« Votre film était excellent, il m’a beaucoup inspiré. » C’est à la réalisatrice franco-libanaise Dahlia Nemlich que s’adresse depuis la scène Fatih Akin, membre du jury, avant même de dévoiler le nom de la lauréate du prix Yusr d’or du meilleur court-métrage de la troisième édition du Festival international du film de la mer Rouge (RSIFF) au public cinéphile de Djeddah. Le réalisateur turco-allemand la congratule « pour avoir abordé les concepts les plus complexes entre la vie et la mort, la guerre et l’amour, dans un court-métrage élégant, poétique et doté d’un langage visuel unique ».
Le RSIFF, qui se tient chaque année au début du mois de décembre depuis 2021, a pour objectif de « mettre le cinéma arabe sur le devant de la scène », selon le site web de l’organisation. Diane Kruger, Gwyneth Paltrow, Baz Luhrmann… Ce ne sont que quelques-unes des personnalités de renommée internationale à se rendre dans la ville côtière saoudienne pour l’événement. Malgré sa relative jeunesse et ses nombreuses controverses, ce festival du film saoudien témoigne d’une ouverture internationale croissante et représente ainsi une opportunité non négligeable pour la visibilité des talents de la région. « On espère que cette victoire va l’ouvrir au monde », confie la réalisatrice à L’Orient-Le Jour, en référence à son court-métrage primé Somewhere in Between.
« Un court-métrage avec un supplément d’âme »
Face à leur séparation imminente, Élias et Christiane plongent dans leurs souvenirs pour un dernier adieu. Quatre jours de tournage, entre Achrafieh, Batroun, d’où est originaire l’acteur principal Étienne Assal, et Qanat Bakish. Le résultat : un film de quinze minutes, aboutissement de la volonté de l’auteure d’explorer le sentiment de deuil survenu après le décès de son grand-père et de comprendre comment l’imagination humaine fonctionne pour apaiser la douleur de la perte. Ce film symbolique évoque « ce moment de passage entre la vie et la mort, et cette dimension dans laquelle Élias, le personnage principal », un homme en fin de vie atteint d’une maladie dégénérative, et sa femme, Christiane, lucide, « pourront se retrouver pour se dire adieu », précise l’auteure.
Somewhere in Between s’ouvre sur une scène de réunion familiale durant laquelle Élias, le doyen de la famille, semble seul dans sa tête, ou dans son monde, bien qu’entouré par ses proches. Une référence au grand-père de Dahlia Nemlich qui, à la fin de sa vie, souffrait de la maladie de Parkinson. « J’apprenais le piano à côté de lui et je me demandais ce qui se passait dans sa tête, car son état se détériorait de jour en jour », se souvient la réalisatrice.
Elle se questionne alors sur la perception qu’a sa grand-mère de son époux, avec qui elle est mariée depuis soixante ans, et sur la prise de conscience que la vision de dégradation peut provoquer chez l’autre par rapport à la mort. « Croire un peu plus au moment présent, à l’amour, à la vie, sans forcément trop s’y attacher, ou lutter contre cette peur de la mort » est le message que Dahlia Nemlich souhaite transmettre. « Un court-métrage avec un supplément d’âme. L’image, la musique, l’interprétation... Tout est magnifique », déclare Assaad Bouab, acteur franco-marocain et membre du jury, à L’OLJ.
Une maison penchée, criblée de balles, aux fenêtres cassées qui repose sur un seul pied. La maison de Qanat Bakish, au Mont-Liban, dans laquelle Christiane évoque les souvenirs de son mari, n’est pas anodine, mais symbolise la ténacité de cette génération de Libanais. « Elle représente tout ce qu’ils ont vécu, sur une vie, avec toutes les guerres qu’ils ont traversées », explique la réalisatrice, qui affirme que cette allégorie peut être transposée à toutes les générations libanaises. « Cela n’a pas cessé, que ce soit nos grands-parents, nos parents, même nous, toutes ces guerres qui se répètent. Il faut partir, il faut tout reconstruire. Mais bien qu’elle soit penchée, bancale et prête à tomber, cette maison est toujours debout », à l’image du peuple libanais, dit-elle.
Le septième art, puissant moyen de transmettre et d’influencer le public
Vêtue d’une robe de satin noir, la réalisatrice descend les marches du parterre jusqu’à la scène, où elle remercie avec émotion ses producteurs Marine Vaillant et Mohammad Taymour, pour leur soutien dans la conception du court-métrage. « Sans toutes ces personnes, le film n’aurait pas pu voir le jour », précise Dahlia Nemlich, en mentionnant toute son équipe, avec une attention particulière pour son compositeur et mari Namir Maitala, qui a travaillé aux côtés de Sara Kaddouri.
Après ses études à Paris, la réalisatrice retourne au Liban. C’est là qu’elle trouve l’inspiration cinématographique. « C’est un pays qui a tellement de choses à dire », explique-t-elle. Tout commence en 2019, lorsque Pascale Seigneurie, l’une de ses amies d’enfance, écrit Roadblock, un scénario sur la thaoura, et demande à son ancienne camarade de classe de le réaliser. Cette dernière ne se pense pas à la hauteur, mais après une certaine insistance de la part de l’écrivaine et de sa productrice, Marine Vaillant, avec qui Dahlia Nemlich continuera son voyage professionnel, elle accepte et signe ainsi son premier court-métrage. « C’était du women empowering : un groupe de femmes qui se retrouvent et qui se poussent », souligne-t-elle. Le film fait sa première au festival égyptien el-Gouna en octobre 2020, et a depuis remporté plusieurs prix.
Productrice de films à The Talkies, société de production libanaise dirigée par Gabriel Chamoun, Dahlia Nemlich voit dans le septième art un puissant moyen de transmettre et d’influencer le public. « Il est de notre responsabilité de créer le monde dans lequel nous voulons vivre », avait indiqué la lauréate dans son discours à Djeddah. Somewhere in Between n’est cependant pas représentatif de ce que la productrice et réalisatrice libanaise entend par cinéma engagé. « Je voulais faire un film poétique, avoir un langage cinématographique un peu plus symbolique », précise-t-elle.
La lauréate n’a pas encore célébré sa victoire qu’un jour plus tard, elle est déjà gare de Lyon, à Paris. Elle attend son train pour se rendre à sa résidence Méditalents à Marseille, une initiative créée pour aider les talents émergents de la région MENA à écrire leurs scénarios. Durant cette semaine, elle peaufinera celui de son long-métrage, également produit par Marine Vaillant, sur les travailleurs migrants au Liban, et plus particulièrement sur une femme éthiopienne. Un projet qui s’inscrit dans le principe de cinéma engagé que la réalisatrice entend développer. Elle se rendra ensuite en Égypte pour présenter son projet lors du CineGouna du festival d’el-Gouna. Un emploi du temps chargé puisque la réalisatrice confie travailler également sur son projet de deuxième album, car elle chante également sous le nom de « Dahlia on the Run ».
Fiche technique
Directeur de la photographie : Karim el-Ali
Son : Leah Haddad
Musique : Namir Maitala
Monteur : Adam Jammal
Distribution : Siham Haddad, Tamara Khoury, Zaven Baaklini, Étienne Assal.
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