ils ne le croient »

Chant balnéaire est empreint de silences, ceux des moments où on attend les bombes et ceux qui entrecoupent les vers du discours intérieur. « Le texte commence en 1985, le personnage a déjà 10 ans de guerre derrière lui. Lorsqu’il arrive sur le littoral du Nord, il n’y a pas de conflits, et c’est anormal pour lui. Il attend la violence et elle apporte une forme de soulagement lorsqu’elle apparaît. Les personnages connaissent alors une période de solidarité et de déshumanisation à la fois ; les Libanais ont des expériences communes beaucoup plus nombreuses qu’ils ne le croient, quel que soit le camp depuis lequel ils ont vécu l’expérience de la guerre. Tout le livre essaie de dire que malgré le contexte, l’œuvre du temps s’accomplit, la puberté se déroule… » indique celui qui a fait le choix d’évoquer la dimension concrète de la vie dans les abris de manière frontale. « C’est difficile d’en parler, cela peut nous faire honte, mais ne pas l’exposer, c’est enjoliver la guerre. Il fallait montrer ce que signifiait de vivre dans ces espaces souterrains pendant 2 ans, par intermittence, comment on se lave, comment on mange, comment on vit ensemble : c’est de l’ordre du politique », affirme Oliver Rohe, qui a eu l’occasion de participer à de nombreuses rencontres avec des élèves libanais dans des écoles pendant le festival Beyrouth Livres de cet automne. « Leurs parents ont mon âge, or ils semblaient découvrir la guerre par mon livre. Elle ne fait pas partie d’un récit transmis de manière filiale, ce qui m’a beaucoup attristé. Cette absence de transmission narrative a lancé une grille de lecture dont ils ne sortent pas. Pour eux, leur trauma, c’est l’explosion du 4 août et le confinement. La période qui précède, ils l’interprètent comme un âge d’or, comme nous pensions qu’avant la guerre, c’était l’âge d’or. Ce schéma se reproduit de génération en génération, probablement, car il n’y a pas de fil narratif qui nous permet de penser les événements de manière historique », avance le romancier, qui évoque son expérience adolescente de 5 ans dans un chalet de bord de mer comme une « liquidation de soi ». Cette formule évoque son double déplacement, de Beyrouth-Ouest vers la station balnéaire, puis en France. « Cette expérience a été intense et décisive ; entre 13 et 17 ans, j’étais en pleine métamorphose et j'ai grandi dans un contexte de guerre larvée puis frontale. Tout était déjà contenu dans cette période, ce qui arrive après paraît fade. Ce qui m’a intéressé, c’est comment la traduire dans la langue qui est la mienne aujourd’hui et comment l’écrire. Chant balnéaire part de la vie prosaïque d’un adolescent pendant la guerre pour l’élever vers le chant épique », explique l’écrivain, qui a suscité un vif écho auprès de ses lecteurs, notamment les Libanais de sa génération qui ont retrouvé dans son récit une partie de leur jeunesse.

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Pour l’année prochaine, Oliver Rohe prévoit de poursuivre l’écriture de son prochain roman sur l’après-guerre et de passer un ou deux ans au Liban pour ne pas se contenter d’être un touriste qui retrouve la plage et ses amis, mais pour vivre de manière plus rapprochée l’expérience du quotidien des gens aujourd’hui. Sans surprise, il évitera de loger dans une station balnéaire.

D’une voix un peu rauque, l’écrivain libanais (si ce n’est par la loi, car né de père allemand) se réjouit d’être le lauréat du prix France-Liban, qui lui sera remis le 13 janvier à l’Institut du monde arabe. « C’est une forme de reconnaissance qui me ravit, d’autant plus qu’elle vient du pays où je suis né, où j’ai grandi et que j’ai été contraint de quitter en...

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